Jardin_by_louisianneIl y a peu de temps, Artémis a été hospitalisée trois jours...
J'en parlerais peut-être, mais pour le moment je n'ai pas envie, et puis ce n'est pas le sujet...

Artémis  n'aime pas la télé, elle lit peu, à part des BD, elle avait son portable, son mp3 et nos visites mais ça ne suffisait pas à tuer le temps...

Aussi Athéna eut une idée brillante, comme je demandais à Artémis : que veux tu que je t'amène quand je reviens ?
Athéna dit : apporte lui ton journal de jeunesse ! 
Un peu surprise, je lui dis :
- mais tu as vu le pavé ? Quel âge tu veux ?
- 17, 18 ans...
L'âge d' Artémis, bien évidemment !

Avant d'aller plus loin, il faut que je précise...  Ou plutôt avant qu'on me traite de mère irresponsable qui ne sait rien des dangers que cela représenterait pour une ado de lire les écrits de sa "vieille"...

De 13 ans jusqu'à 20 ans, j'ai écrit tous les jours... ou plutôt tous les soirs, mon journal. Même si je n'avais rien à dire, même si j'étais épuisée, même si je me couchais à 3 h du mat et que ma soeur râlait parce que je n'éteignais pas. D'ailleurs, plus elle râlait plus elle me déconcentrait, et moins j'écrivais vite !

J'écrivais pour me souvenir, pour ne rien oublier. Ni les mimiques de mon grand-père, ni les bêtises de mon frère. Chaque phrase prononcée est retranscrite, si la conversation en vaut la peine bien sûr !
Bien souvent, mon journal me servait de preuve dans les discussions familiales, "Comment ça l'oncle Hector est venu en 78 en même temps que la tante Ursule ? Tu paries ? Je vérifie ! Comment ça Machin est mort en 81, c'était en 83..."
D'ailleurs je n'avais même pas besoin de sortir mon journal, car j'ai de la mémoire et en plus quand on écrit les événements, on les retient d'autant plus...

Bien sûr on s'en fout ! Aujourd'hui je me moque pas mal de prouver par A + B que l'oncle Hector a rencontré la tante Ursule, mais j'ai tout de même eu du plaisir à relire les bons moments passés avec mes grands parents disparus, y compris des phrases dites et oubliées...

Comme je l'ai dit, j'écrivais pour me souvenir, mais bien sûr je parlais aussi de mes états d'âme et de mes amies, et aussi de mes petits amis... Mais je pouvais le confier à mes filles sans crainte : j'étais très "fleur bleue" (encore une expression de l'époque) et beaucoup moins délurée qu'elles à âge égal.
Et si il devait se passer un truc un peu osé, je le décrivais toujours avec des métaphores, sans jamais entrer dans les détails, et toujours en romançant....

Donc mon journal est écrit comme un roman. Mais il y a aussi dedans des lettres, des photos, des cartes postales...
Mes filles connaissaient son existence, elle avaient déjà essayé de lire les 13 cahiers d'écolier de 200 pages, reliés par 4. Mais elles étaient plus jeunes et l'avait trouvé barbant. Ce qu'il est aussi, bien évidement ! On ne peut pas écrire tous les jours, même si on a rien à dire, sans qu'il y ait des passages barbants !

Je confie donc mon précieux journal à Artémis. Elle le lira beaucoup, puis résumera à sa soeur par téléphone, ou alors lui fera lire des passages sélectionnés, ou encore, elles liront ensemble certains passages.

Artémis est d'abord surprise par la qualité des cahiers d'écolier (amusant d'ailleurs ce choix ! Pourquoi des rayures Sieyes et pourquoi (comme disait Camomille qui en a tenu un moins longtemps) pourquoi respecter la marge comme si on avait besoin d'être corrigées !
D'ailleurs maintenant mes carnets qui ont remplacé mon journal ont des pages toutes blanches ou juste avec une ligne...
Artémis a aussi admiré ma façon d'accrocher les cahiers entre eux... À l'époque, ils avaient même une couverture en tissu de velours vert que j'avais cousu exprès !

Elle a d'abord regardé toutes les photos, les lettres, puis a gardé le meilleur pour le soir quand elle serait seule. Le soir même, à la maison, j'entendais Athéna pouffer de rire au téléphone avec sa soeur (à l'heure ou les heures sont illimités sur leur portable).

Le lendemain j'ai demandé à Artémis ses impressions, en vrac :

Tu fais trop durer le suspense... ça ressemble  à un roman, tu fais trop de descriptions... On se croirait dans Dawson ou dans Le destin de Lisa... C'est quand la rupture avec Marc, c'est trop long... Et l'autre là c'était platonique? je comprends rien à tes métaphores ! Tu copie sur moi, tu dis des trucs que je dis... non mais tu étais trop romantique... tu dis de ces trucs ! À des mecs avec qui tu sors depuis deux jours, je n'oserais pas... tu étais trop sentimentale...

Mes filles ont aimé aussi  lire les vacances... Les lieux du Sud où elles suivent mes traces. Ça les fait trop rire de lire "je retrouve mes copains au café du centre" le même où elle retrouve les leurs, et comment ça vous avez gravé vos initiales sur "le pont sur la rivière", mais tu copies là !

Un samedi après midi où je devais aller à l'hôpital plus tard, Athéna tenait compagnie à Artémis et elle m'appelle pour me dire un nom oublié depuis des lustres :
- c'est qui Alain Delbès ? Tu crois que c'est de la famille de Romain (un copain à elles), tu serais sortie avec le père de Romain ?
Et elles rigolent de plus belle, en se promettant d'enquêter à Pâques !

Finalement l'idée d'Athéna était bonne : "Apporte lui ton journal de jeunesse", car bien sûr le but était surtout de faire mourir de rire distraire sa soeur !
À noter qu'Artémis portait un autre regard, un peu plus curieux sur ce bien précieux... Elle partage avec moi le besoin d'écrire.

Je l'ai feuilleté pour l'occasion avant de lui donner et après... Bien sûr il est dans un placard inaccessible, vu que je n'ai pas besoin de lui faire prendre l'air tous les jours.

J'ai été amusée par mon style de l'époque. C'était comme rencontrer une jeune fille pas tout à fait oubliée, qui aurait l'âge des miennes. C'est un regard attendri sur la petite Louisianne. Sourire d'autant de naïveté et de romantisme, retrouver aussi un paradis perdu. Mon cher papa encore vivant, ma vie chez mes parents.

En lisant aussi des états d'âme (que j'ai sûrement copié sur Artémis), des phrases comme "personne ne m'aime, personne ne me connaît vraiment, pourquoi je tombe toujours sur des garçons comme ça, trouverais-je le bon un jour ?"...  Je me dis : "oh là là que de tortures inutiles ! Et comme je voudrais retrouver ces soucis là, ou plutôt revivre cette période sans états d'âme car si j'avais connu l'avenir... Et bien je retournerais bien faire un tour du côté de chez papa maman !"

Puis j'ai relu pour le plaisir, quelques passages, en cherchant désespérément parmi les nombreuses pages.
Des soirées avec Chérubin (j'étais en train de le raconter dans mon blog), et ma première rencontre avec Marc... Tiens il avait voulu aller se promener dans les collines avec moi ? Je l'avais totalement oublié ! 

Une de mes amies d'enfance a un jour brulé tous ses journaux de jeunesse, de peur que sa fille ne les lisent. Parfois j'ai pensé "quel intérêt de garder ça ?" mais je n'ai jamais pu m'en débarrasser.
Sans doute que, contrairement à elle, je n'ai rien à cacher, sans doute est-ce du à la façon d'écrire.
Et comment jeter des pages où j'ai écrit des phrases prononcés par des grands parents disparus ?

Même quand on écrit ses mémoires après coup, on ne retrouve pas la fraîcheur de ton, la candeur de l'époque.

Une des infirmières, croyant à une thérapie a demandé à Artémis si  cette lecture était prévue depuis longtemps !
En tout cas cette lecture a fait du bien à Artémis et à moi !