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Vous êtes arrivé là, cherchant peut-être une réponse. Ou poussé par une curiosité inexplicable. Parce que vous le savez, un jour, votre mère va mourir. Alors, que va t-il se passer ?

Lorsque votre mère, votre père, votre époux, épouse ou qui que ce soit d’autre de proche de vous va mourir, cela commencera par des mots.

“  Il est mort … ” elle est partie…  ” c’est fini …”


Que vous vous attendiez ou non à cette mort, ces mots provoqueront en vous un choc, une douleur incomparable, difficile à exprimer autrement que par les pleurs. Un décès, qu’il soit la suite inévitable d’une longue maladie, doux dans le sommeil ou brutal à la suite d’un accident ou d’un cœur qui lâche est toujours un choc.

Vous saviez, au fond, qu’elle arriverait, la mort. Mais vous ne vouliez pas y penser, c’est bien humain. La mort d’un proche, on la met de côté. On espère toujours que les gens qu’on aime ne nous quitterons jamais.

Après ces mots donc, prononcés par un médecin, un membre de la famille, vous serez sous le choc, vous ne voudrez pas y croire. C’est le déni. Vous ne voudrez pas que votre mère soit morte. C’est inimaginable qu’une maman meurt.

“Ce n’est pas possible, non “

Au fil des minutes, vous ne cesserez de pleurer. Vous serez peut être seul(e), peut-être avec votre conjoint, vos enfants, peut-être au travail et vous n’aurez qu’une envie : hurler, aller vous coucher, espérer vous endormir pour vous réveiller et vous apercevoir qu’il ne s’agissait que d’un mauvais rêve.

Mais il n’en sera rien, votre mère sera toujours morte.

Alors que vous commencerez à contacter vos proches : famille, amis en ayant la tâche difficile de leur annoncer à eux aussi, on vous ramènera sur terre, entre deux sanglots :

” As-tu appelé les pompes funèbres ? Il faut faire vite”


Non, vous l’aurez pas fait, vous n’y pensiez pas. On ne pense jamais à ces choses là. Vous aurez envie de hurler, encore, de passer la main, que quelqu’un le fasse pour vous. Vous aurez autre chose à penser.

Vous vous sentirez anéanti(e), incapable de parler à un étranger et de dire à nouveau « Maman est morte ». Qu’êtes vous censé dire après ? Faut-il préciser la cause du décès ? Va t-on vous expliquer ce qu’il faut faire ?

Vous êtes novice en décès. On l’est toute sa vie certainement.

Mais vous les contacterez, les pompes funèbres. Vous n’avez pas le choix, c’est inévitable. Une infirmière de l’hôpital vous aura gentiment donné la carte de visite de l’entreprise de pompes funèbres du coin, ou la secrétaire de la mairie l’aura fait. Vous ignoriez que ce qu’elle a fait est illégal et lui est passible de 45 000€ d’amende. Et vous appellerez la société de pompes funèbres.

Un conseiller très professionnel vous donnera rendez-vous.

Le jour même, ou peut-être le lendemain, vous préférerez que  tout ça se passe vite, vous vous rendrez à la société de pompes funèbres. Vous aurez passé la nuit, ou l’après midi, à chercher le livret de famille de votre mère puisqu’il était impératif de l’apporter. Vous ne le saviez pas. Vous auriez préféré ne rien penser, ne rien chercher. Ne rien faire d’autre que d’évacuer la douleur qui vous accablera. Vous aurez mal à la tête d’avoir trop pleuré, et vos geste seront ceux d’un automate.

On vous installera dans un bureau.

” Quand aura lieu la cérémonie ? “


Demanderez-vous. C’est cela qui importe maintenant, c’est tout. Mais le conseiller funéraire vous ramènera une fois de plus, sur terre : le jour de la cérémonie, c’est un détail, mardi si vous le souhaitez, ou  jeudi.

Ensuite il vous posera un flot de questions dont les réponses lui sont indispensables :

 

” Quel mode de sépulture avait choisi votre mère ? Avait-elle une concession ? Souhaitez -vous faire effectuer des soins ?”


Ces questions, on ne vous les avait jamais posées. C’est la première fois que vous devrez y répondre. Et vous ne comprendrez rien. Lorsqu’avant, vous pensiez “pompes funèbres”, vous pensiez ” choisir un cercueil “. Et c’était tout. Et vous découvrirez que le cercueil, comme le jour de la cérémonie, importent peu.

On vous parlera d’ayant-droits, de concession, de capiton et de tout un tas d’autres termes que l’on apposera ou non sur un devis. Vous vous laisserez porter par le professionnel qui vous expliquera, mais votre tête sera ailleurs. Souvent vous répondrez :

“Je ne sais pas”

Vous vous remémorerez quelques souvenirs. Ces weekends ou vous passiez la voir, elle avait toujours un petit quelque chose pour vous, ou pour les enfants. Ces weekends ou vous ne passiez pas la voir - pas le temps - même si vous saviez sa déception. Cela provoquera des remords, vous retiendrez vos larmes. Vous repenserez à votre enfance. Vous voudrez y retourner, et ne pas être là. Là, justement, le conseiller funéraire vous posera encore une question, vous demandera de choisir encore une prestation.

Vous essayerez d’y réfléchir : vous avait-elle dit quoique ce soit à propos de ses obsèques ? Non, elle n’aimait pas parler de la mort. Ou peut-être que oui, elle en avait touché un mot, une fois.

 

” Simple “

 
Qu’est ce que cela voulait dire des “obsèques simples” ? Rien dans ce que l’on vous a demandé n’est simple.


On vous présentera des papiers. Transport, mise en bière, soins, travaux, il y en aura tellement. Vous les parcourrez sans vraiment comprendre. Vous signerez. On vous remerciera.
Au bout d’une heure, vous sortirez de la société de pompes funèbres, devis et bon de commande en main. La cérémonie sera jeudi, a dit le conseiller. Jeudi. Vous aurez toujours mal à la tête, mais vous pourrez pleurer à nouveau, vous étonnant du nombre de larmes qu’un être humain peut faire couler.

Votre sœur sera arrivée, ou votre frère, votre tante, une personne de la famille. Elle vous aidera à trier les papiers. Vous ne pensiez pas cela si urgent. Vous auriez aimé rester avec les enfants, qui semblent ne pas saisir ce qui se passe. Comme vous. Comme tout le monde.

” Maman n’avait rien “

Dira votre sœur. Bien sûr que si, répondrez-vous. Elle avait du cœur, elle avait la joie de vivre, elle avait ces vieux bibelots chinés. Seulement elle n’avait plus d’argent. Elle survivait avec sa maigre retraite. Vous aussi, avec les deux salaires à la maison et les enfants, vous survivez. Vous n’êtes pas des plus malheureux, mais vous n’êtes pas des plus riches. Qu’est ce que ça fera de toute façon, que Maman n’aie rien? Elle n’aura plus besoin de rien maintenant. On vous ramènera sur terre, encore : oui, mais les obsèques, il faut les payer. Comment règle t-on une facture de 4000€ avec rien ?

Mardi on vous contactera. C’est la société de pompes funèbres : 

 

 

” Il y a un problème “


Le caveau familial n’aura plus de place pour accueillir le cercueil de Maman. Il faudra faire des réductions de corps. Mais il faudra retrouver les ayant-droits, les cousins ou cousines, oncles ou tantes, ils devront vous signer un papier. Le mal de tête reviendra.

Vous allez certainement pleurer, encore. Votre famille sera là, vous vous soutiendrez tous, mais vous vous sentirez seul(e) au monde. Vous voudrez ne penser qu’à elle, qu’à Maman. Parler d’elle, dormir, partir loin, arrêter de souffrir, qu’elle revienne. Vous lui en voudrez parfois :

 

 

” Pourquoi n’a t-elle jamais rien dit de ses obsèques ? “


Vous vous en voudrez aussi. De lui en vouloir, alors qu’elle n’est plus là. De ne pas y avoir pensé avant, vous aussi. De ne pas en avoir parlé. Ҫa n’aurait fait de mal à personne. Vous vous direz que vous auriez pu choisir un cercueil “simple” dans le sens où elle l’entendait, que vous auriez pu anticiper ce caveau plein, cette facture qui s’alourdit et que vous n’avez pas les moyens de payer. Vous vous direz :

 

 

” Finalement, qu’est ce que ça aurait changé d’en parler ?