J’ai appris ce terme récemment en écoutant un podcast. Le deuil blanc c’est quand une personne est toujours là physiquement mais qu’elle n’est plus là moralement. À cause d’une maladie, Alzheimer, démence, problèmes cognitifs, coma. Il faut faire le deuil, on l’appelle un deuil blanc. Si vous voulez la défnition exacte, elle est sur Wiki. 

Donc j’ai appris ce terme mais je ne savais pas que cela m’arriverait ! 

Comme je l’ai déjà dit et comme je l’ai déjà raconté lorsque Martine avait eu son cancer en 2015, avec les hôpitaux cela change tous les jours et tous les jours on a de nouvelles infos plus ou moins claires. 
Nous pensions tous que l’opération programmée fin juin allait mettre un terme aux souffrances de notre mère et résoudre tous les problèmes. 

Ce n’est pas de la naïveté de notre part : en 2015 elle avait eu tous les problèmes que nous retrouvons aujourd’hui : parfois confuse et incohérente racontant des histoires abracadabrantes, refusant de manger,elle  arrachait les perfusions, s’affaiblissait. Puis une fois qu’elle en avait fini avec toutes les opérations, nous l’avions emmenée à la Sauvageonne. Au début elle était sur un matelas anti-escarre, une infirmière venait tous les matins, elle était maigre et faible, mangeait du bout des lèvres. Et puis elle s’est remise de manière spectaculaire durant les vacances. Et tout allait bien jusqu’à cette année. 

Donc Martine était dans sa maison de retraite lorsque des résultats d’examen ont amené le docteur à décider de lui mettre une sonde et une poche pour les urines. Le lendemain matin elle téléphonait à tout le monde pour dire qu’elle allait très mal. Certains travaillaient, d’autres étaient en vacances, j’ai donc appelé l’infirmier du service qui m’a expliqué que Martine devait être gênée par la sonde et qu’elle avait tout enlevé la nuit, tout enroulé dans sa couche et tout jeté par terre ! Elle ne souffre pas vraiment, c’est dans la tête, d’ailleurs son amie Simone qui va la voir l’après-midi me le confirme. Elle a beaucoup fréquenté les hôpitaux : un corps qui souffre ne fait pas sieste, ne sourit pas etc. 

Malgré ces explications que je donne à ma fratrie mes deux sœurs qui ont du faire médecine passent la journée à paniquer à dire qu’il faut l’opérer d’urgence, la mettre sous perfusion. Gérer une fratrie n’est pas toujours facile ! Cédric est le genre autruche ou bisounours : tout va bien, Servane panique, Camomille cela dépend des jours. Soit elle est très efficace soit elle pleure pendant des heures. 

Martine est transférée à l’hôpital pour un bilan complet. De nouveau perdue elle ne sait pas où elle est. Elle m’appelle pour me dire qu’elle est près du lycée. Elle aussi change tous les jours : soit elle est trop fatiguée pour parler, soit elle appelle tout le monde pour raconter des histoires abracadabrantes. 
Un matin une femme médecin peu aimable Mme Bonplan m’appelle. Elle a du garder mon numéro depuis 2015, car je ne suis évidemment la première personne à prévenir vu la distance. Je n’ai pas pu répondre, j’ai rappelé. Mme Bonplan me dit qu’elle a eu Servane entre temps, ma mère doit retourner dans son Ehpad, elle est sortante tout va bien.


Ce n’est pas la première fois que l’hôpital nous fait ça, le mardi après un week-end prolongé, tout le monde travaille : elle sort débrouillez-vous ! 
Sauf que la maison de retraite grand luxe n’était payée que jusqu’à mardi, pour nous il n’était pas question que Martine y retourne. J’appelle Servane qui est furieuse : 
Dr Bonplan à peine aimable lui a dit :
- Pour moi elle vient d’un Ehpad, elle retourne en Ehpad. Comment ça vous n’avez rien prévu ? Mais elle était déjà hospitalisée en 2015 !
À noter que 2015 leur servira souvent d’excuse :  je connais votre mère blabla… Tu parles Charles ils ont des infos dans un ordinateur quelque part ! 
Servane furieuse lui dit qu’il n’est pas question qu’elle sorte avant vendredi, nous ne sommes pas organisés. 
Entre temps j’ai eu une assistante sociale qui m’a expliqué un peu le processus et m’a envoyé une liste des Ehpad. 

Le lendemain nouveau coup de théâtre. Simone m’appelle pour me dire que ma mère sera transférée à Luchaud (un soin de suite proche de chez Martine où elle a déjà séjourné) vendredi. Je passe le message à ma fratrie toujours via OuateZap.
Servane est furieuse : comment ça ils pourraient m’appeler ! Quand à Camomille elle est à l’hôpital et on ne lui a rien dit ! 
Camomille essaye donc de voir un interne. Elle enregistre la conversation. L’interne lui dit que l’opération des reins (enlever les calculs et les sondes internes) ne changera rien. La vessie de Martine est trop petite et elle devra avoir une poche à vie, elle a eu probablement des difficultés à uriner depuis des années sans le dire. L’opération ce n’est pas l’urgence. De plus elle a son problème cognitif. 

Le mercredi Camomille veut absolument voir un médecin avant que Martine ne quitte l’hôpital, car elle part finalement jeudi matin. Nous décidons de faire une réunion visio le soir même. 
Camomille nous raconte que Dr Bonplan a été à peine aimable : encore vous, vous ne pouvez pas communiquer entre vous ! 
Camomille lui répond ” Ne me parlez pas comme si j’étais la dernière des imbéciles, nous communiquons, nous avons même un groupe OuateZap, mais les informations changent tous les jours et ce n’est décicement pas clair ! “
Bref Mme Bonplan super aimable explique que la sonde c’est à vie, mais n’empêche pas de marcher, sortir, il faut quelqu’un matin et soir pour vider la poche. Les reins sont abîmés, Martine ne retrouvera pas ses capacités. Elle a parlé du problème cognitif, maladie proche de la démence, (mais pas démence j’y reviendrai). Chaque fois que Martine a un problème dans sa vie (nous l’avons vu se dégrader à la mort d’un de ses frères, puis d’un autre frère 4 mois après) elle perd un peu plus et ça ne reviendra pas. Il faut lui trouver un cocon, avec ses répères, ses meubles, ne surtout pas la pertruber. 

La réunion est plutôt houleuse. Je ne parle pas trop, de toutes façons on me fait taire, ce qui récurrent dans ma fratrie. Servane complètement paniquée dit qu’il faut enlever la sonde : “ c’est un truc de docteur pour faire basculer notre mère dans la dépendance, elle ne pourra plus rentrer chez elle, ni aller à la Sauvageonne, il faut un autre avis médical “
- Je préfère qu’elle vive 3 mois avec nous plutôt que 2 ans en Ehpad
Camomille a un rendez-vous dans une clinique privée où elle pensait emmener ma mère le vendredi. 
Cédric ne sait pas trop dans quel camp se ranger : oui il faut enlever la sonde. Comme si c’était le remède miracle. Et le deuxième avis on l’aura comment ? Vendredi. 
Je suis convaincue que le deuxième avis sera le même entre nous, si ça peut les rassurer. 

Pour ma part je suis complètement anéantie. Apprendre tout ça c’est violent. Je leur fais remarquer que même si par miracle on enlevait la sonde, Martine ne rentrera pas chez elle. Elle ne fait plus rien seule, ni se laver, ni se faire à manger. Alors ” vivre avec nous ” ça veut dire quoi exactement ? 
Et puis vous voulez lui enlever la sonde et qu’elle souffre le martyre et meurt dans trois jours ? 
J’avoue que j’ai presque peur que Servane ne lui enlève elle-même. 
Et puis c’est la même chose que la dernière fois : malgré toutes les explications que l’on a c’est un vrai sketch !
Deux sœurs qui savent tout mieux que les médecins et un frère qui balance entre la réalité et le déni. Heureusement Marianne sa femme est plus posée, elle est avec nous pour la réunion, elle s’occupe beaucoup de Martine. 
Et moi toute grande rêveuse que je suis, j’ai parfois l’impression d’avoir les pieds sur terre ! 

Martine ne peut rester qu’un mois en soins de suite, donc il faut s’organiser rapidement. 
Je propose même de la prendre chez moi en cas d’urgence, bien sûr personne pourrait venir la voir. 
Ensuite on parle de sous. Là je ne m’en mêle pas, entre les aides qui tardent à venir, le calcul du budget que mon frère a fait la dernière fois mais dont il ne se souvient plus, (heureusement qu’il a fait des tableaux). Servane dit qu’elle va nous envoyer une liste et qu’on va appeler les Ehpad. 


Bien sûr nous sommes tous tristes. Nous le disons à la fin quand tout le monde se calme. Martine ne pourra jamais retourner chez elle, ni aller à la Sauvageonne. J’avais rêvé de l’emmener chez moi. Et puis elle n’est plus là, ne sera plus jamais comme avant. Et elle était tellement en forme et autonome, elle a décliné tellement vite que personne n’aurait imaginé devoir la mettre en Ehpad.
Bien sûr elle nous reconnaît, parle parfois normalement, mais ce sont surtout les histoires abracadabrantes qui prédominent. Parfois elle se croit chez elle, parfois elle dit qu’elle sortira demain, puis qu’il a 6 personnes dans la chambre, les toilettes sont trop petites. Souvent après la sieste, des rêves trop réels sans doute. 

Le deuil blanc. Avec mes filles nous en parlons. La Sauvageonne sans elle. En avril je lui avais envoyé la photo de sa table et de chaise verte où elle s’assoit pour regarder le paysage, les collines, les voitures qui passent en bas. Sa chaise va être bien vide ! 

Le lendemain j’ai commencé avec Servane à appeler les Ehpad. C’est un parcours du combattant. Il y a un protocole Trajectoire si vous avez connu l’orientation post-bac pour vos enfants, c’est un peu la même chose. 
J’appelle : Ceux qui vous disent qu’il faut passer par Trajectoire sinon rien, ceux qui ne le font pas, ceux qui n’ont pas de place, ceux qui vous disent que 92 ce n’est pas 78 donc c’est impossible (quand je vous dis que ça ressemble à la carte scolaire).
Ceux qui veulent bien que vous visitiez tout de suite ou demain, mais ceux là sont les privés donc très cher ! 

Pendant ce temps Martine est transférée à Luchaud, elle appelle ma belle-sœur pour dire qu’on l’a ramenée chez elle mais qu’elle n’a pas les clés.
Nous nous disons parfois que c’est aussi bien qu’elle soit dans son monde.
Le soir Servane voit le médecin de Luchaud, une femme très gentille. Elle lui explique que la vessie de Martine ne fonctionne pas, qu’elle aura bien une poche à vie, elle lui fait même un dessin, ses reins sont abîmés, elle fait de l’anémie, elle doit se reposer. Elle peut très bien vivre avec son calcul rénal, ce n’est pas l’urgence. Pour ses problèmes cognitifs, ce n’est pas de la démence, elle n’aura pas besoin d’unité sécurisé (celle pour les fugueurs). Servane demande si c’est possible qu’elle soit à Luchaud qui fait aussi Ehpad, la doctoresse lui dit oui, je vais transmettre la demande. Ce serait l’idéal vu que c’est à côté de chez elle, de chez Cédric et Marianne et si elle a des permissions de sortie, elle pourra aller un peu chez elle. 

Servane est donc rassurée, Camomille annule le rendez-vous dans la clinique privée. 

Depuis rien de neuf. Martine commence la kiné. Ceux qui vont la voir disent que ça va mais qu’elle continue à raconter n’importe quoi. Elle reconnaît tout le monde mais elle est dans son monde. Hier elle m’a appelée deux fois. La première fois pour me dire qu’il y a avait un type dans sa chambre elle ne savait pas qui c’était. Servane m’a dit qu’un ouvrier intervenait dans un local de service à côté de sa chambre, elle a du entendre des bruits. La deuxième fois pour me dire qu’elle était isolée que personne ne venait la voir. Il n’y a pas de visites le matin mais elle voit beauocup de monde l’après-midi. 

De mon côté ça va cahin-caha. J’ai annulé les sorties danse, pas le cœur à danser. Et puis je m’installe à la Sauvageonne en juin, inutile d’aller dans un endroit où je ne retournerai pas avant septembre, autant attendre la rentrée des associations. 
Je suis loin parfois je me dis que c’est dommage, parfois je me dis ça servirait à quoi que j’y sois. Donc je garde les dates que j’avais prévues.
D’après ce qu’elle nous dit au téléphone à mes filles ou à moi, Martine n’a pas conscience que nous sommes loin. ” Tu es où, tu passes me voir ? Viens manger chez moi ! “

Je suis inquiète pour l’été. Côté Camomille il y a 2 baptêmes en juin et elle fête ses 60 ans, je n’irai pas je n’ai pas le cœur à la fête.
Et je sais que ma fratrie ne va pas annuler ses vacances. Que va t-il se passer ? Elle va rester longtemps sans visites et je ne peux pas multiplier les aller et retour.
J’ai même proposé e la mettre deux mois à la maison de retraite de Petite Colline avec des sorties le dimanche. Mais peut-être que si nous sommes coincés elle ira à la Sauvageonne avec des soins médicaux, mais il faut qu’elle supporte le voyage. 

L’opération du 23 juin va t-elle être maintenue ? Nous n’en savons rien mais vu qu’elle n’apportera aucun miracle peu importe. 

Parfois Martine dit qu’elle veut s’en aller. C’est triste de penser : oui ce serait peut-être mieux qu’un Ehpad. 

C’était un peu long, mais il fallait que je l’écrive.