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Je ne suis pas envieuse. Pourquoi je ne sais pas, peut-être parce que je suis d’un naturel optimiste, que je me contente de ce que j’ai, je sais que rien n’est jamais acquis et je sais faire la part des choses, comme beaucoup d’entre nous.

Exemple Roger envie Charles-Edouard qui vient de s’acheter une belle voiture, puis après coup se dit : oui mais il n’est pas plus heureux pour autant, son couple bat de l’aile, j’ai la chance d’avoir une famille unie, etc..

Personne n’est parfait et on peut à un moment ou à un autre, être envieux l’espace d’un instant. Mais la part des choses, je la fais rapidement.

Certaines envient le physique d’une autre. Je m’en moque complètement, avec le temps je me suis habituée à mon enveloppe charnelle et puis je suis en bonne santé.

Certains envient la réussite de l’autre, son poste à la droite du directeur. Alors là je suis encore moins concernée je ne suis pas carriériste pour deux sous et je me moque complètement de me mettre en valeur.

D’autres envient les diplômes, la faconde, les relations. Pfft ! Ça me fatigue tout ça, rien que d’y penser !

Mais il reste le plus grand des tabous, celui que j’ai effleuré en parlant de la voiture plus haut : l’argent.

Là j’avoue aussi je me sens peu concernée. J’aimerais bien un peu plus d’argent à la fin du mois (ou que les fins de mois commencent moins tôt) mais je n’ai pas envie d’être riche. Une maison immense ? Ouh là là tout le ménage à faire ! Quoi un jardinier, une femme de ménage ? Ouh la la ça devient une entreprise avec des employés à gérer !
Une belle voiture ? Je passerai mon temps à avoir peur de la rayer, ou qu’on me la vole !

Bon bref je ne suis pas envieuse, mais ce n’est pas de cela dont je voulais parler, mais du gouffre, dont je prends conscience en prenant de l’âge (beurk)

Quand j’étais jeune fille, mes parents allaient de temps en temps dîner chez des amis d’enfance de mon père. Les amis d’Eugène avaient tous fait des écoles d’ingénieur (payantes) alors qu’Eugène s’était contenté de la fac de droit.

Quand mes parents revenaient de ces dîners Martine disait :

- On ne sent pas à l’aise. Ils parlent de leur maisons sur la côte d’Azur, Marc a acheté un yacht, Christian revend des terrains qui valent une fortune, Jean-Louis parle de ses actions en bourse ! Qu’est ce que tu veux qu’on raconte ? L’argent ça créé un gouffre !

À l’époque, je ne comprenais pas et je les “rabrouais” :
- Mais enfin si ils vous invitent c’est qu’ils vous aiment bien ! Vous n’avez pas de complexes à avoir, vous vous rabaissez !

Le fait que mes parents aient toujours eu tendance à être trop modestes est une vérité, pourtant maintenant je les comprends mieux !

Car moi aussi je ressens ce gouffre, y compris avec mes frères et sœurs.

Quand on me dit : regarde j’ai fait des travaux, j’ai repeint tout le salon !
Ah oui magnifique !
…mais je ne peux m’empêcher de penser que j’hésite à appeler le plombier pour ma fuite à la chasse d’eau, de peur d’une facture trop salée.

Nous avons acheté une petite voiture pour que la petite fasse la conduite accompagnée.
Et je me rappelle du drame que ça a été pour moi cet été de percuter un sanglier. Un drame parce que je n’avais pas d’argent pour me racheter une voiture !

On pourrait penser que ce n’est pas l’argent le gouffre, mais le manque de centres d’intérêt en commun ?

Pas vraiment : par exemple, tous voyagent régulièrement. Les voyages, j’aime ça, j’adore, j’en rêve !
Ils sont tous allés à New York et se disent : tu as vu ça, tu te rappelles de ça ?

Moi j’aimerais bien aller à New York , mais je ne peux pas. Et bien sûr je ne le dis pas, car dans ce cas on me répondra : tu devrais faire tes économies…

Je me rappelle la fois où j’avais dit que je préférais ne pas venir à l’anniversaire d’un neveu parce que je n’avais pas les moyens de faire un cadeau (en réalité une participation à la cagnotte) et on m’avait répondu : pas grave, tu ne mettras que 20 € !
Sauf que oui, je pourrais, mais j’en ai besoin pour autre chose…

La crise frappe tout le monde, y compris les salaires moyens. Dans ma tribu on me dit souvent : maintenant que tu n’as plus tes filles.
D’où vient cet étrange calcul ? Athéna est partie depuis des années, quand à Artémis, partie depuis un an, je la nourrissais certes, mais il y avait longtemps qu’elle se payait elle-même tout le reste. Bien sûr je fais des petits cadeaux à mes filles, comme tous les parents, mais d’où vient cette idée que mes dépenses auraient diminué de moitié ?

Je parle de la famille, mais il n’y a pas que là que je ressens le gouffre.
Certaines relations, certains collègues ne se rendent même pas compte de ce qu’ils disent : tiens j’ai acheté ça, c’est pas cher !
Il y a aussi ceux qui vous donnent de supers conseils : pourquoi tu ne ferais pas ça, sans se rendre compte que l’addition est un peu lourde.

Peut-être cela vient-il du fait que je ne me plains jamais.
Je préfère parler de choses gaies que de choses tristes, et puis j’entends suffisamment Martine ! Chaque fois que je vais la voir, j’ai droit aux même rengaines :
Mes impôts ont doublé, tu as vu ce qu’on paye comme gaz, et le prix de la viande, une fois que j’ai payé tout ce je dois, il ne me reste que…

Ah non merci ! Je n’ai pas envie de devenir comme  ça et de ne parler que de ça !

Oui maintenant je comprends ce que Martine voulait dire à l’époque des dîners avec les amis d’enfance. Ce n’est pas que les gens soient méchants, méprisants ou aveugles, c’est qu’ils parlent de leur préoccupation et ne se rendent même pas compte que tout le monde ne vit pas comme eux !

Je préfère cent fois parler culture, parle de choses intéressantes, mais c’est rare.

Et je me dis qu’au moins il n’y a pas de gouffre avec mes propres amis ! Si je leur dis je n’ai pas pu réparer la chasse d’eau, ils rient et passent à autre chose. Quand un d’entre nous a du mal à finir le mois, on propose du covoiturage pour économiser l’essence et on boit un coca au lieu d’un mojito en attendant des jours meilleurs…

Pas de gouffre.