vue_du_troisi_me__tageJ’aimais bien aller voir mes grands parents au deuxième étage du numéro 16. 

Ma grand mère toujours dans la cuisine. Chez eux l’entrée servait de “salon” il y avait la télé et un unique fauteuil pour mon grand père (que nous avons toujours) et puis après la salle à manger…

 Comme je l’ai dit les salons canapé + fauteuil n’étaient pas encore à la mode. De toutes façons où les auraient t-on casé dans ces petites pièces ? Une table, quatre chaises, c’est là que se passaient les repas de famille. 

Puis la chambre de mes grands parents, où j’ai si souvent dormi, le lit en bois ouvragé avec de nombreuses guirlandes de feuilles, et le visage d’une femme sculpté. Je l’appelais mon lit de princesse, nous l’avons toujours et je suis étonnée de sa taille, tout juste 1,20 m en largeur, et mon neveu de 1, 85 ne peut pas y dormir, ses pieds touchent le pied de lit.
Puis enfin la dernière petite chambre qui n’a jamais servi de chambre. Du lino par terre contrairement au parquet des autres pièces. Là mon grand père se tenait. Tout au bout de toutes les pièces en enfilade, j’allais lui dire bonjour. Il cannait des chaises. Une bohémienne lui avait appris disait-il. Ce mot n’avait rien de péjoratif à l’époque. Il le faisait pour des voisins, des amis. Plus tard mon père a appris la technique et maintenant ma mère s’y met. J’allais souvent avec lui à la vannerie acheter de la canne. Le magasin existe toujours (photo à venir).
Mes grands parents vieillissaient là, plus à l’aise chez eux que chez nous… Toujours prompts à dire quand lors des repas de famille à leur fils : “ramène nous au 16…”.

Un jour mon grand père passait dans la rue, avec sa “musette” de linge sale. Musette kaki, casquette, pantalon de velours, canne à la main. Un homme l’arrête dans la rue et lui demande de faire de la figuration pour un feuilleton. Mon grand père propose d’aller se changer.
- non non vous êtes très bien !

Le feuilleton s’appelait la ligne de démarcation. Chaque épisode racontait une histoire vraie de la guerre. Celui là était l’histoire d’une femme dont le mari avait été dénoncé car il aidait des personnes à passer la ligne. La cour du numéro 14 servait d’impasse (comme je l’ai dit plus haut, les cours étaient très longues). Mon grand père a du passer et repasser plusieurs fois, et discuter en passant.  Je pleure encore en le voyant. Puis on l’a payé 50 frs et il est parti. Martine s’est moqué de lui :
- grand père, vous n’êtes pas habillé à la mode ! C’est un film sur la guerre de 40 !

J’avais 15 ans quand mon grand père est tombé malade. Il a séjourné longtemps à l’hôpital. Il faisait partie de ces gens jamais malades, qui n’ont jamais vu un dentiste, mais quand il s’est allongé c’était pour de bon…
Quand il a senti que “les carottes sont cuites” comme il l’a dit lui-même, il a demandé à Eugène de le ramener.

- je veux mourir chez moi, au numéro 16.

C’est ainsi que nous sommes restés près de lui les derniers jours, où il parlait encore malgré le cancer de la gorge… Puis il s’est éteint… Et n’a pas eu besoin de changer de rue pour aller à l’église, celle que l’on voyait de nos fenêtres…

Ma grand mère a vécu longtemps seule dans l’appartement. Nous lui avons installé le téléphone dont elle a eu le plus grand mal à se servir. Mais après plusieurs attaques elle est venue vivre avec nous, tout en gardant son appartement.

L’appartement nous servait parfois. J’y ai emmené mon premier amoureux, parce que ce n’était pas comme il faut qu’il dorme sous le même toit que moi. L’appartement a aussi servi à Pierrick et Serena. Ma grand mère faisait aussi de longs séjours à l’hôpital ou en maison de repos. Mais régulièrement elle aimait revenir “chez nous” comme elle disait. Sans doute qu’elle a toujours espéré y revivre un jour…

Puis ma grand mère s’est éteinte à son tour… Quand mes parents ont vidé l’appartement je suis passée les voir, mais je trouvais ça trop triste. Le numéro 16 allait sortir pour toujours de notre vie…

maison_de_la_propri_taireÀ ce moment une “bibliothèque pour tous” s’est installée dans la cour. La lourde porte cochère restait ouverte.  De temps à autre, une fois tous les 5 ans environ, ma soeur Camomille et moi allions dans la cour, voire dans l’immeuble. Cédric y est sans doute moins attaché et Servane avait un an quand nous sommes partis.

Puis un jour ma soeur m’a dit : “c’est fini : il y a un digicode, et plus de bibliothèque, à moins de prendre rendez vous chez l’avocat du premier étage, on y entrera plus”…

Un jour alors que Serena avait acheté une nouvelle maison et nous la montrait ma soeur me dit : “regarde les fenêtres, comme au numéro 16” et j’ai regardé éberluée ces crémones bizarres que j’avais cru avoir oublié… (je n’ai pas de photos et je ne saurais pas les décrire).

Et puis le jour où j’ai commencé à écrire ces billets, j’ai eu envie de prendre des photos. Je me suis dit : “si il y a un avocat, il y a peut-être un bouton “porte” comme pour les médecins”. J’ai cru hurler de joie quand la lourde porte cochère s’est ouverte. Mauvais jour, hélas l’immeuble était en travaux, des échafaudages partout. Il a mal vieilli, de plus l’escalier a été repeint en bleu, très laid, et il n’y a plus le tapis rouge (si joli) avec les barres en laiton !

J’étais un peu inquiète, peur de rencontrer quelqu’un. J’aurais dit la vérité bien sûr, mais je préférais ne voir personne. J’avais mis mon apn en silencieux, oui je suis une enfant, il fait cuicui quand le flash se charge, il aboie quand je prends la photo ! J’ai failli avoir une attaque quand Athéna m’a appelé sur mon portable et que j’étais dans la cour :
- je te rappelle, je vais être grillée là !

Je suis rentrée dans le bâtiment A, j’ai constaté que la loge était devenue un appartement. Puis je suis montée. Ma surprise a été de voir l’escalier qui monte au 4ième. Je le voyais beaucoup plus long, beaucoup plus haut… Je ne peux pas dire pourtant que je le voyais avec mes yeux d’enfant : j’avais toujours régulièrement visité l’immeuble… Mais beaucoup d’années ont du s’écouler sans que je m’en rende compte depuis ma dernière visite..

J’ai monté cet escalier. J’ai constaté que le couloir du 4ième était fermé par une porte, plus possible de passer d’un immeuble à l’autre, le couloir doit faire partie de la chambre d’étudiant de mon père. Puis j’ai regardé par la fenêtre les toits, en haut des dernières marches qui mènent aux greniers débarras, et aux anciennes toilettes. J’aimais ouvrir cette fenêtre, car il n’y avait pas de garde fou, c’était dangereux et ça me plaisait. On la voit à droite sur la photo.

 

acc_s_grenierMon père m’avait raconté qu’un jour, alors qu’il était étudiant et absent de chez lui, ses copains avaient utilisé cette fenêtre pour monter sur le toit de zinc et entrer dans sa chambre par le  vasistas. Ce qui était extrêmement dangereux vu la hauteur, la pente du toit et la petite taille du vasistas. Mon père était furieux et ses copains contents de leur coup…

 

Mon père a d’ailleurs peint une aquarelle, qui représente le vasistas et la vue sur le clocher. Je l’ai chez moi. Un jour il a acheté un garage dans un vieil immeuble. En fait ces garages étaient des parties de bâtiments, du sol jusqu’au toit, avec une énorme porte en bois, et des fenêtres au dessus.

Le plafond très haut, avec une mezzanine, et au dessus une autre plus petite.  Il y avait rangé sa collection de violons et cette aquarelle. Je m’étais moqué de lui en lui disant qu’il aimait vivre sous les toits…

Un jour j’avais une vingtaine d’années. Un ami d’enfance de mon père s’était rendu au numéro 16 croyant trouver encore un membre de la famille. Il ne trouva personne, mais un voisin sut lui dire où habitait désormais mon père et sa famille…

Le numéro seize a gardé notre mémoire…

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immeuble_c_t__rue

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c_t__cour_immeuble

porte_batiment_A

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porte_cave

 

Réédition février 2008