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- Tiens ils ont changé la disposition des tables !

- Ah bon ? Je n’avais pas remarqué 

- J’aime bien ces nappes bleues, hier elles étaient blanches.

- Ah… Je fais même pas gaffe.

- Oh Ils ont coupé un arbre, ça dégage la vue, c’est drôle, on ne voyait pas cette maison avant.

- …

- Tiens, vous avez changé la disposition des meubles, c’est mieux comme ça.

- Tu es la seule à l’avoir remarqué !

- Vous avez repeint ce pan de mur, il était blanc avant.

- Personne n’avait remarqué, c’est bien la peine qu’on change la déco !

Il y a un truc qui a changé. Je n’arrive pas à voir quoi. Il faut que je réfléchisse. Je vais trouver, il y a un détail qui change…

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En violet, c’est moi. En noir c’est qui vous voulez, Monsieur ou Madame Toutlemonde, n’importe qui, la personne à qui je m’adresse. Ou à qui je ne m’adresse pas d’aileurs, car si je remarque qu’on a coupé un arbre sur le chemin en me promenant, je me ferai la réflexion dans ma tête.

D’ailleurs à propos de la phrase : il y a un truc qui a changé, cela m’est arrivé de le dire à quelqu’un quand je vais chez la personne. Elle me répond, non rien pourquoi. Ça, non ça n’a pas bougé, ça ? Ah oui je vois ce que tu veux dire, c’est ça.

Je suis très observatrice. Je vois tout, le plus petit détail, ou l’énorme truc. Et je m’étonne parfois de l’aveuglement de mes contemporains. Ces gens qui vont manger tous les jours à la même table de la même cantine, ou du même bar et qui ne remarquent même pas que les tables ont changé de place. Ceux qui travaillent depuis deux ans dans le même bureau, se plaignent du soleil et n’ont jamais remarqué qu’il y a des stores (je n’invente rien). Je m’étonne encore plus si c’est gros comme une maison : on a rasé un immeuble et ils ne voient rien !

Je suis proutant une grande rêveuse, c’est à dire très souvent dans mes pensées, dans mes rêves, mais mes rêves ont aussi les pieds sur terre ! Je vois tout ce que je croise sur mon chemin. Un côté artiste sans doute.

Et je me dis que la vie doit être bien triste pour ces gens qui ne remarquent même pas le décor autour d’eux, le monde qui les entoure ! C’est tellement bien de s’émerveiller comme l’enfant dans sa poussette qui découvre le monde qui l’entoure.

Je remarque le moindre objet du quotidien, dehors dedans. Je suis une amoureuse des maisons, je l’ai déjà dit. Une amoureuse de la nature bien sûr, et j’aime aussi observer les gens, aussi bien leur physique que leur comportement.

C’est sûrement pour ça que j’écris et c’est aussi pour ça que j’aime prendre des photos, parce que j’ai le sens de l’observation.

J’ail appris un jour que lorsqu’on a peu de mémoire, ou qu’on la perd ou prétend la perdre en vieillissant, c’est parce qu’on observe pas ! Il faut commencer par le commencement : REGARDER ! Si on regarde un objet plus longtemps qu’une seconde, il est clair que l’on va le mémoriser.

L’autre jour à la brocante, j’ai vu un objet ancien. Objet que j’ai déjà fréquenté très longtemps à la maison de campagne. Mais j’ai remarqué tout de suite que l’objet de la brocante était un peu différent, il y avait un détail. Je n’avais pas besoin de les mettre côte à côte pour vérifier, ma mémoire était là.

Parfois Artémis pense à tort que mon sens de l’observation est de la critique. Si je dis que cet homme a un grand front, c’est une observation pas une critique. Et très souvent je me souviens des gens à cause d’un détail, une chose qui m’a marquée et que personne ne voit. Oui je vois qui c’est, l’homme qui n’a pas de cou. Mais la plupart des gens n’ont pas remarqué la couleur de ses yeux, alors voir qu’il a un cou trop court, n’en parlons pas !

Un jour mon beau-frère qui était policier à l’époque, m’a dit que je devrais travailler dans la police car je suis capable de décrire l’homme qui téléphonait, pendant que moi j’attendais mon tour devant la cabine téléphonique.

J’avais voyagé un jour avec une amie qui ne voyait rien : tu as vu c’est le type qui était devant nous dans l’avion. Ah bon ?
Pire un jour alors que je faisais un voyage en car, chez le marchand de glace, j’avais demandé à un des voyageurs si il pouvait me prêter un centime, il m’avait dit non, car il ne m’avait pas reconnue ! Plus tard dans le car il s’était excusé, il croyait que j’étais un ” badaud ” et pas quelqu’un qui voyagait dans le même car que lui ! Incroyable !

Ces gens là disent : je ne suis pas physionomiste. Mais pour moi c’est la même chose : ça relève de l’observation.

Bien sûr tout n’est pas parfait dans le meilleur des mondes. Il peut m’arriver d’être fatiguée, ou d’avoir de graves soucis qui font que je marche dans la forêt avec des oeillères sans remarquer la moindre feuille, ou de ne pas reconnaître une personne ou d’oublier un prénom. Mais quand je suis comme ça, je n’aime pas. Comment j’ai pu faire ça, aller à une soirée, parler avec une personne et oublier son prénom !

J’aime les détails aussi. Jérémy qui bricole souvent pour moi me dit : mais ça c’est un détail ! Oui mais j’y tiens ! J’aime bien que ce soit fini, j’aime les bricoleurs perfectionnistes, je n’aime pas ceux qui bâclent en disant : ben tant que ça marche (la porte ferme tant pis si la poignée est moche ou bringuebale un peu). Bon je précise que Jéremy n’est pas de ceux là heureusement ! C’est juste que parfois il ne va pas penser au petit truc auquel moi j’ai pensé.

Je crois que je ne pourrais pas vivre avec un homme qui n’a aucun sens de l’observation qui ne voit rien. Enfin je ne crois pas j’en suis sûre.

Mais comme on dit qui se ressemble s’assemble et je suis entourée de personnes qui ” voient ” peut-être pas à un niveau aussi élevé que le mien. Mais j’en rencontre tout de même parmi les photographes, les peintres.

L’inconvénient c’est quand la mémoire devient une torture. Durant les longues années où j’ai fait le deuil de la maison de campagne, j’ai vu très souvent dans mes rêves ou éveillée des endroits très précis. Des endroits que je n’aurais même pas imaginé avoir ” enregistré ” dans le disque dur de ma mémoire.

Je m’explique : rien de plus normal que de rêver d’un repas autour de la table avec toute la tribu, ou de rêver d’un souvenir d’enfance, le vélo rouge, les parties de ballon. les anniversaires, des mariages dans le jardin.

Mais parfois c’était un endroit. Le tilleul à côté du muret du brique, le poirier au milieu d’une allée de graviers. Comme ça, tout seul. Juste un coin sans personne, sans vie particulière. Une image qui se projette sur un écran, un décor que j’ai du voir mille fois. Si je voyais cette image éveillée, si elle s’imposait à moi, c’était comme si j’y étais, comme si je m’étais téléportée.

Et comme le chagrin, le manque accompagnait cette image, c’était une torture, j’aurais voulu tuer mon “don” à cette époque ! 

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