J’ai grandi en ville. Je suis un rat des villes.
J’ai passé les premières années de ma vie dans le même immeuble où mon père Eugène a lui-même grandi. J’ai déjà raconté tout ça l’immeuble, la cour pavée, ma grand-mère concierge.
L’appartement avait une belle vue sur les toits mansardés et sur le clocher de l’église.

Plus tard à la naissance de Servane, mes parents ont voulu déménagé. Ils ont eu envie d’une maison bien sûr, c’est très français il paraît. Mais qui n’a pas envie d’une maison ?

Pendant quelque temps mes parents ont visité des maisons témoins, faire construire pourquoi pas ? Ces visites amusaient beaucoup les enfants que nous étions, c’était le début des années 70, les terrains en grande banlieue se vendaient comme des petits pains, les villes nouvelles poussaient et les villages témoins rivalisaient d’imagination pour trouver des noms alléchants : Champ fleuri, les cottages des Yvettes.

Cela n’a duré qu’un temps, construire cela prend du temps, Eugène aimait trop Ville Natale, quant à Martine elle voyait loin :
” dès que les enfants seront au lycée, ils iront en internat et je me retrouverai seule dans une grande maison au milieu des champs fleuris des cottages des Yvelottes ! “. Pas faux.

C’était la mode des villes nouvelles, des résidences de luxe avec piscine et tennis loin des centres villes. Résidences proches du nouveau centre commercial qui a lancé la mode du que tous les autres ont adopté, tout près de Ville Natale. Les maisons de ville n’avaient plus la côte (mais la mode allait changer un jour c’est bien connu) et Eugène a acheté une bouchée de pain la maison de ville où Martine habite toujours.
Eugène a toujours été un peu à contre courant, et il avait raison. On le traitait de fou jusqu’à ce que le vent tourne et que les prix grimpent. Bien des agents immboliers ont tenté, au culot, de lui faire vendre son bien des années après, on voit qu’ils ne connaissaient pas Eugène !
Je meurs où je m’attache comme dirait Lierre.

Si j’ai aimé cette maison je l’ai toujours trouvée triste. Au fond d’une cour où on voit rarement le soleil, les fenêtres donnent sur l’immeuble. Seule une chambre a une vue dégagée sur la gare, j’en ai parlé quand j’ai raconté l’incendie.
La maison de mes parents est une maison de ville, c’est une maison sans jardin.

Le soleil, dans une maison de ville, il arrive qu’on le voit un peu. Mais avoir une vue dégagée dans une maison en ville, c’est plutôt rare. Il faut avoir de la chance, avoir un cimetière comme voisin ou alors la fourrière de la police municipale. À choisir il vaut mieux le cimetière car si la fourrière déménage, un immeuble sera construit. Il y a la ” vraie ville ” c’est à dire le centre ville que l’on appelle même hyper centre aujourd’hui, histoire de dire que c’est le centre du centre (c’est vendeur j’imagine). Dans ce cas autour des maisons ce sont des immeubles anciens Mansart ou Haussmanien, et rares sont les terrains libres. Bien entendu les maisons sont rares, ce sont plutôt des hôtels particuliers et certains ont même des jardinets dans lesquels toutes les fenêtres des immeubles plongent.

Et puis il y a la ville pavillonnaire, celle qui s’éloignent du centre. C’est le cas à Ville Natale. C’est aussi le cas dans MaVille, ou dans Belle Voisine, où le centre ville est très réduit, où les meulières s’alignent dans des rues calmes. Si quelque part on se croit plus tranquille car pas trop près des voisins, ce n’est qu’une illusion ou c’est provisoire. Les grands jardins des maisons en meulière ont été rétrécis pour construire d’autres maisons, et vous  n’êtes pas à l’abri non plus de la construction d’un petit immeuble sous vos fenêtres.

Vous pouvez avoir de la chance si vous êtes en hauteur, dans mon coin il y a beaucoup de dénivelés, mais il faut qu’il y ait une impossibilité de construire face aux fenêtres, souvent seul le 1er étage a une vue dégagée, même si aujourd’hui les nouveaux architectes construirent au rez de chaussée le garage et les pièces à vivre un peu surélevées.

Et là je ne vous parle même pas des prix. Pour avoir une maison en ville avec une vue dégagée et un jardin, il faut avoir de la chance, la chance d’avoir un portefeuille bien garni.

Après un studio et un appartement moi aussi mère de deux enfants, j’ai rêvé d’une maison. J’ai été heureuse dans cette maison avec mes filles, mais j’ai toujours souffert du manque de lumière et de la vue. Je voyais mon minuscule jardin et ceux des voisins, les jardins étaient tous les uns dans les autres, et un beau vis à vis sur les fenêtres de la maison d’en face. Une seule chambre avait une vue dégagée sur un beau cèdre, sur les arcs-en-ciel, sur l’église et sur la forêt, malheureusement c’était la plus petite chambre très mal agencée.

Les rares petits coins de ciel bleu visibles du rez de chaussée ont vite été bouchés par la construction d’un immeuble. Au fil des années les moindres parcelles se sont construites. Quand une mamie habitante d’une petite maison mourait, la maison était rasée pour en construire une plus grande, l’ingéniosité pour optimiser le terrain me surprend souvent. Beaucoup font une croix sur le jardin et se contentent d’une petite terrasse côté rue.
Ma maison en ville (et non pas maison de ville) dans un quartier pavillonnaire avait des avantages, et d’autres inconvénients que la vue et le manque de luminosité.

Je suis une grande rêveuse, ce qui fait que même mes rêves je les ordonne, je les révise, je les mets à jour. Je sais combien d’années j’ai vécu dans ma maison à MaVille, mais je ne sais pas combien d’années j’ai rêvé de la quitter, ce que je ne faisais pas tant que mes filles étaient là.
Jeune fille ayant grandi dans une maison, je rêvais logiquement d’avoir un jour une maison où élever mes enfants. Et puis tout le monde en est là. Camomille après deux appartements a acheté une belle maison qu’elle a fait agrandir plus tard, Cédric après deux appartements a acheté une maison qui ressemblait un peu à la mienne : mitoyenne, mal fichue avec un petit jardin. Ce qui prouve une fois de plus que l’on est prêt à bien des sacrifices pour avoir une maison en ville.
Ce qui n’a rien à voir avec le fait de faire le sacrifice de s’éloigner de la ville pour avoir une maison neuve, c’est un autre débat !
Quand à Servane elle n’a acheté que très récemment sa maison en ville, alors que Jolinette est déjà trop grande pour en profiter, elle n’est presque jamais chez ses parents. Là aussi cela prouve que même si c’est un peu tard, on est prêt à tout pour une maison.

Je faisais donc dans deux colonnes la liste des avantages et des inconvénients d’une maison et d’un appartement. Il est vrai que j’avais habité un appartement en ville dans un vieil immeuble. Un appartement avec une belle vue, du soleil, mais ancien. Bruyant mal isolé, pas de balcon et je m’y étais sentie vraiment enfermée.
Alors quitter une maison pour un appartement, pas facile. Bien sûr des appartements j’en ai vu beaucoup chez des amis, en ville, on vit en appartement le plus souvent. Les inconvénients je les voyais.

Mais dans la colonne des avantages, en premier et en gros je mettais LA VUE !
Une belle vue qui va souvent de pair avec la luminosité.
Je n’ai jamais rêvé des tours immenses, mais quand je voyais ces immeubles perchés tout en haut près de la forêt dans MaVille ou Belle Voisine, je disais souvent à mes filles : tu as vu cet immeuble ? Ils doivent avoir une belle vue de là haut.
Mes filles se moquaient de moi : ” oui on sait maman ce que tu vas dire ! ” dès qu’elle apercevait un immeuble perché.

Je vous ai déjà raconté mes visites décourageantes. J’ai visité de l’ancien histoire de voir, j’ai visité du moderne hors de prix et trop loin des magasins de proximité, j’ai vu des immeubles tristes et impersonnels. Des vues qui donnaient envie de fuir, ou des agents immobiliers incapables de répondre à la simple question : c’est orienté comment ?
Je visitais avec ma boussole.

Jusqu’à chez moi. Un seul étage mais la vue sur la forêt en hauteur. Pas de vis à vis.

Quand Jérémy vient chez moi, il me taquine toujours parce qu’il veut déplacer mon canapé. Je lui dis non :
- mais regarde, assied toi là ! J’ai la vue sur la forêt !
Lui trouverait plus pratique d’avoir la vue sur la télé, chacun son truc !

Depuis longtemps mes rêves ont changé. Même les plus belles meulières de ma rue, je n’en voudrais pas si on me les donnait. Les jardins sont petits, ils doivent entendre les conversations des barbecues d’à côté, et puis elles doivent être humides. Une maison comme ça, c’est du travail et puis on a même plus envie d’aller en vacances, à moins d’avoir les moyens de louer 2 fois plus grand !

Une maison pour moi ce n’est pas en ville. Il faut de l’espace et une belle vue. Une maison pour moi c’est pour les vacances.
À la Sauvageonne la vue sur les collines est belle presque partout. La maison je l’ai déjà, même si elle est vieille, inconfortable avec un toit qui fuit.

Il y a quelques années, quand je rêvais d’habiter à Grande Ville du Sud, oui ça c’est un rêve qui s’impose et qui revient, que je ne révise pas. Bref il y a quelques années j’aurais rêvé d’une maison de ville à Grande Ville du Sud, avec une piscine bien sûr, il fait chaud.

Aujourd’hui je rêve d’un appartement avec une terrasse, haut perché avec une vue imprenable sur les toits roses et même la Gailuronne. Bon il est vrai que mon portefeuille freinera peut-être mes envies.

Et comme j’ai commencé avec le rat des villes, je finis en embrassant fort mon rat des champs.