Eugène nous interdisait de monter sur les toits des granges à la Sauvageonne. Pour éviter de casser les tuiles. C’était surtout valable pour la grange dont le toit descend presque jusqu’au sol. Une pente du toit descend plus bas que l’autre à cause d’un appentis. Et pour l’autre pente, inutile d’y penser, la grange est accrochée à la pente, et l’autre côté du toit il faut une grande échelle pour y monter.

Bien sûr nous y montions tout de même, pas pour le plaisir mais parce qu’il y avait toujours un ballon, un volant de badmington ou aussi très souvent des parasols qui se retrouvaient sur le toit. Parfois même c’était Eugène lui même qui nous demandait d’aller remplacer ou replacer une tuile, à l’époque il n’y avait pas de tôle en dessous, ni de pare pluie. C’était bien avant qu’Athéna et Jim (qui n’étaient même pas nés) ne passent deux étés à refaire le toit.

Les tuiles les plus cassées étaient celles d’en bas, et cela énervait Eugène pour des raisons esthétique, c’est vraiment dommage, ce sont celles que l’on voit le mieux.
Un jour Eugène demande à Cédric d’aller replacer une tuile, en redescendant Cédric s’y prend mal et casse une tuile. Ausitôt après Cédric saute à cloche pied et j’écarquille les yeux affolée par ce comportement et comprenant aussitôt.
Eugène lui ne voit rien et s’écrie en approchant du toit :
- Oh non ! Tu as encore cassé une tuile !

Mon frère est blanc, et je crie : ” Papa ! Emmène le à l’hôpital vite ! “

Mon père tout penaud part pour les urgences de Petite Ville du Sud.
Inutile de dire qu’une tuile cassée et pointue qui s’inscrute dans le genou, ça fait pas mal de points de suture.

Comme je peux comprendre tous ces animaux qui se plaisent sur les tuiles rondes et chaudes ! Les lézards, les papillons ou les guêpes qui préfèrent parfois se cacher dessous. Les chats qui s’y promènent.

Un matin je me lève et je trouve sur le toit de la grange un gros lézard vert. Il ne bouge pas, surprenant. Je ne lui fais pas peur. Je m’approche plus près et je remarque qu’il est mort. Notre chat de l’époque a planté très discrètement ses crocs des deux côtés de son cou. Il devait avoir une sacrée forme pour réussir à attraper un lézard ! Le lézard était magnifique je l’ai pris plusieurs fois en photo, (c’est rare qu’un lézard prenne la pose) avant de l’enterrer.

Mais monter sur un toit de tuile chaude était un plaisir autorisé sur le toit de la ruine car la toiture était irrécupérable. Eugène me conseillait de rester sur le faîte consolidé avec du ciment, pour éviter de me blesser. La ruine est pratiquement encastrée dans la colline. Il faut grimper sur des rochers pour monter par l’arrière du toit.

Je laissais mes t’ongs pour marcher sur le toit. Parfois les tuiles étaient brûlantes. J’allais jusque sur le devant. Là j’avais une vue merveilleuse sur la vallée et aussi sur la Sauvageonne. Je m’amusais aussi car personne ne pensait à lever le nez, je faisais des blagues à mes frère et soeurs en leur lançant une branche ou en criant OUH !

J’ai gardé une photo de moi, je dois avoir 11 ans. Bronzée comme un pruneau, un débardeur, un short et une drôle de casquette, elles étaient à la mode à l’époque en coton très colorée, un peu bombée.
La photo de l’enfance d’une grande rêveuse sur des tuiles chaudes.

Des années plus tard mon père a remplacé les tuiles par des tôles. C’est une ruine, pas grave, intutile que ce soit beau ! J’ai protesté bien sûr.
Il m’avait promis qu’un jour on remettrait des tuiles…
Quand je dis à mes gendres qu’il faut remettre des tuiles rondes, ils me disent que personne ne me fera un toit sur des murs qui tiennent à peine, c’est une ruine n’oublie pas !

Bien entendu je ne suis jamais remontée sur le toit, des tôles brûlantes n’ont rien de poétique.
Mes filles y grimpent parfois juste parce que c’est facile et que la vue est belle. Cela les amuse aussi de voir que leurs cousins ne sont pas à l’aise sur un toit !

Un jour il faudrait qu’un institut de bien-être propose : sieste sur un toit de tuile ronde et chaude.