Le temps a passé. Suffisamment pour que je sois capable d’en parler. Enfin de l’écrire.

Athéna avait 15 ans, et Artémis 13. C’était en mars. Athéna était à son cours de danse avec une copine. Nous nous arrangions pour le transport : j’emmenais les deux filles au cours, et le papa de la copine les ramenait. J’étais à table avec Artémis dans la cuisine.

Ma sœur Camomille avait un conseil de classe. Martine était chez elle avec Eugène pour garder les enfants. Elle m’avait dit qu’elle allait en profiter pour faire une soirée crêpes. C’était une période riche en événements, Coralie était à l’hôpital, elle devait se faire opérer le lendemain. Une des multiples opérations qui succédait à un accident de voiture que je raconterais peut être un jour. Cédric habitait à R, il était seul avec Manuréva, et Marianne dormait à l’hôpital à Paris avec sa fille aînée. Eugène se faisait un sang d’encre pour sa petite fille, il avait très mal vécu cet accident.

Alors que je suis à table, le téléphone sonne. C’est Servane, elle est en larmes. Je sens tout de suite qu’il se passe quelque chose de grave :

- Papa a eu un malaise ! Les pompiers sont venus, on l’a transporté aux urgences !

Puis ensuite elle me demande d’appeler Benjamin, qui travaille à l’hôpital, pour savoir ce qu’il a exactement. Apparemment Martine est trop effondrée pour faire quoi que ce soit. 

Je lâche le téléphone et je suis en larmes. Je n’aime pas appeler mon ex, car je n’ai aucune envie de tomber sur sa femme. Je fais quelque chose que je regrette encore : j’annonce la mauvaise nouvelle à Artémis, qui bien sur se met à pleurer, et je lui demande d’appeler son père ! Bien sur je la câline pendant qu’elle appelle, mais je n’aurais pas du !

Bien sur Benjamin a des paroles de consolation pour sa fille en larmes.

En fait sa femme n’est pas là, elle est partie travailler, elle vient d’arriver à l’hôpital. Benjamin me rappelle en me disant qu’il me rappellera dès qu’elle aura eu le temps de se renseigner.

Servane est chez mes parents. Camomille, rentrée de son conseil de classe, les rejoint. Elle m’appelle pour me dire : “Benjamin a appelé, c’est un comas non réactif, il ne reviendra pas”.

Puis elle me dit qu’elle part aux urgences avec ma mère et ma sœur.

Puis vient l’heure où Athéna arrive. Quand j’ouvre la porte, elle me dit : “j’espère que tu n’as pas fait à manger, je n’ai pas faim”.

Je lui avoue que je n’ai même pas pensé à faire à manger, et je lui dis. Elle se met à pleurer et je pleure dans ses bras, ma grande fille plus grande que moi. 

Je me souviens encore des premiers mots qu’elle me dit :
- Mais il ne sera pas là pour mon anniversaire ! Il ne connaîtra jamais son dixième petit enfant !

En effet Servane est enceinte de Manivelle, qui naîtra en septembre.

Artémis et Athéna montent dans leur chambre, je reste hébétée sur le canapé. Cédric m’appelle et je pleure sans m’arrêter. Il me dit qu’il attend sa belle sœur, qui doit venir en taxi, pour garder Manuréva, et qu’il va venir pour qu’on se retrouve tous à l’hôpital. Benjamin appelle Athéna, qu’il n’a pas eue avant au téléphone.

Je propose à mes filles de venir, tout en leur expliquant qu’il aura des tuyaux partout, et que si ça leur fait peur, qu’elles ne viennent pas. Mais elles veulent venir. Elles seront les seules des petits enfants assez grandes pour voir leur grand père pendant qu’il est encore vivant… si on peut dire.

Camomille m’appelle et m’explique qu’il est tard, l’hôpital est fermé, il faut passer par les urgences. Je la préviens que Cédric arrive aussi. 

Mes filles et moi nous passons chez mes parents, je ne me souviens plus pourquoi, sans doute que Martine m’aura demandé d’amener quelque chose pour l’hôpital. Lorsque j’arrive dans la grande maison sombre, ça me fait comme un choc… Un “plus jamais”.

Sur le buffet il y a une enveloppe avec l’écriture de mon père sur l’adresse, et un petit mot pour moi : Louisianne, signe et envoie, bisous, papa : ma déclaration d’impôts. Je me mets à pleurer à chaudes larmes.

Puis ma sœur appelle à nouveau et nous demande d’amener la boite de médicaments d’Eugène. Nous nous moquions toujours de sa boite, une grosse boite à biscuits en fer, nous disions qu’il était une pharmacie à lui tout seul, Eugène qui avait subi deux pontages, était sous anti coagulants depuis des années.

Artémis a serré la boîte de médicaments contre elle, comme si il s’agissait de son grand père.

Puis nous nous sommes retrouvés toutes au chevet de Eugène. Il avait l’air si calme, juste endormi. Puis Cédric arrive. Martine dit : voilà ton fils, tous tes enfants sont là !

Le personnel hospitalier ne comprend pas bien que nous voulions tous être là, ni pourquoi. “On vous prévient si il arrive quelque chose”. Nous restons une heure. Puis nous partons.

Martine dit que la voiture est restée chez Coralie, Cédric dit qu’il va ramener Martine et dormir chez mes parents. Martine ne veut pas rester seule. Puis il nous demande si il peut prendre la voiture pour rentrer le lendemain chez lui. Bien sur, Martine ne sait pas conduire, que ferait elle de la voiture ?

Les jours suivants ça m’a fait tout drôle de voir mon frère au volant de la vieille Nevada grise, surtout quand il mettait sa casquette, grise, plate, rayée, la même que celle d’Eugène ! C’est finalement moi qui ait gardé la voiture de mon père.

Je suis rentrée avec mes filles. Les jours à venir allaient être durs. Car Eugène vivait ! Cela pouvait durer. Le lendemain aucun de nous n’est allé travailler. Nous étions tous chez mes parents à boire du café et nous retrouver autour de la table. Cédric n’avait pas prévenu sa femme, à cause de l’opération de Coralie, il lui avait dit “n’appelle pas surtout, j’appellerai”, mais le lendemain elle l’a quand même appelé au bureau, et a appris qu’il était chez ses parents. 

Les filles de Cédric ont été les dernières prévenues. 

Ce n’est que le lendemain que Martine nous a raconté comment les choses se sont passées.

à suivre