Ce matin j’étais dans le train comme tous les matins. 6 sièges, 3 sièges qui font face à trois autres sièges, je suis côté couloir car je n’aime pas être coincée.

Un homme monte et s’assoit en face de moi dans le siège du milieu. La soixantaine, des cheveux gris épars trop longs tirés vers l’arrière, un casque énorme sur les oreilles, un pull marron à fermeture éclair remontée jusqu’au cou.
À son attitude je vois qu’il se croit dans un train grande ligne.
Il y a des gens comme ça. Soit ils n’ont pas l’habitude de prendre le train de banlieue (ce sont souvent ceux qui vont descendre à Austerlitz pour prendre un train grande ligne), soit pour eux un train c’est un train. Ceux là enlèvent leur manteau et cherchent un crochet pour l’accrocher. Ceux là ne sont pas en transit comme les forçats des transports dont je suis.

L’homme en question a déjà son manteau sur les genoux. À sa droite un cartable informe à bandouillère, à sa gauche un étrange sac à carreaux qui ressemble à un sac à main de femme de qualité médiocre. Il pose ses pieds sur la barre du siège d’en face, barrant ainsi la route à la femme qui est assise côté fenêtre. Vous comprenez mieux pourquoi je n’aime pas être coincée !

Il ouvre le sac qui se révèle être une mini glacière. J’ai presque envie de rire, c’est clair il est dans un train grande ligne ! Puis il sort un sachet transparent et se met à croquer bruyamment des morceaux de pommes prédécoupés et des grains de raisins. Bizarre comme petit déjeuner. Ce faisant il pianote sur son téléphone. Plus loin il sort de sa glacière un essuie tout et une poire qu’il coince entre ses dents le temps de ranger le sachet.

Ma liseuse à la main je n’arrive plus à suivre le fil de mon roman. Il commence à m’agacer ce voyageur de train grande ligne. Il est temps de bouger. Le wagon s’est vidé, au fil de mon parcours il se vide à chaque station où sont implantés des immeubles de bureau dont les vitres reflètent le pâle soleil d’octobre. C’est le rêve pour moi, je change de place pour m’installer sur un siège côté fenêtre. 2 sièges face à 2 sièges, je me sens moins coincée.
Et je branche mes écouteurs pour écouter une playlist de musiques ensoleillées préparée par un homme qui m’est précieux.

J’ai du oublier le type. Au bout d’un moment je lève la tête et je constate qu’il est seul lui aussi sur les 6 sièges, il a changé de sens pour être dans le sens de la marche, toujours au milieu. Bien sûr le sens de la marche ! Ça aussi c’est important dans les trains grande ligne !

Personnellement ça me laisse de marbre. Il n’y a que lorsque je conduis que je préfère être dans le sens de la marche !
Ne riez pas ! J’ai horreur des marches arrières !

Quand j’étais au lycée, en cours de français on nous avait demandé d’inventer une vie à partir de l’observation d’un inconnu. Une voisine que l’on croiserait tous les jours, un inconnu dans la rue, un type dans un train de banlieue.

Je n’aurais aucun mal à inventer une vie à ce voyageur.

Et je sais déjà qu’il ne serait pas dans mon cercle d’amis. Ouh la vilaine !