ricard_citron_by_louisianneMa mère est un peu tendue, mes filles et moi restons naturelles. Je ne pose naturellement aucune question à Jean-Louis, nous parlons de choses et d’autres. Il reprend sa place à table, fume sa clope dehors à la fin du repas, lit son journal l’après midi dans la chaise longue. Comme avant il me demande d’acheter l’Équipe quand je vais à Petite Colline le matin… Les enfants sont là pour occuper les conversations.

Ce qui m’étonne le plus, c’est ma sœur Servane. Elle ose à peine lui parler, lui poser des questions comme si elle ne le connaissait pas depuis 15 ans… Sa timidité m’amuse et m’étonne. Bien sûr il y a des moments de flottement. Manivelle veut toujours dormir avec sa mère, comme si elle sentait que quelque chose ne va pas. Servane est rassurée, ça fait une bonne excuse pour que papa dorme dans le canapé… Mais Jolinette est plus grande et trouve ça étrange… En temps normal, maman aurait dit : ” d’accord pour une nuit, mais après tu retournes dans ton lit, maman dort avec papa “.
Même si c’est la vacances, c’est bizarre.

Puis quelquefois lui aussi il est bizarre. Il parle d’une chose, s’interrompt, bafouille. Il a une cartouche de cigarettes qui vient d’Espagne, quand Athéna l’interroge il dit que c’est ” quelqu’un ” qui lui a ramené.

Le soir il s’isole le portable à la main et téléphone de longues minutes. Lui qui avait horreur d’utiliser le portable sauf en cas d’urgence, qui l’oubliait régulièrement, déchargé, sur le réfrégirateur où il restait parfois durant un mois..

Ma sœur continue à me bombarder de ” tu penses que ?”… et parfois alors qu’il est à deux mètres de nous… Je ne sais pas quoi lui dire… Je sais que ça ne changera rien, puisqu’il est décidé à mettre fin à leur mariage, de savoir s’il a quelqu’un d’autre… Je pense qu’elle veut se rassurer, qu’elle ferme les yeux, qu’elle refuse d’y croire alors qu’elle a tant d’indices sous le nez…

En même temps je la comprends : tant que le principal protagoniste refuse de mettre des mots sur les faits, elle se réfugie dans les spéculations. Mais pourquoi diable ne dit-il pas les choses ? De quoi a t-il peur ? D’une crise, d’une scène ? Elle ne le ferait pas devant ses filles, et puis ma mère et moi sommes là pour calmer le jeu…

Les vacances touchent à leur fin, c’est la fête au village. Mes filles rejoignent leurs potes aux auto-tamponneuses, les petites font des tour d’avions. Je suis à la terrasse du café avec Jean-Louis et Servane. J’avoue que là j’ai un peu de mal. D’habitude je me plains de ne pas avoir d’adultes pour me tenir compagnie quand je sors avec mes filles, là je me passerais bien de cette ambiance pesante où je suis la seule à parler normalement à deux éléments d’un couple qui n’arrivent plus à communiquer… Sans compter que rassurer continuellement ma sœur sans lui dire ce que je pense vraiment :
Oui c’est clair il en a une autre, oui sinon il ne téléphonerait pas… Et il serait allé où à la mer, chez qui ? C’est forcément une qu’il a rencontré le 14 juillet…

Mais je me tais. Elle ouvrira les yeux bien assez tôt… À quoi bon faire du mal à quelqu’un qui aura mal de toutes façons ?

Heureusement ils se couchent plus tôt que moi et je rejoins mes filles à la buvette et au bal. Mes filles sont assez grandes pour que je puisse leur parler du problème, et assez jeune pour ne pas s’impliquer ni en avoir l’air devant le couple.

Mes filles invitent tous leur copains pour un barbecue. Je demande à Jean-Louis de m’aider pour faire griller les saucisses. Nous préparons une grande table pour les jeunes, et une plus petite pour Martine, Servane, Jean-Louis et moi. Les petites sont toutes excitées à l’arrivée
des ” grands ” et en profitent pour apprendre de tas de gros mots.

À table Jean-Louis ne s’assoit presque pas. Le barbecue lui sert de prétexte. Ma mère et ma sœur sont de mauvaise humeur et parlent à peine. Heureusement les jeunes sont en forme. En fin de repas, ma mère va se coucher, Servane va coucher Manivelle. Jean-Louis et moi servons le café puis nous installons à la grande table côte à côte. Les jeunes vont et viennent, ne restent pas assis.
Nous parlons beaucoup, nous rions. C’est la première fois depuis le début des vacances que Jean-Louis est vraiment en forme !

Nous devons aller à un concert en plein air, mais les jeunes s’amusent, personne n’est pressé !
Puis enfin nous partons dans deux voitures. Moi je prends l’espace pleine de jeunes, un autre garçon qui n’a pas bu en emmène 5. Puis soudain sans prévenir Jean-Louis me dit qu’il veut venir aussi : “tu ne seras pas la seule vieille”.

Merci pour la vieille… Cette soirée me laissera un souvenir inoubliable…