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Hier dimanche par une maussade et venteuse journée de juin nous avons pris la route de la Normandie.

Deux voitures, dans l’une Camomille et Luc, dans l’autre, Cédric, Martine et moi.
Cédric conduisait, j’étais devant, Martine derrière.

Nous étions invités à déjeuner à une heure de route, chez un oncle et une tante à Saint Marcel, la petite ville où nous avons tant de souvenirs, toute proche de la maison de campagne dont j’ai raconté l’histoire en une dizaine de billets.

Il n’était pas question d’aller voir la maison, d’ailleurs Martine n’a jamais voulu la revoir, mais reprendre cette route que nous avons tant fréquenté des années durant, était un vrai bonheur.

Cédric est un peu paumé, les nouveaux ronds points, nouvelles bretelles et nouveaux feux rouges lui faisaient perdre ses repères. Mais dès que nous avons quitté la grande route et les Yvelines, la petite route de campagne n’a pas changé.

Les blés sont encore verts, il y a des coquelicots partout, je m’arrêterais bien pour prendre des photos. Dans les hameaux, de nouvelles maisons, de celles que nous appelons “maisons en carton” changent un peu le paysage, mais ce n’est pas trop grave.

Lorsque nous arrivons à Saint Marcel, des surprises encore, des sens interdit partout, d’énormes “pots de fleurs” en béton au milieu de la chaussée pour la rétrécir, comme si à Saint Marcel, la circulation était pire que sur le périph !

Nous voilà enfin dans la maison d’oncle et tante, ma sœur et son mari arrivent quelques minutes après nous. 

Le déjeuner se passe bien, les liens ne se sont jamais rompus avec cette partie de la famille, même si nous n’avons plus la maison comme trait d’union, cette maison où ils s’arrêtaient si souvent le dimanche après midi pour nous faire un petit coucou, avant que nous ne fermions tous les volets.

Camomille s’écrie : je veux faire un tour du champ ! Le tour du champ, c’est une balade très courte, le tour du grand champ cultivé juste devant notre maison. Malgré les nombreuses maisons en carton qui se sont construite, nous avons toujours eu la chance d’avoir une vue dégagée, un champ et la campagne à perte de vue en face.

Ce tour nous l’avons fait des millions de fois. C’est là que nous avons appris à faire du vélo, c’est là que nous poussions nos landaus de poupée, pour finalement pousser un jour de vrais landaus avec de vrais bébés dedans !
C’est aussi un tour que nous faisions adolescents avec le poste radio cassette qui diffusait le même slow en boucle, nous l’avons fait en mobylette, et plus tard, une fois adultes, nous aimions le faire la nuit, pour prendre l’air juste avant de se coucher.

Qu’il pleuve, qu’il neige (très rare) qu’il vente, qu’il fasse un froid de gueux ou un soleil de plomb (rare aussi), le tour du champ, c’était notre rituel.

Il y a avait un autre tour, beaucoup plus grand, mais on n’en parle pas ce dimanche.

Je m’écrie que c’est une très bonne idée. Il y a longtemps que je ne pleure plus la maison, longtemps que ça ne me fait plus mal. Ma fratrie et moi avons pansé nos plaies, et tous nous y sommes retournés un jour, séparément mais sans le dire aux autres.

Cédric a trop bu, je prends le volant. Mon oncle et ma tante montent avec nous. Ça fait drôle de prendre la route de La Folie après toutes ces années. Nous passons devant la maison pour nous garer dans le chemin de terre tout près. Martine ne veut pas descendre, elle a vu la maison en passant, ça lui suffit.

Le petit groupe part, je sors mon Aïe- Fone (j’ai changé de tel, mais tant pis, ça restera un Aïe-Fone ici) et je mets la musique que nous écoutions à l’époque. Camomille ne cesse de parler, en racontant ce que “nous” pensions ados, en réalité c’est ce qu’elle pensait elle, je n’ai pas les mêmes souvenirs, je rêvais comme je l’ai toujours fait, mais je ne pensais pas comme elle !
C’est l’inconvénient des tribus, de ma tribu : la tribu pense à ma place, pense à la place des autres, mais je m’en moque, je ne vais pas me laisser démoraliser par un si beau jour !

Au loin des bosquets d’arbres ont disparu, ça gêne les cultures et le passage de la moissonneuse un bosquet d’arbre en plein champ cultivé ! Le château d’eau a été rasé, il devenait dangereux.

Cédric souligne que tous ces souvenirs nous les avons partagé à trois. Servane, la petite dernière n’est pas là, ni aujourd’hui, ni hier. C’était encore une enfant quand nous étions ados, nous avons eu des amis à la la Folie, elle n’en jamais eu. Les autres familles étaient moins nombreuses que la nôtre, il n’y avait pas de petit dernier, et puis peut-être que c’était tout bêtement comme ça. 

En commençant la balade, nous avons remarqué que la voiture garée devant notre maison est partie en laissant gentiment le portail ouvert. Quand nous arrivons devant la maison, nous avons tout le loisir de la regarder, de la photographier. On se prend en photo tous les trois devant. Tous les arbres sont là, le cerisier, le sapin, le noisetier, le buis, aucun n’a été abattu. La maison est plus belle qu’avant, bien entretenue, ravalée.

Cédric est un peu perdu (il parait pourtant que les hommes ont le sens de l’orientation) il demande où est le terrain, celui où une maison a été construite, il ne trouve plus ses repères.

Je suis même entrée dans le jardin prendre en photo la porte de près. Et j’ai envoyé un MMS à mes filles, dommage qu’elles ne soient pas là !

Martine n’a pas bougé de la voiture, on lui dit que c’est dommage, elle aurait du venir, ça fait dix ans maintenant. 

Camomille et Luc reprennent la route aussitôt. Nous retournons raccompagner mon oncle et ma tante.

Quand je reprends le volant, je fais un détour pour faire un autre tour que je faisais en vélo. 

Après un dernier café, nous reprenons la route, il est 17 h, si nous voulons éviter de retrouver les joies des bouchons du dimanche soir, c’est la bonne heure pour partir. 

Cédric me laisse le volant, sa voiture est neuve et toute électronique, ça me change de ma vieille Peugeot, c’est presque trop cette voiture qui pense à ma place ! Elle arrête le moteur sans me demander mon avis aux feux rouges, elle s’allume toute seule sous les tunnels, Namého, je sers à quoi, moi ?

Mais je suis heureuse sur la route du retour. Ma mère et mon frère s’endorment comme des enfants, (décidément je serai toujours le chauffeur avec des enfants qui dorment à bord)
…et je suis seule avec ma musique et mes rêves sur ma petite rouge de campagne, où malgré la pluie j’ai du soleil au cœur. 

En rentrant j’ai tout raconté en détail à Artémis, et j’ai chatté longuement avec Athéna pour tout lui raconter aussi.

La maison de campagne restera toujours le souvenir d’années de bonheur et d’insouciance aussi bien pour mes filles que pour moi. Aussi bien pour ma tribu que pour les enfants de la tribu.