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Enguerran comprend vite que l’ambiance a changé. On ne peut pas dire que Ludmilla soit vraiment fâchée, mais elle parle peu, semble triste. Où est passé leur complicité ?

Il s’en veut ! Il s’en veut de lui avoir parlé comme il l’a fait !

Il était tellement attiré par elle, tellement obsédée, il y pensait tellement qu’il ne pensait à rien d’autre ! Quand enfin il s’est jeté à l’eau, c’était comme dans un rêve.

Mais voilà le lendemain il s’en est voulu. Comment avait il pu faire ça, dans la maison de famille ? Comment avait il pu ? Et Ludmilla que devait elle penser de lui ? Il avait oublié qu’il était un père de famille, un homme droit, un notaire. Il avait oublié ses chaînes, ses obligations, il avait oublié qu’il pouvait faire souffrir sa femme, ses enfants…

Il avait tout oublié, mais pourtant il avait compris que Ludmilla avait changé sa vie ! Il savait que tout était bousculé, que rien ne serait plus jamais comme avant. C’est à peine si il se rappelait avoir été amoureux de Carola ! 


Comment avait-il fait pendant toutes ces années ? Avec Ludmilla il avait trouvé une vraie complicité, un vrai dialogue, il avait appris ce que c’était d’être écouté, compris. Il se cognait la tête contre les murs, rêvant de tout recommencer, ployant sous le poids des contraintes, se sentant plus prisonnier que si il avait été enfermé.

Et au lieu de parler à Ludmilla, au lieu de lui expliquer tout ça, il s’est comporté comme un mufle ! À part “je ne veux pas détruire” il n’avait pas exprimé ses doutes et ses peurs ! Il lui avait parlé comme si elle était une simple histoire sans lendemain !

De son côté, Ludmilla, même si elle parle peu, réfléchit aussi. Et elle s’en veut presque, un comble !

Car au fond durant tout ce temps, où elle était terriblement attirée par Enguerran, elle n’avait pensé qu’à lui, qu’à elle même !

Certes elle s’était bien souvent demandé ce qu’il pouvait faire avec Carola, et comment il avait pu la choisir, mais en dehors de ça, elle n’y avait pas pensé

Elle voulait lui plaire, elle voulait qu’il l’aime, elle voulait tout. C’était facile pour elle, elle libre de son temps, libre de toute attache ! Comme une adolescente, elle voulait lui plaire, être embrassée, et ne pensait pas au reste !

Or le reste pèse bien lourd ! Maintenant qu’elle y réfléchit au calme, elle comprend Enguerran !
Comment ignorer qu’il a une famille, comment ne pas penser aux conséquences ? C’est un homme droit, honnête, un père attentif. Peut-être que comme elle, il n’a pensé à rien, aveuglé par son attirance.

Peut-être qu’il a peur. Peur d’elle même qui sait ? Il s’attend peut-être à du chantage, à une scène. Peur de sa femme sûrement aussi.

Oui elle peut le comprendre, tout ça ne doit pas être facile. Il ne s’est pas réveillé un matin en se disant : tiens si je prenais une maîtresse ? Il ne s’est pas réveillé un matin en se disant : peut-être que je ne suis pas heureux ?

Ludmilla continue à garder ses distances. Elle aurait aimé lui parler de tout ça. Mais comment  ?

Et puis un événement vient changer les choses. Enguerran continue à parler à Ludmilla de ses projets pour l’Étude. Devant son peu de réaction, il est inquiet : et si elle décidait de partir travailler ailleurs ? Il n’en dort plus !

Un jour un client, bel homme dans la trentaine, passe beaucoup de temps pour prendre un rendez vous à l’Étude, visiblement intéressé par Ludmilla. Il appelle un peu trop souvent, et semble déçu quand c’est Enguerran qui décroche : passez le bonjour à votre charmante clerc !

Enguerran serre les dents. Un soir alors qu’il s’apprête à partir, Enguerran croise dans le couloir, Ludmilla qui raccompagne le client, riant et plaisantant. Une fois qu’il est parti, Enguerran demande à Ludmilla :

- Qu’est qu’il voulait ? Le ton d’Enguerran montre clairement son agacement. Ludmilla sourit en coin.

- Rien ! Un prétexte pour passer !

Elle lui fait face, elle sourit ! Enguerran troublé de la voir sourire, alors que depuis deux semaines elle est distante, la regarde et tend la main vers elle comme si il voulait lui donner quelque chose.

- Ludmilla, je…

Elle sourit et dit : je sais !

Et elle se jette dans ses bras pour l’embrasser.