Le week-end de Pâques a été très occupé, tant mieux puisqu’il me donne l’occasion d’écrire plusieurs billets.

Samedi je suis allée à la recherche d’une tombe. J’aime bien les enquêtes, et là dans un cimetière il y a beaucoup de trésors à découvrir et le temps s’est arrêté. Rien ne presse.

Comme Athéna travaille dans ce secteur à part, je suis abonnée à beaucoup de pages FB qui concernent les cimetières ou sépultures anciennes. C’est ainsi que je réponds à la demande d’une femme qui aimerait la photo d’une tombe dans un cimetière de Ville Natale. Il se trouve que c’est le cimetière immense où repose mon papa. Je lui écris donc en MP et elle me donne l’emplacement de la tombe. J’avoue que je suis un peu perdue, un canton je sais ce que c’est et où le trouver, mais allée X, rang Y  tombe numéro Z ? 
Je n’ai jamais vu aucun nom d’allée. Qu’importe je promet la photo pour samedi.

Il s’agit de la tombe d’un pilote de chasse décédé en 1957.
1957 ! Que c’est loin, je n’étais pas née. Il s’appelle Anatole. Il porte un prénom comme nom de famille, tiens comme moi avant !

Je me suis un peu renseignée auprès d’Athéna  sur la façon de se repérer dans un cimetière, elle m’a conseillé d’aller voir le gardien si je ne trouve pas.

Le samedi je constate avec plaisir que le canton E est le voisin de celui de mon père. J’abandonne ma voiture entre les deux cantons sans la verrouiller. Comme je le dis souvent à Martine, il n’y a que des morts. Et si l’un d’eux a l’intention de sortir de sa tombe, j’espère qu’il aura mieux à faire que de voler ma vieille break.

Ce canton est en travaux, on refait les allées. Par endroit mes talons s’enfoncent dans la terre. Je commence par faire les rangs un par un. C’est incroyable le nombre de tombes en béton, pleine de mousse, où le nom est illisible ainsi que la date. Mon répérage me montre que l’année 1957 est souvent représentée, mais qu’il est presque impossible le plus souvent de déchiffrer le nom. Sauf dans le cas où d’autres personnes d’une même famile ont été enterrées plus tard.

Que c’est triste toutes ces tombes oubliées ! Tous ces morts isolés certainement sans descendance, sans conjoint. Sans famille parfois quand le panneau : ” concession échue ” les décore. Mais c’est plutôt rare, les concessions à perpetuité étaient légions.
Dans ma tribu on met un point d’honneur à renouveler les concessions, même si c’est très loin sur l’arbre généalogique comme la mère de mon grand-mère. Et Martine compte sur moi pour reprendre le flambeau et contacter tout le monde plus tard pour partager les frais.

Où es-tu Anatole ? Voilà que je suis presque en train de m’attacher à ce soldat oublié !

Force m’est de constater que je me suis lancée dans une mission impossible, sans savoir où est l’allée, et sans nom lisible, vu la taille du canton j’en ai pour l’après-midi.

Je reprends ma voiture et je descends car ce joli cimetière est tout en colline, mon grand-père l’appelait ” Monte-À-regret ” et avait peur d’être enterré en haut… Par chance il est tout en bas.
Je me gare pas loin de la loge du gardien.

Il fait bien chaud dans la loge. Le gardien est charmant, il me fait asseoir. Je lui explique que je cherche une tombe et lui demande comment me repérer. Je lui donne le nom du pilote et les information que j’ai. Il cherche sur son ordinateur. C’est beau le progrès. Mais il ne trouve pas, il trouve des noms identiques mais jamais le bon prénom, et jamais dans le canton E.
Le gardien se lève et va voir les fiches carton. Des tiroirs métalliques classés par ordre alphabétique avec des fiches cartonnées qui coulissent sur un tube de métal. Je souris, j’ai connu ça dans mes premières années d’administration, même si je n’étais pas née en 1957 !

C’est amusant de voir ces fiches écrites avec une écriture penchée.
- Il y en a un paquet ! Me dit le gardien, le prénom comme nom est assez courant on dirait !
Il sort toutes les fiches et s’assoit à son bureau, il lit les noms, les prénoms.
Je déconnecte un peu, en fait je n’y crois plus, j’ai perdu espoir. Sur certaines fiches il y a beaucoup de prénoms : des familles entières.
Je n’ai aucune certitude qu’Anatole soit enterré seul, mais il me semble que la dame m’aurait précisé si ce n’était pas le cas.
Tout à coup le gardien s’écrie :

- Anatole ! Pilote !

Youpi !
Le soldat est bien enterré seul.

Il me dit : notez le numéro de la concession, je vais le noter sur le PC. Vous pouvez en avoir besoin.
Il retrouve bien les informations j’avais, allée, rang, numéro de tombe.
Puis sur l’écran il fait clignoter la tombe, c’est beau le progrès !  Et il m’explique :
- Voilà le canton E, là c’est l’allée.
- Ah bon l’allée c’est cette grande route où je circule en voiture ?
- Oui, donc garez-vous à peu près à ce niveau. Vous comptez à partir de là, 12 rang, et ensuite tombe numéro 10 en partant de là, ça c’est la ceinture ça ne compte pas.
Il me propose même de m’accompagner. Je lui dit non merci, je ne veux pas l’embêter plus longtemps. Je le remercie mille fois.

Je repars, je gare ma voiture.
Je compte, j’arrive à la bonne tombe. Oui mais ça ne correspond pas. C’est bien une vieille tombe, mais ” à ma grand-mère ” dit une plaque. Je trouve une autre tombe plus loin à droite qui semble correspondre. Mais par acquit de conscience je recompte encore et encore, je connais mon allergie aux chiffres, j’ai pu me tromper. Mais non c’est bien le bon rang mais pas le bon numéro.



Elle est bien vieille cette tombe. L’année de décès 1957 est lisible.  Pour le nom c’est très difficile. Je devine un AU majuscule, ce qui pourrait correspondre au nom. Je colle mes yeux à la tombe, j’essaye de deviner avec les doigts. Je n’ai aucune certitude, mais je n’ai pas d’autre choix, aucune tombe alentour n’est aussi vieille.
Je photographie la tombe sous tous les angles.
Plus tard j’explique à la dame mon enquête en disant que je n’ai aucune certitude, je ne voudrais pas faire de bourde. Mais elle me dit que ça lui convient. Elle est ravie et me remercie mille fois.

J’ai du passer deux heures au cimetière. J’ai aimé ce voyage dans le passé.
Comme j’ai passé peu de temps sur la tombe de mon père, j’y suis retournée avec Artémis le dimanche. Comme lorsqu’elle était petite elle a voulu aller voir le carré militaire 1939-1945 des soldats français.
Un jour qu’elle était avec Eugène, elle avait demandé :

- C’est quoi toutes ces croix blanches ?
- Les soldats qui sont morts à la guerre.
- Ben fallait pas la faire alors !
Eugène a ri devant cette logique implacable et enfantine.

Dimanche Artémis a même découvert le carré allemand dont elle ignorait l’existence.

Le temps s’est arrêté. Il pleut un peu et du haut de la colline je regarde ces alignement de croix et Artémis qui déambule. C’est toujours un peu triste et pourtant j’aime ces voyages dans le passé, dans la mémoire de tous ceux qui sont partis.