fontaine6Nous voilà donc partis tous les trois en voiture. Mon ami Pierrick me fait des clins d’yeux, me donne des coups de coude, me regarde, pas la peine de parler, je comprends :
- Hein il est bien mon frère non ? Tu veux pas sortir avec lui ? Ce serait chouette non !

J’étais (je suis) une rebelle. Je n’ai jamais beaucoup aimé qu’on me dise où aller et comment. Qui plus est je n’ai jamais compris ce besoin qu’ont les amis garçons de vouloir me caser. Soit me caser tout court (ils ont peur de quoi ? Qu’un soir de pleine lune je leur danse la danse des amoures comme si il était le dernier mâle sur terre ?). Soit me caser avec leur frère, cousin, meilleur pote. C’est quoi ça, une façon de garder un œil sur moi, au cas où j’aurais envie d’épouser un australien et de partir avec lui ?

Ce n’est pas le propos du jour mais il y a pire : l’ami qui vous présente un type improbable qui ne plairait à aucune femme normalement constituée ! Soit il n’a rien compris aux femmes, soit vous êtes vous même une femme improbable qui ne plairait à aucun homme normalement constitué !

Mais je m’égare ! Je veux en venir où ? Mon regard sur Marc aurait sûrement été différent sans les coups de coude de Pierrick. J’étais jeune je le rappelle.

Pendant que mon traître d’ami exhibe ses mollets poilus, Marc et moi nous parlons. Je ne suis ni aveugle, ni sourde, je vois les regards j’entends les compliments. Il est ingénieur, il me dit qu’il a rompu il y a peu avec son amie. L’appareil photo greffé à l’oeil je prends en photo mon ami. Marc discute photo il s’y connaît. Il me parle de la région, s’intéresse, me demande ce que je fais l’été.

Il est un peu maigre. Il est beau. Mais je reste sur mes gardes. Je le trouve aussi trop vieux, trop sérieux. Je sens quelque part un homme qui veut une relation sérieuse. Moi je délire avec ma sœur et mes copains. Je ne suis pas prête et je suis bien chez mes parents. Je suis en vacances dans le Sud, mais j’habite l’Île de France. Alors dans ma tête d’ado je me vois déjà tout quitter à sa demande… Et je freine des quatre fers !

La fin du match arrive. Je propose d’aller boire un verre. Mais Pierrick est invité par ses potes de foot. Du coup je me retrouve au café avec Marc. Nous continuons à parler. Les copains de ma bande sont là pas loin. L’un deux vient me voir et me dire qu’il fait une soirée pour son anniversaire. Je suis contente, chouette !

Puis enfin Marc me ramène, après avoir récupéré mon vélo chez lui. Des années plus tard il me dira qu’il m’a raccompagnée chez moi comme si c’était un souvenir inoubliable. À tel point que je me suis souvent demandé si je n’avais pas perdu la mémoire en cours de route. Se pourrait il qu’il y ait eu une autre occasion ? Une autre fois où il m’aurait raccompagnée ? Je ne sais pas quelque chose de plus marquant, plus romantique par exemple la nuit après une fête ?

L’été suivant Pierrick nous a invité mon frère, ma sœur et moi à manger avant la fête du village. Une immense table dans la cour de la maison, une ambiance festive, nous étions à côté des musiciens. Après le repas, les musiciens ont demandé à Marc de s’occuper du son sur une console au milieu de la piste. Je me souviens que je suis allé lui parler.

Le temps passe tout le monde se marie, a des enfants, on le sait par les parents. Seul Pierrick (marié deux enfants) est resté dans le village.

La relation avec Pierrick n’a plus jamais été la même après son mariage. On se dit des banalités, malgré mes tentatives pour avoir des conversations plus profondes. Du coup j’ai plus de choses à dire à ses frères qu’à lui. Jean-Paul par exemple, je l’ai plus connu adulte que jeune.
Et Marc. Marc s’est marié a eu des enfants. Il est allé vivre quelques années à l’étranger et je l’ai revu avec deux enfants en bas âge. Marc a changé, il n’est plus maigre, beaucoup plus beau. Je connais sa femme qui a plus sympathisé avec ma sœur qu’avec moi.

Je me souviens d’un jour où Marc et sa femme nous avait invité à boire l’apéritif dans la ferme de Pierrick qu’il occupait pour les vacances. J’y étais avec mon frère, d’après mes souvenirs il me semble que j’étais déjà divorcée, je me souviens d’un aparté avec Marc nous parlions de l’étendue des cultures qui appartenaient à Pierrick.

On se voit tous les ans. Bonjour ça va, les enfants vont bien, et tes sœurs, frère, parents ? Il connaît le nom de mes filles, je sais celui de ses fils. Je le croise souvent une seule fois l’été, car il  ne reste jamais bien longtemps chez ses parents.

Il est vrai que je me suis souvent demandé pourquoi je ne lui avais pas donné sa chance à l’époque. Trop jeune, trop bête, qui sait ?  Mais je ne le connais pas vraiment alors ce n’est pas un regret non plus.

C’est comme ça ce soir là. Il est seul et nous parlons plus que d’habitude. De loin je vois ma fille et son copain me faire des clins d’yeux, se donner des coups de coude !
Décidément rien ne change !