Jardin_by_louisianneC'est arrivé en 2003. Perdre un de ses parents, c'est quelque part redevenir un enfant. C'est fou comme tous les souvenirs d'enfance reviennent soudain. Et avec les souvenirs, les amis d'enfance aussi. Tous les amis de la Folie sont venus pour son enterrement. A Pâques nous avons passé les dernières vacances dans la maison en essayant d'oublier que bientôt il faudrait fermer le portail à tout jamais. Martine ne conduisait pas, elle n'avait plus les moyens de payer les charges, ni de tondre la pelouse, ne voulait pas dépendre de ses enfants pour cela. Aucun de nous n'avait les moyens de racheter la part des autres, personne n'ayant fini de payer sa résidence principale.

Mes deux filles, Athéna et Artémis m'en voulait me demandait pourquoi je ne me battais pas pour la garder. Les plus petits ne comprenaient pas : "pourquoi quand quelqu'un meurt on doit tout vendre".
Durant ces vacances tous les souvenirs de mes grands parents sont revenus. Comme si le fait de devoir perdre la maison me rappelait que c'était celle de mes grands parents, chose que j'avais eu tendance à oublier depuis leur mort. Je revoyais mon grand père couper du bois, ma grand mère s'énerver parce que les enfants faisaient le tour de la maison en vélo et qu'elle avait peur de se faire renverser en sortant de la cuisine, pire je la comprenais : moi qui avait du reculer in extremis parfois pour éviter un fou du guidon !

Un week-end prolongé nous nous sommes tous retrouvés pour le grand déménagement. Ma mère dans un acte de lâcheté que je n'ai ni compris, ni pardonné, décida qu'elle ne viendrait pas, qu'elle ne nous aiderait pas. Bizarre réaction, qu'aurait-elle fait si elle n'avait pas eu 4 enfants ? Ou encore des enfants qui n'avaient aucune envie de s'investir ?

Toujours est-il que nous voilà, les soeurs et ma belle-soeur remplissant des cartons, les hommes s'attelant au rangement de l'atelier de mon père (un jour entier, 4 voyages à la déchetterie). Même mon ex-mari vint sans sa femme donner un coup de main et dire adieu à la maison.

Mon frère s'occupa du sale boulot, contacter l'agence, recevoir les voisins qui se disaient intéressés et voulaient visiter. En fait il n'eut pas trop le choix, ses trois soeurs se transformant en fontaines de larmes à la moindre évocation du mot "vente". A chaque bibelot exhumé d'une armoire, à chaque paire d'immense et épais draps blancs, un souvenir nous assaillait. Nous avons jeté par les fenêtres dans le jardin, les innombrables édredons lourds de couleur sombres et les oreillers pour la plus grande joie des enfants. Nous avons secoué les tapis en nous demandant pourquoi ma mère y tenait tant ! Quelle idée de collectionner ces nids à poussière dans une maison de campagne !

Lorsque la dame de l'agence nous montra très fière sur son appareil numérique comment la photo de la maison rendrait bien en vitrine, ma soeur Camomille et moi nous sommes éloignées, laissant mon frère se débrouiller, pour pleurer tout notre saoul. Des photos de la maison nous en avions vu des centaines, mais jamais elles ne nous avaient fait pleurer !

Puis les larmes de mes soeurs et de Martine chez le notaire. Martine n'avait pas pu faire autrement que de venir cette fois. Par contre elle ne le fit pas quelque mois plus tard, pour la vente du terrain à bâtir. Moi je réussis à me contenir en public, ce qui m'étonna moi-même !

Un jour alors que la maison était vide, je suis venue seule avec ma fille Athéna. Elle était invitée à une soirée d'un ami. J'étais contente d'être seule pour faire un dernier adieu à la maison. Tous les voisins voulaient m'inviter une dernière fois pour le café, l'apéritif, je n'avais jamais été autant sollicitée alors que j'avais passé des week-ends à m'ennuyer. Je me souviens des larmes de la mère de mon amie d'enfance "la petite fille de la ferme". "Après toutes ces années, je ne peux pas y croire, pour moi ce sera toujours la maison de votre famille !"

Après ce gros déménagement nous avons encore fait quelques allers et retour car il restait des choses à déménager. Le dernier voyage a eu lieu pour la deuxième signature. J'étais avec mon frère et ma soeur Servane. Le nouveau propriétaire était déjà installé. Je ne voulais pas le voir, ni lui parler, bonjour c'est tout. Il ne m'avait rien fait mais c'était trop douloureux. Du coup mon frère s'est retrouvé à faire la causette au monsieur qui lui montrait les travaux qu'il avait fait. Travaux que ses soeurs ne voulaient surtout pas voir.

En l'attendant, je me suis mise devant la maison en lui tournant le dos. Je voulais voir ce paysage que j'avais vu cent fois, sans maisons en face. Mais pas la maison qui n'était déjà plus la même. Ma soeur était près de moi.
- on a passé de bons moments. C'est de ça dont il faut se rappeler" lui dis-je.