bord_de_mer1Il y a peu de temps, j'ai revu ma cousine Sophie.

Mais il vaut mieux que je commence par le commencement. Nous avons le même âge, nous habitions la même ville. Ce n'est pas pour autant que nous sommes devenues inséparables. Sans doute par manque d'affinités, sans doute parce qu'on profite des occasions qui se présentent et nos parents ne se voyaient pas si souvent que ça.

A partir de 18 ans nous nous voyons un peu plus, Sophie aime les discothèques, moi pas trop. Ce qui fait que nous sortons de temps en temps ensemble. Nous avons chacune nos voitures, puis plus tard chacune un studio. Sophie part tous les étés au club, elle adore ça, gym le matin, plage l'après midi et soirée dansante le soir. Son rêve : que la vie soit comme ça tout le temps. Elle a un travail de bureau ennuyeux. Elle est un peu naïve, sa quête de l'âme soeur est une catastrophe, elle a le don d'attirer les mauvais numéros. Elle aime tant l'été que l'hiver elle refuse de sortir même pour aller à la crêperie. Raison pour laquelle je ne la vois pas tant que ça.

Le temps passe, je connais déjà mon futur mari et j'emmène ma cousine en vacances dans le sud, parce qu'à l'époque nous partons en bande. Elle s'amuse bien et garde un souvenir impérissable de ces vacances.

Après mon mariage nous nous perdons de vue. Elle est toujours seule, elle ne sort plus. Je la revois après la naissance de ma seconde fille. Elle vit avec un homme et elle est enceinte. Silence radio plusieurs années, elle a une fille. J'ai tout de même de ses nouvelles par ses parents, mais je ne connais ni son Jules, ni sa fille.

Et puis un jour elle me recontacte. Elle vient de se séparer de son ami. Nous nous revoyons alors. Elle me bombarde de questions sur mon divorce, ce qui ne m'emballe pas : aucune envie de revenir dix ans en arrière, et je ne suis pas un professeur es-divorce.

Puis quand elle va mieux, je me rends compte avec surprise, qu'elle voudrait reprendre sa jeunesse là où elle l'a laissée. Elle me reparle de mon mariage, me demande si tel copain est célibataire, et mon beau-frère a t-il retrouvé quelqu'un après son divorce ?

Peu de temps après elle m'avoue qu'elle a fait une folie de jeunesse : recontacter mon beau frère qui est effectivement seul après son divorce. Elle me raconte comment elle a passé plusieurs week-ends en province, mais l'histoire finalement n'a pas duré.
Bien sûr ce n'est pas forcément une folie, ce n'est pas tant les actes que sa façon de parler et de penser qui me font penser qu'elle s'est arrêtée à une période de sa vie. Quand elle me parle de sa vie de couple, elle me dit qu'elle ne gérait pas grand chose, que son ami faisait tout et s'occupait de sa fille. Depuis leur séparation elle se repose énormément sur ses parents.

Elle me demande de venir en vacances avec moi. Je lui dis oui, mais j'explique tout de même que cela n'a plus rien à voir avec les vacances que nous avons passé à 25 ans ! Je lui dis que je l'emmènerais dans les bals de campagne avec mes filles, mais qu'elle doit s'attendre à ce que les gens de notre âge soient tous en couple !
Les vacances se passent bien, je fais la connaissance de sa fille et je me rends compte qu'elle est complètement dépassée par cette enfant pleine d'énergie. Mais la petite se fond dans un groupe d'enfants et d'adultes, gérée par le groupe en quelque sorte. Par moment j'ai l'étrange impression que ma cousine oublie jusqu'à sa présence. Par exemple elle oublie de la servir à table...

Peu après elle sombre dans la dépression, arrête de travailler. Je prends des nouvelles, je ne peux pas faire grand chose de plus. Puis une maladie grave s'ensuit, hôpital, examens. Elle s'en sort enfin.

Il y a peu de temps, elle m'appelle. Elle va un peu mieux, elle est toujours dépressive et prends des médicaments. Puis là, bizarrement, elle se met à m'avouer des choses qu'elle ne m'a jamais dites.

Sophie a eu vécu une histoire longue avec un garçon qui ne plaisait pas à ses parents. Comme elle restait un peu la petite fille qui voulait leur plaire, elle continuait à chercher l'âme soeur, à aller d'échec en échec. Raison pour laquelle je n'ai jamais soupçonné une longue histoire. Ce garçon elle le cachait, il n'a jamais été invité chez ses parents. Un jour lasse de tout ça, elle le quitte définitivement. Sa soeur cadette, mariée, vient d'avoir un enfant, Sophie ne rentre pas dans le moule.

Sophie a 36 ans, elle rencontre un garçon qui veut un enfant. Elle n'a jamais voulu d'enfant, l'idée de la famille classique deux enfants, un grosse voiture la fait gerber. Mais elle se laisse convaincre. Aujourd'hui elle dit encore qu'elle n'est pas faite pour élever un enfant, elle se sent débordée, pas à la hauteur.
Le temps passe. La vie de famille ne lui convient pas. Elle s'ennuie, son compagnon n'aime pas sortir, la routine lui déplaît, elle ne trouve aucun plaisir dans cette vie là. Quand sa fille a 8 ans, elle prend la décision de la séparation. Elle rêve de sortir, de voyager, de rencontrer des gens célibataires, divorcés qui ne rêvent pas d'une vie de famille. Mais comme je l'ai dit là, ce n'est pas facile, passé un certain âge.

Tout ça m'a donné à réfléchir. Ses parents je les connais, ils sont de la même génération que les miens. Un couple uni, travailleur. Quel modèle donnent ils à leur enfants ? Quel voie leur montrent-ils sans le vouloir peut-être ? Tu te marieras et tu auras des enfants ! Ta vie : la vie de famille ! Bien sûr ce n'est pas dit comme ça.
Mais si ce rêve là ne convient pas, quel regard auront ces parents là, voir la société toute entière sur la vie de Sophie ou de tous ceux qui ne veulent pas rentrer dans le moule ?
- Tu ne trouves pas chaussure à ton pied ? C'est que tu es trop difficile ? Tu ne vas t'amuser toute ta vie, regarde ta soeur, ta cousine...

Une de mes tantes (une autre, pas la mère de Sophie) disait de sa fille : "ma fille et son copain ne veulent pas d'enfant tout de suite, ils voyagent, ils en profitent, ils ont raison, nous on avait pas d'argent et on a eu nos enfant trop jeunes". Elle disait ça quand ils avaient 25 ans. Quand ils en ont 40, elle ne disait plus la même chose.

Les mentalités ont évolué mais pas tant que ça ! Demandez à toutes les Bridget Jones du monde !

Vous avez quarante ans et vous n'avez pas d'enfant ? Vous êtes toujours célibataire ? Il y a quelque chose qui cloche ! Vous êtes en couple depuis 2 ans et vous ne faîtes pas de projets ? Comment ? Une maison ? Vous appelez ça un projet ? C'est quoi le problème ? Vous ne pouvez pas avoir d'enfant, c'est ça ? Non, même pas ?
Vous sortez beaucoup, vous avez beaucoup d'amis : vous êtes un ado attardé ! Vous n'avez jamais vécu en couple  : coureur de jupons ou Messaline, instable ou caractériel.

Je me dis maintenant que si j'avais l'impression que Sophie s'était arrêté à une période de sa vie, c'est peut-être que c'était cette période là qui lui convenait. Peut-être s'en est-elle rendu compte tardivement, peut-être n'avait-elle pas la force de caractère pour résister à la pression, car c'est bien d'une pression qu'il s'agit.

Je dois bien l'avouer : même si je dis à mes filles "faites ce que vous voulez" j'aurais sûrement un petit pincement au coeur si je ne suis pas grand-mère !