montlauzun1sepiaIl y a des moments où on se sent impuissant. Incapable d'aider, de tendre une main.

Bien sûr tout ce que je vais dire, cela fait partie des choses qui m'interpellent, et peut être que je vais me répèter et que ce billet va ressembler à des précédents, comme Les choses qui ne se disent pas, ou l'indifférence... Mais on ne se refait pas, n'est-ce pas !

Ce midi j'ai mangé avec une collègue, Christine. Pas une amie (je l'ai dit je n'en ai pas), je la connais depuis longtemps, et je connais son histoire sans que nous soyons pour autant intimes.

Elle n'allait pas bien. Elle avait passé des vacances exécrables. Mais il faut que je raconte tout depuis le début.

Elle a 7 ans de plus que moi. Elle est célibataire, ce n'était pas vraiment son choix. La vie a choisi pour elle. Elle n'est pas la plus jolie et en a beaucoup souffert. Mais il y a sûrement d'autres raisons. Un mal être et une fâcheuse tendance à sortir les griffes plutôt que de montrer sa fragilité. Il y a longtemps que j'ai compris ce que son agressivité et son intolérance cachent : comme tout un chacun un grand besoin d'être aimée, acceptée. Mais tout le monde ne voit pas ce que je vois.
On attrape pas les mouches avec du vinaigre, et elle ne s'est jamais remise en question.

Ses parents étaient des gens modestes. Un peu trop gentils sans doute, un peu trop dépassés par leur filles. Elle est l'aînée, elle a une petite soeur, très jolie, très sûre d'elle. Christine s'efface, se roule en boule. Heureusement pour elle, elle a toujours aimé les voyages et très tôt a décidé de bouger. Lorsque la petite soeur connaît son futur mari, celui ci dort dans la chambre des deux soeurs. Pas un instant les parents ne songent que la cohabitation avec un couple (et leurs ébats nocturnes) pourraient perturber Christine. Elle le reprochera plus tard à ses parents. Trop tard. Elle est la mal aimée. Du moins elle le croit.

Sa soeur et son mari quittent la maison, elle aussi. Christine travaille. Elle voyage. Mais ses week-ends elle continue à les passer en famille, avec ses parents, ou avec sa soeur et ses enfants, comme beaucoup de célibataires qui ne savent pas quoi faire d'autre. Comme tout le monde elle a des amies qu'elle perd de vue, qui se marient, comme tout le monde elle vieillit, s'aigrit. L'été elle partage ses vacances entre un voyage pour elle et un séjour où elle emmène ses parents en voiture. Elle est disponible, pas sa soeur.

Elle prend des anti-dépresseurs, voit un psy. Et commence sérieusement à voir d'où vient le problème et quels comptes elle doit régler avec ses parents. Mais ils sont vieux et elle n'a qu'eux. Ils sont les seuls qui l'aiment, qui l'écoutent, qui se soucient d'elle. Elle perd son père il y a 3 ans. Comme elle a tendance à se renfermer sur elle même, à montrer les dents, personne ne compatit, personne ne la plaint, elle s'en plaint.

Puis elle s'occupe de sa mère qui va très mal. Sa mère décède trois mois après. Christine est seule au monde et inconsolable. Sa vie continue comme avant. Sa soeur l'emmène en vacances, l'invite en week-end, par pitié sans doute. Elle voyage toujours, mais en a assez d'être celle qui est seule.

Et puis la famille chacun sait que ce n'est pas idéal. Qu'il faut une vie en dehors.
Ce midi elle m'explique son problème : sa nièce en pleine crise d'adolescence la prend pour bouc émissaire. Elle l'accuse de coller ses parents, d'être toujours en deuil et de les attrister. Sa soeur et son beau-frère (qui doivent ressembler aux parents défunts) ne réagissent pas, laissent faire. Elle se retrouve presque en quarantaine, avec uniquement sa soeur pour lui parler.

Je lui demande pourquoi elle n'a pas fait sa valise pour rentrer. Elle me dit que son départ aurait causé un soulagement et pas des regrets.

Puis elle me parle de choses classiques que je connais déjà : de la difficulté de se faire des amis, de la lassitude de partir seule en voyage organisé, qu'elle ne croit plus à l'amour, de toutes façons elle a toujours été eclipsée par sa soeur ou par une amie. Qu'elle a vu un psy, oui et même plusieurs... Qu'elle doit faire le deuil de ses parents.

Elle me dit qu'elle a arrêté les antidépresseurs et qu'elle va mal. Elle est prête à pleurer. Une telle détresse presque palpable.

Que dire, que faire ?

Que j'ai bien cerné le problème, et depuis longtemps d'ailleurs ! Qu'elle doit déployer ses ailes, couper le cordon, quitter sa famille, prendre des distances, lâcher prise, prendre le large...
Et je lui propose quoi à la place ? le vide, le néant, la solitude, la souffrance ?
T'inquiètes pas ma cocotte, tu vas en baver quelques années mais après ça ira ? Je lui propose quoi qu'elle n'ait déjà essayé ? Je lui donne quoi des conseils bidons "sors, bouge !".
Je pourrais aussi lui dire de cesser de montrer les griffes, mais je suis qui moi pour la juger ?
Je pourrais lui proposer de partir avec elle, sauf que je l'ai déjà fait et qu'on ne se ressemble pas (voir paragraphe plan galère, )

Alors je ne dis rien, à part "Courage". Et je repars en rêvant que j'ai une baguette magique et que je fais apparaître un homme charmant, assez psychologue pour voir sous l'armure, assez patient pour savoir attendre, assez aimant pour la guérir...

Mais voilà je suis juste une grande rêveuse, je n'ai pas de baguette magique...