Quand on prononce cette phrase, on pense souvent grand âge. Martine me dit 15 fois par semaine qu’elle perd la mémoire :
- Dis moi c’est comment le prénom de la femme de Lucien déjà ?  Ah c’est quoi la ville où nous sommes allés avec Marcelle et René ? Zut, tu le sais toi Louisianne ! Le nom de la petite fille de Suzanne, tu sais la petite frisée comme un mouton ? 

Je réponds toujours, y compris quand il s’agit de personnes que je n’ai jamais croisée, parfois avec un petit délai de rélfexion.
Je suis souvent la mémoire familiale y compris pour les dates. Bien entendu je ne suis pas un singe savant, je ne répond pas du tac au tac ” c’était en 79 ” mais je suis capable d’avoir des points de répère précis : c’était avant la naissance de Manivelle… ou Servane devait avoir 10 ans… Ce qui fait que je m’y retrouve. Et quand vraiment je ne retrouve pas, je me souviens d’un album photo de cette période. 

Voilà pourquoi la mémoire me joue des tours : j’ai une mémoire phénoménale !
La preuve ma tribu a même fini par le reconnaître alors que pendant des années cela les a plutôt agacés ! Comme ils avaient tout oublié, ils se plaisaient à dire que j’inventais ou que je transformais ! 
Les membres plus éloignés de la tribu ou les amis d’enfance adorent m’entendre raconter des histoires qu’ils avaient totalement oubliées. 

Ma mémoire me joue des tours. Il arrive qu’une scène précise me revienne dans tous ses détails. Et pas forcément une scène marquante quelle qu’en soit la raison, non juste une scène banale. Je me souviens d’un dialogue au mot près. Non je n’ai pas transformé ce dialogue avec le temps, car cette scène m’est déjà revenue plusieurs fois au fil des années. Quand je ne trouve pas le sommeil, ou quand la scène revient, bien entendu cela entraîne d’autres pensées, divagations, cela me ramène à une époque, cela me ramène des personnes, des lieux.
Puis tout à coup je me dis  : Mais bon sang pourquoi tu penses à ça ! On s’en fout des ces gens perdus de vue ! 

C’est là où la mémoire me joue des tours.
C’est encore pire quand la scène engendre des pensées du style ” J’aurais du faire ça, j’aurais pu dire ça “, scènes d’enfance ou de jeunesse, que j’aimerais revivre avec ma personnalité d’aujourd’hui, j’ai du faire un billet là dessus.
Mais heureusement pour moi cela fait plusieurs années que les scènes sont justes des souvenirs tristes, gais ou banals. 

Je me souviens lors de ma deuxième année de théâtre, j’ai dit à mon prof :  j’ai du mal à apprendre mon texte, je me souviens trop de celui de l’an dernier ! Il m’a dit  : celui là il faut l’oublier ! 
Si c’était si simple, ma mémoire ne me jouerait pas de tours ! 

Un jour j’avais fait un stage sur la mémoire, contrairement aux autres participants je ne venais pas parce que je perdais la mémoire ou que j’avais peur de la perdre, mais pour comprendre les mécanismes. L’observation est le premier point, mais là c’était pour le côté visuel, on apprenait aussi des techniques pour retenir les noms.
Je dois faire tout ça inconsciemment. 

Une autre fois une femme à qui je parlais de ma façon de me faire du souci et des films, c’était à l’époque où mes filles étaient petites, m’a dit que cela vient de l’imaginiation. On n’imagine pas forcément que le bon, même si je suis optimiste, on peut aussi imaginer le pire et se torturer avec ça. 

Une mémoire d’éléphant alliée à une imagination débordante peut donc me jouer des tours, quand je n’en fais pas des romans et que je n’arrive pas à dormir. C’est sans doute pour ça que j’ai toujours eu besoin de coucher des mots sur le papier…
Enfin sur l’écran avec mon clavier.

Peut-être qu’un jour je serai une mamie qui a perdu la mémoire, j’ai du mal à l’imaginer. Peut-être que je soûlerai mes filles en demandant si elles se souviennent. Je sais déjà qu’Artémis saura mieux me répondre, Athéna nous surprend parfois en nous disant : non je ne vois pas, je ne me souviens pas !

Eugène mon père m’a souvent dit qu’avec une mémoire pareille, j’aurais pu faire des étincelles dans de longues études….
Mais c’est une autre histoire ! 
J’ai obtenu mon diplôme de grande rêveuse !