Les guirlandes, les santons et les boules sont rangées. Je viens à l’instant d’apercevoir une boule argentée accrochée au balcon, une rebelle qui échappe au rangement à la cave… J’aime les fêtes, mais j’aime aussi quand tout est remis sur des rails et que mon salon reprend son aspect de tous les jours. 

Cela n’était qu’un préambule bien évidemment. Début j’anvier, j’ai lu un article qui faisait le bilan des célébrités décédées en 2019. J’ai constaté que j’étais passée à côté de certains. J’ai appris avec tristesse la mort de Nicole de Buron. J’ai lu tous ses livres, j’ai adoré son humour, j’en ai même offert beaucoup à Martine ” Arrêtez de piquer mes sous” ” Chéri tu m’écoutes “… Beaucoup ignore le nom de Nicole de Buron mais connaissent ” les saintes chéries ” ou ” Va voir papa maman travaille “. 
Une femme énergique, simple, drôle pleine de bon sens, et dont les livres sous des dehors humoristiques étaient documentés. 
Du coup j’ai acheté d’occasion le seul livre qui m’avait échappé, un livre de souvenirs ça tombe bien. 

Cela m’a plongée dans une réflexion. Il m’arrive souvent de penser à ces personnes que l’on voit éternellement jeunes. Ces célébrités dont on apprend le décès et l’image qui nous vient est figée à une certaine époque. Ils ont disparu des écrans, des plateau télé, des salles de concerts, des vitrines des librairies. Ou alors ils se sont fait si discrets sur leur vieux jours qu’on ne les aurait pas reconnu si on les croisait. Ils nous donnent ainsi l’impression de n’avoir jamais vieilli. 

J’ai vu quelqu’un d’éternellement jeune dans mes souvenirs récemment. Un souvenir qui m’a ramenée à la maison de campagne.
J’ai raconté tous ces souvenirs dans différents billets, je mets les liens plus bas. 
À l’occasion des vœux Martine a souvent, en plus des cartes de vœux, des coups de fils de la famille. Parfois je l’envie et je me dis que je ne connaitrai sûrement pas ça, je n’aurais jamais autant de cartes de vœux, ni d’appels de cousins éloignés, les gens deviennent tellement indifférents, d’ailleurs mes neveux et nièces ne me souhaitent même pas la bonne année, sauf si ils me croisent.. Mais je m’égare, bref comme dirait Martine. 

Arlette de la ferme a donc appelé Martine. Elle lui a appris que Jean-Jacques J. est décédé. Jean-Jacques était le père d’amis d’enfance qui faisaient partie de la bande de notre jeunesse. Nous ne l’appelions jamais par son prénom, mais Monsieur J. Cette famille est la seule que nous ayons complètement perdu de vue. Les enfants nos amis un garçon et une fille ont complètement coupé les ponts, jamais ils ne sont venus salués nos parents à l’époque où nous allions encore à la campagne, idem pour les parents. Ce qui fait que depuis la fin de l’adolescence, j’ai du croiser Madame Mireille J. une ou deux fois sans plus. C’était comme nous des ” secondaires” la maison à la Folie était leur maison de campagne, cependant à la retraite ils ont quitté Paris et se sont installés pour de bon à la Folie

Jean-Jacques était un homme doux, gentil, intelligent, discret. Malheureusement pour lui il était trop gentil et sa femme et sa fille le traitaient comme un moins que rien. Pourtant bien heureuses de profiter de son compte en banque, puisque Mme Mireille était femme au foyer. Nous les jeunes aimions bien Jean-Jacques car à une époque où Mme Mireille s’affichait sans scrupules avec le voisin, Jean-Jacques marchait seul et triste dans les champs. Cela amusait certains, mais nous le prenions en pitié. 
Mme Mireille  a mal vieilli et s’est retrouvée en fauteuil roulant, ce qui ne l’a pas empêchée de continuer à distribuer des ordres et à mener tout le monde à la baguette.
Aux dernières nouvelles, Martine nous avait appris que Jean-Jacques avait été hospitalisé. Mais comme les communications sont rares avec la campagne, Martine et moi n’en savions pas plus. D’ailleurs lors de mon anniversaire surprise où Laurent et Gontran m’avaient demandé des nouvelles de Jean-Jacques. Le plus étrange est qu’à l’origine les parents de mes amis d’enfance étaient des amis des J mais n’ont plus aucun contact. 

Quand Martine m’a appris le décès de Jean-Jacques j’ai fait un petit ” oh ” de tristesse. Il était si gentil ! 
Il a bien été hospitalisé mais n’est jamais sorti de l’hôpital. Quand Martine m’a dit qu’il avait 88 ans je suis restée sur les fesses ! 

Des images me sont revenues. Cet homme a 40 ans, il aura toujours, éternellement 40 ans ! 

À cette époque tous nos parents avaient 40 ans. Un âge facile,  un âge normal quand on a la vingtaine, d’ailleurs je pense que c’était le seul chiffre que nous retenions et que des années durant nous avons donné 40 ans à nos parents, nous ne nous intéressions pas spécialement à l’âge de nos parents, oublié sitôt les bougies soufflées. 
Cela doit être une habitude pour tous les enfants car des années durant mes filles m’ont donné 40 ans, elles ont dit que j’avais 40 ans et si j’essayais de préciser, Artémis me disait ” non laisse tomber tu as 40 ans, tu es un parent, un parent a 40 ans ! ‘

Rien d’étonnant à ce que je vois Jean-Jacques J. à cet âge. Éternellement jeune. Le temps semble passer si vite, trop vite.
Nous n’avons pas le temps d’adapter nos images et souvent je me demande pourquoi nous vieillissons. 
Si l’on comprend sans difficulté qu’un enfant ne peut pas rester un enfant, qu’un ado devient un adulte, pourquoi tous ces gens que nous connaissons comme des parents, comme des grands parents ne resteraient pas éternellement à cet âge au moins physiquement ?
Éternellement quadra parce que nous les avons connus parents d’enfants de 20 ans, pourquoi pas éternellement quiqua parents de trentenaires ?
Pourquoi une grand-mère de 60 ou 70 ans ne resterait pas toujours la même : une dame qui a bien l’air d’une grand-mère mais qui est encore alerte, qui a toute sa tête et qui entend bien ? 
C’est un grand mystère. 

Je me souviens de l’enterrement d’une cousine éloignée. Sur sa tombe ses enfants ont mis deux photos. L’une d’elle l’nnée de sa mort et l’autre d’elle à 30 ans. L’image de 30 ans est probablement celle que tout le monde a gardé dans ses souvenirs. Personne ne l’a vu vieillir.

Par Gorup de Besanez — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=83641781

 

J’ai raconté longuement les souvenirs de la campagne dans l’ami d’enfance, la maison de campagne et également dans Pélerinage.