arbres_by_louisianneA la mort de ma grand-mère mon papa Eugène avait tout naturellement racheté la maison, son frère n’étant pas intéressé. Lorsque mes cousins sont morts, il a parlé de la vendre. Nous étions d’accord, nous les enfants, mais ça n’a duré que deux jours. Nous ne voulions pas perdre nos amis de vue.

La bande a duré encore longtemps. Nous avons tous eu le permis et nos premières voitures. Souvent nous allions en bande au cimetière, et nous avons souvent organisé les soirées chez Erwann jusqu’à ce qu’il puisse à nouveau conduire, mais seulement une automatique, il n’a récupéré l’usage de sa jambe gauche que deux ans plus tard.
Le temps passait. Nous avons assisté aux premiers mariages de nos amis de la ferme, le frère et la soeur. Petit à petit on se voyait moins. Les parisiens se sont faits d’autres amis et ont été trop occupés le week-end pour venir. Nos amis de province ont déménagé soit à Paris soit ailleurs et passaient rarement voir leurs parents.

Le décor avait changé : l’inconvénient d’un village à 8 kilomètres d’une grande ville. Les terrains en friche sont devenus des terrains à bâtir où l’on a vu pousser des maisons qui n’avaient ni le style, ni le charme des anciennes fermes. À l’époque on ne s’en souciait pas, quand on s’est rendu compte que le village normand ressemblait à une banlieue pavillonnaire, on a voulu imposer des normes, mais il était trop tard. La mentalité bien sûr a changé aussi. Les nouveaux venus, hormis un ou deux n’avaient aucune envie de sympathiser avec les anciens. Quant aux parisiens on leur a collé une étiquette de “riches”, donc de “méchants snobs”.

La maison de campagne ne servait plus qu’à mes parents, ou lorsque l’un de nous organisait un week-end copains, ou encore pour les week-end en amoureux. Les ados empruntent la clé de la maison pour un séjour bucolique !
Je venais de temps en temps avec mes parents. Comme je l’ai dit, j’ai du mal à faire le deuil d’anciens amis, alors j’avais tenté d’organiser des barbecues avec la petite bande, même si certains étaient déjà parents. En pure perte !

C’est durant cette période que j’ai compris que je n’aime pas la campagne : je m’y ennuie vite. Passe encore quand il fait beau. C’est vrai que j’ai envie de m’aérer, mais quand j’y suis, une fois que j’ai fait un tour à bicyclette, un tour à pied, je m’ennuie. Alors je prends ma voiture pour aller faire les magasins ! Euh… Ça valait vraiment le coup d’aller si loin ! Et je ne parle pas de la campagne l’hiver ! Ça me file un cafard noir ces champs labourés survolés par les corbeaux ! Et la nuit qui tombe si vite !

Comme dans toutes les maisons de campagne, le grand retour a eu lieu quand Camomille et moi avons eu des enfants à notre tour, bientôt suivies par mon frère Cédric et ma petite soeur Servane. Tous en appartements pas forcément grands, nous étions ravis d’emmener nos enfants retrouver leurs cousins dans le grand jardin. Tous les fêtes de Pâques, les anniversaires avaient lieu là bas. Dès que Martine, ma mère a été en retraite, c’était encore mieux, elle s’installait là bas pour les petites vacances, le dimanche soir nous rentrions en ville en laissant nos chers monstres aux grands-parents, citadins tout guillerets de se retrouver seul(e) avec l’élu(e) pour la semaine !

Les psys disent que pour des enfants adultes, la maison de campagne aide à retrouver le cocon parental. C’est un peu vrai ! On aime se faire dorloter, savoir le vendredi soir que Maman nous attend la soupe au chaud, on dort sous le même toit que ses parents, ce qu’on ne fait jamais en ville après les repas de famille.

Cela n’empêche pas bien sûr que je m’ennuie toujours un peu à la campagne. Nos enfants deviennent ados, sont très occupés, mes soeurs et moi quand nous parlons nous disons que la maison de campagne, ce n’est pas pour notre génération. Mon frère ne se voit pas bricoler ou tondre la pelouse (il n’y a plus de potager depuis mon grand-père, mais il y a du boulot quand même), mes soeurs et moi on se ne voit pas jardiner comme ma mère, ou passer le samedi matin à faire les courses, le reste du temps à cuisiner, le dimanche après midi à ranger quand tout le monde est parti. Mais nous continuons à venir, certains plus que d’autres.

Hélas tout a une fin. Mon papa malade, anticipait parfois en nous disant : “il faudra la vendre quand je ne serai plus là”. Nous n’avions pas vraiment envie de l’entendre. Il nous expliqua que le terrain étant très grand, on pourrait en vendre une partie comme terrain à bâtir. En effet la maison n’était pas au milieu du jardin, il y avait toute une partie plantée d’arbres que l’on avait toujours appelé “le champ” et qui servait de terrain de foot. Nous nous en moquions de ses calculs, nous nous en moquions de l’argent, tout au plus nous savions que dans cette région ça ne valait pas grand chose. Nous ignorions encore les joies de l’ouverture d’une succession.