Mais cela ne vous surprendra pas, ce n’est pas le sujet que je voulais aborder, j’y viens, j’y viens !

Quand on travaille on a une vie sociale. Une phrase que vous entendez même si vous n’êtes pas proche de la retraite. Ceux qui ont connu le chômage, même si ils sont jeunes finissent toujours par le penser, et par s’ennuyer pendant ces heures où tous leur amis sont au travail.
J’en ai parlé récemment avec mon chéri.
Une blogueuse que je suis, écrivait récemment qu’elle n’avait pas besoin de la vie sociale qu’apporte le travail, étant restée de nombreuses années sans travailler.

Je me souviens d’une vieille femme au travail, elle paraissait au moins cent ans, alors qu’elle en avait 62. Elle faisait des pieds et des mains pour ne pas partir à la retraite, parce que disait-elle : ” je veux voir du monde “.
J’étais jeune et je riais sous cape : le travail ce n’est pas le club Med ! 

Aujourd’hui je comprends mieux que cela puisse faire peur. Je vous ai déjà raconté que j’avais répondu à un panel et que ” la Madame de la Linnecé ” comme disait Artémis posait cette question : ” avez-vous au moins une conversation de visu par jour ? “.

Je n’aime que les vraies conversations, les conversations de collègues me soûlent (je ne parle pas des conversations liées au travail).
Toutefois j’ai connu la solitude et j’ai pu mesurer l’intérêt des conversations anodines, cela aussi je l’ai déjà raconté : Les petites choses

Il y a un effet que l’on a tendance à négliger, l’effet coup de pied.

Mon ancien voisin et ami m’avait raconté son état d’esprit lors de son divorce : je ne voulais voir personne, mais j’ai fini par me donner des coups de pied au Q. Si on ne se pousse pas à sortir, on ne sort plus, on ne voit plus personne et à fortiori on ne rencontre personne. Depuis il est remarié, c’est gentil de demander…

Je suis calme et introvertie. Je suis bien avec mes livres et ma plume d’oie… enfin mon clavier. Je suis devenue sociable avec la maturité, mais il m’arrive encore bien souvent d’être invitée ou d’avoir prévu une sortie et de plus avoir envie d’y aller. Comme je tiens toujours mes engagements, j’y vais. Une fois sur place tout va bien. L’effet coup de pied.

Je pense que le travail a cet effet coup de pied. Qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il vente, que l’on soit fatigué ou non, que l’on ait envie de parler ou non, tous les matins nous rencontrons des gens. Certains ont peut-être des amis au travail, ce qui change la donne, pour la plupart ce sont des collègues.

Et tous les jours nous allons papoter, écouter les problèmes de train de Gisèle, la panne de chaudière de Marie-Berthe, la grippe du petit dernier… Avec le sourire à moins d’être un grinch.
Bien entendu moi aussi je papote autour de la machine à café, je ne raconte pas en détail les vacances de Noël, juste l’essentiel (bien mangé, bien bu), je n’ai jamais raconté mes voyages non plus, je me limite à l’essentiel parce que je me doute bien que l’intérêt des mes collègues est tout aussi limité que le mien à leur égard.

Au fond de moi je sais très bien que je partirai sans me retourner, que je me fendrais peut-être d’un petit mél de Bonne Année après mon pot de départ, mais je sais très bien que voilà… comment dire…. Je m’en cogne, zéro sentiments !

Un ami un jour m’avait parlé de ” page blanche ” dans un contexte moins léger que les conversations anodines.
Une personne lui avait fait des confidences pendant des mois, avait deversé dans son oreille attentive ses tourments et ses souffrances, puis avait disparu du jour au lendemain, montrant ainsi qu’elle n’avait aucun sentiment pour lui.
” C’est comme si j’étais une page blanche sur laquelle on écrit et qu’on jette ensuite “
Je laisse de côté le volet financier (il y a des gens dont c’est le métier et qui font payer la consultation) mais je retiens le côté page blanche…

Au fond la vie sociale, celle imposée par le travail, c’est peut-être la page blanche.

À mon humble avis cela concerne tout le monde, j’ai entendu des gens mariés se plaindre que la retraite leur ait fait perdre la vie sociale, ce n’est pas seulement valable pour les gens seuls. Ce n’est pas non plus une question de solitude, les conversations anodines je peux en avoir avec mes filles avec Martine ou avec ma tribu.

Ces personnes que nous voyons tous les jours sont un peu la page blanche sur laquelle on écrit non pas nos tourments, mais nos ” paroles éphémères et tout petits soucis ” comme le dit si joliment Renaud dans une chanson, et nous sommes aussi la page blanche pour eux.

Il y a des gens capables d’avoir une conversation anodine avec la boulangère, le pharmacien, la fleuriste. Pas moi. Un sourire, un mot ou deux, mais je ne m’éternise pas. C’est comme ça je n’y peux rien. De même j’ai toujours du mal quand la coiffeuse ou le chauffeur de taxi veut faire la conversation. Je suis dans mes rêves ou alors le contexte ne s’y prête pas, ou alors c’est un réflexe de ” parisienne ” comme dirait Jérémy à qui je n’ai rien demandé !

Quand Artémis vivait à Petite Colline elle avait du mal à supporter à la pharmacie que toutes les petites mamies devant elle racontent leur vie et mettent tant de temps à se faire servir. Question d’habitude.

Je peux comprendre ceux qui ont peur de ne plus avoir de vie sociale quand ils seront en retraite. Nous ne sommes pas tous taillés sur le même moule.

Cela me fait-il peur de ne plus avoir de vie sociale le jour où je ne travaillerai plus ?
Le jour où l’effet coup de pied ne m’obligera plus à voir du monde, me transformerais-je en ermite ?

Je dirais que pour moi c’est bien une page blanche et pas une ” vie sociale “.
Une vie sociale ce sont des amis, des relations, des activités, des centres d’intérêt.

Mais pas des collègues. Autrefois les garçons parlaient de relations imposées par l’état (le service militaire).
Je n’ai jamais cherché à revoir mes caramades de classe, si on avait du rester amis ça se saurait. Et je n’ai pas gardé un souvenir merveilleux des bancs de l’école.

Peut-être que j’aurais besoin de me mettre des coups de pieds au fesses. Peut-être que j’aurais besoin de me planifier un emploi du temps pour ne pas faire une indigestion de séries, mais la quille ne me fait pas peur.