128133633

Il y a très longtemps alors qu’il y avait peu de chaînes TV, il y avait une mini série humoristique qui n’a pas duré. Un peu le style Scènes de ménage, mais pas vraiment.

Un narrateur parlait de choses de la vie courante, et c’était mis en scène par des acteurs. Exemple :

Les cauchemars les plus courants : vous allez au bureau tout nu, vous tombez d’une falaise, vous perdez vos dents.

Les photos : vous êtes invités et on vous montre des photos dont vous n’avez que faire avec force commentaires et quand vous croyez reconnaître le mari de la tante de la mère de la belle sœur, on tourne la page de l’album ! 

Bref, tout ce préambule pour parler d’un épisode de cette mini série qui s’intitulait :

Le petit cinéma

Le narrateur commençait par ” on se fait tous notre petit cinéma “
Deux exemples, un que j’ai oublié, mais avec l’autre vous comprendrez tout de suite :

Le Zéro (ou le héros) reçoit une convocation chez le proviseur du collège de son fils. Dans sa tête commence donc son petit cinéma : on le voit face au proviseur dire ce qu’il pense des profs et de leur méthode, de l’éducation lamentable qu’on offre aux élèves, de la qualité médiocre des cours de maths. Le Zéro est en pleine forme, le pauvre proviseur se ratatine derrière son bureau.

La vraie vie : le proviseur ne laisse pas le Zéro en placer une : devant les résultats catastrophiques de votre fils en maths, et en tenant compte du fait que vous êtes responsable et tenu de l’aider, je vous invite à participer aux cours du soir réservé aux parents, voici la feuille, au revoir et merci !

Le pauvre Zéro se ratatine sur sa chaise.

Vous voyez donc ce qu’est le petit cinéma.

C’est humain de se faire son petit cinéma, mais là où ça devient gênant, c’est quand la personne en face de vous fait son cinéma tout haut.
Elle ne le fait pas avant, comme dans la série, mais après. Elle vous raconte une histoire totalement déformée par un miroir truqué.

Il y avait d’ailleurs un film où le Zéro romancier transformait chaque scène de sa triste vie, pour faire de lui le héros qui ne se laisse pas marcher sur les pieds.

Bien entendu je pense à Martine. Ma sœur Servane et moi rions beaucoup d’autant qu’elle est persuadée d’être cette personne qui dit toujours ce qu’elle pense. Et je lui ai dit ça, et je lui ai ajouté ça, non mais je ne me laisse pas faire moi !

Le plus incroyable, c’est que ça ne la gêne pas si il y a eu des témoins à la scène.

Un exemple ? Je sens que vous en mourrez d’envie.
Exemple bucolique en plus.

Le chemin de terre qui mène jusqu’à la Sauvageonne, après la Sauvageonne devient trop étroit pour y circuler en voiture. Mais on peut y aller à pied, à cheval. Il rejoint un chemin de randonnée, mais souvent les randonneurs se trompent et passent devant chez nous. Pas de soucis, nous avons l’habitude et ne sortons jamais le fusil, nous leur indiquons le vrai chemin quand ils sont perdus, la plupart sont gentils et polis. Les nhollandais savent dire bonjour avec un accent à couper au couteau.

Voilà qu’un jour des nhollandais arrivent en voiture et se garent devant la Sauvageonne. Comme je l’ai dit, si on vient en voiture, c’est qu’on vient nous voir, ou qu’on se perd, car on ne peut pas aller plus loin. Forcément un des nombreux occupant de la Sauvageonne va s’avancer pour dire bonjour, ou aider un pauvre péquin qui s’est trompé de route.

Deux dames d’âge mûr, sortent de la voiture (elles avaient probablement la flemme de monter la côte) et se dirigent vers le sentier piétonnier, le chauffeur fait rapidement demi tour. Ni bonjour, ni merde.
Servane, Martine et moi avons assisté à la scène sous le auvent sans dire un mot. D’ailleurs le chauffeur ne devait pas être fier pour partir aussi vite.
J’imagine que nous devons dire quel culot, super poli et tout et tout, et l’histoire devrait s’arrêter là !

Sauf que quelque jours plus tard, Martine trouvant un interlocuteur extérieur à la tribu, relate l’histoire à sa façon : je vous jure, je les ai traité de tous les noms !
Ce qui nous fait bien rire.

Variante dans le petit cinéma : quelqu’un a dit tout haut ce que j’aurais bien aimé dire moi.

Le plus souvent c’est une des filles de Martine. Encore un exemple bucolique. Le maire du village est le roi de l’entourloupe. Si on le laissait faire, il changerait les frontières de place, agrandirait un champ par ci, pour en allonger un autre par là, prendrait un bout de terre à Paul pour le donner à Jules qui vote pour lui.

Comme nous sommes des parisiens (une race à abattre) et qu’en plus il nous soupçonne de ne même pas savoir où s’arrêtent nos terres, d’ailleurs qu’est ce qu’on bien en faire vu qu’on ne cultive rien ?  Il tentait régulièrement de marcher sur nos plates bandes.

Bref voilà qu’un jour je me rends à la mairie avec Martine pour expliquer calmement à M. le maire que le petit bois est à nous et que ce n’est pas près de changer.

L’entretien se passe sans trop de problèmes, Martine ne dit rien et je dis tout.  Le maire a bien compris qu’il ne faut pas nous prendre pour des billes. Depuis ce jour il n’ose plus nous embêter.

Le nombre de fois où j’ai entendu Martine raconter cette histoire ! ” Je lui ai dit ci et ça, j’ai dit aussi ça “
Je n’en reviens pas. Le pire est qu’elle en est persuadée.

Martine a tout de même beaucoup de chance : c’est que ses filles la laissent dire.
Il serait facile de la ridiculiser : ne raconte pas d’histoires, j’étais là quand les nhollandais sont venus et personne n’a eu le temps de dire quoi que ce soit.

- Enfin qu’est ce que tu racontes ! C’est moi qui ai parlé au maire !

Ah ce petit cinéma !

Vous voulez un scoop ? J’ai constaté chez certains blogueurs ou blogueuses, le même symptôme ! Pour les avoir rencontrés en vrai, je me suis aperçue qu’ils transforment leur vie consciemment ou non par écrit ! Le blog comme exutoire !

En lisant un blog, vous croyez avoir à faire à une rebelle ou à un homme qui ne se laisse pas marcher sur les pieds, limite vous vous dites : Ouah pas facile ce monsieur ! Ça ne doit pas être drôle tous les jours pour ses proches !

Et quand vous connaissez la personne, au bout d’un certain temps, vous vous dites : ça ne colle pas ! J’ai du mal à l’imaginer haussant le ton, j’ai du mal à l’imaginer tout bêtement dire ce qu’il pense !

Le blogueur ou la blogueuse raconte en fait sa vie déformée par un miroir truqué.

Et peut-être même que comme Martine qu’il est persuadé d’être cette personne.