arbre

2 h du matin, arrivée à la maison. L’arrivée n’est pas la même que les autres, même si je ne suis pas encore en vacances, c’est l’été et j’ouvre la maison pour deux mois. C’est toujours une grande satisfaction, un sorte de grand départ, c’est parti pour l’été, cette fois c’est la bonne.

Et puis une autre satisfaction beaucoup plus terre à terre, c’est que je range pour longtemps les volets qui se vissent, les portes, les barres, que ce n’est pas demain la veille que je vais ressortir les tournevis, les pinces, les vis (quoique on ne sait jamais).

L’herbe est tondue, et déjà jaune, des paquets de paille volent un peu partout, le nouveau jardinier n’est pas super soigneux, il trouve que nous ne le payons pas assez, on ne le fait venir qu’une fois, alors que pour lui, il faudrait au moins 3 tontes, mais la taille du terrain est inversement proportionnelle à celle de nos portefeuilles. 

Comme toujours je vais allumer le compteur dans le noir, puis ouvrir la maison. Martine et Jolinette se couchent en haut, je descends dans ma chambre, pas encore accessible de l’extérieur.

J’ai l’impression que c’est la première fois depuis des siècles que je suis seule pour la première nuit. Mes filles ne sont pas là, d’habitude je leur dis “allez vite, faites vos lits et on dort”. Elles ne se rappellent plus où sont leurs draps et couvertures, elles sont surexcités et n’ont pas envie de dormir, normal c’est moi qui conduit, et puis elles retrouvent des souvenirs partout, des affiches des bals de village, des photos de l’an dernier, les signatures des copains sur les montants du lit superposés. Du coup nous discutons jusqu’à 4 heures du matin.

Mais pas cette fois ci. Je peine à trouver le sommeil, je pense à la longue journée que j’ai vécu, les yeux fixés sur les poutres. J’ai du mal à croire que ce matin je passais un oral de concours dont je revis encore chaque moment et que cette nuit je dors à la Sauvageonne.

La sensation de nostalgie d’été s’accentue le matin. Il fait très beau, le soleil entre par la fenêtre. Des photos me sourient sur l’armoire. Puis je vais à la cave, où un cubi de bière vide me rappelle notre dernière escapade aux trois brasseurs, avec les filles, Alex et Gaël. Je fais le tour de la maison, la piscine encore fermée, les granges où quelques bouchons de canettes de bière trainent encore.

Les souvenirs de fêtes en même temps que cette angoisse, cette peur que tout s’arrête, qu’un jour je me retrouver seule dans cette grande maison…

Une fois de plus… Oui car tout ça je l’ai déjà vécu. Le temps des fêtes, des amis, et un jour mes sœurs et mon frère et mes amis,  envolés vers un mariage heureux ou non, et moi malheureuse en ménage, amoureuse de mes filles, mais n’en souffrant pas moins de solitude.

La vie est faite de deuil et j’ai toujours la sensation que je vais être abandonnée comme une petite fille au bord de la route, tandis que les autres traceront la route. Que suis je sinon une petite fille ?

Vers 10 h, je lui parle, il est à GrandeVilleduSud. Je le savais, bien sûr, d’habitude il est là le jour même de mon arrivée. Un jour aussi je regretterais de ne plus voir sa voiture monter le colline. Il me dit qu’on se verra peut être dimanche, qu’il ne sait pas quand il rentre.

Plus tard je parle à mes filles. Elles me bombardent de questions, presque jalouses de ne pas être avec moi.

Je me dis que j’ai encore quelques belles années devant moi !

Et puis la journée commence. J’ouvre les portes, les volets, les fenêtres, avec Jolinette dans mes jambes qui me demande : “tu n’en as pas marre de faire ça, pourquoi c’est toujours toi”.

Au bout que 4 fois je lui dis que personne n’a envie de le faire, mais que ça m’est égal. J’aime la Sauvageonne, et je ne supporte pas de la voir fermée.