pommes_by_louisianne

Mon ami d’enfance, un parisien donc et moi avions eu le coup de foudre très jeunes. Je ne vais pas ici philosopher sur les amours d’enfance qui se changent en amitié, toujours est-il pour faire court que mon ami d’enfance et moi sommes toujours amis 42 ans plus tard !
La petite fille de la ferme étant très capricieuse, je cessais de la voir. Mon ami cessa lui aussi de jouer avec le petit garçon de la ferme. Lui et moi avons gardé son frère, ma soeur, mon voisin et le sien.
C’est ainsi que deux bandes  rivales se formèrent, les parisiens (qui ne l’étaient pas tous d’ailleurs) et les paysans. Mes deux cousins et le petit garçon de la ferme. Nous avions environ 13 ans à cette époque. Je précise tout de suite avant de me faire lyncher que le mot “paysan” n’a rien de péjoratif et que je n’ai rien contre les agriculteurs ! C’est ainsi que nous nous appelions et je peux témoigner qu’il y avait autant de haine dans la prononciation du mot “parisien” que dans celle du mot “paysan” !

Nous nous battions dans la forêt ! Enfin battre c’est un bien grand mot ! Nous fabriquions des pièges grossiers avec des cordes. Les paysans construisaient des cabanes dans le bois que nous venions détruire. Les paysans nous dégonflaient nos roues de bicyclettes ou soulevaient les jupes des filles ! Les pauvres filles ne pouvaient pas toujours mettre de pantalons, on obéissait aux parents à l’époque ! Et bien sûr nous étions les champions en matière d’invention d’insultes !
Les filles suivaient le mouvement, mais je me souviens que j’étais terrorisée si par hasard je croisais seule un ennemi !
Le plus drôle, je le raconte souvent, c’était le soir. Chacun rentrait chez soi et ma tante, mon oncle et nos cousins venaient chez nos parents. Alors nous faisions la bise à nos cousins. Nos ennemis jurés du jour. Très timides nous parlions peu, en tout cas nous n’avons jamais parlé de nos bagarres de la journée ! Ce changement de rôle était tordant. Nous étions cousins, point barre !

Le temps passe. J’ai quinze ans. Les bagarres et les insultes sont terminées. Un jour mon ami d’enfance croise chez moi mes cousins qu’il n’avait jamais vus que de loin. Ils se parlent un peu gênés.

Je viens de perdre mon grand-père, la petite fille de la ferme qui a grandi, a perdu le sien aussi. Je ne l’ai pas vue depuis des années, elle se cloîtrait chez elle, et n’a jamais participé à notre guéguerre. Je décide d’aller la voir ! Je me souviens de notre éclat de rire, car nous sommes presque habillées pareil !

À partir de là je me partage entre sa maison et celle de mon ami, entre deux bandes qui ne se parlent pas. J’en souffre, je trouve que nous avons passé l’âge de nous bouder, mais je ne sais pas comment faire pour changer les choses. En septembre puisque les vacances de l’époque duraient longtemps, mon amie organise une boum dans le grenier de sa grange. J’y suis invitée ainsi que ma soeur Camomille et mon frère Cédric. Deux jours avant le frère de mon amie, va inviter mon ami d’enfance et son frère. C’est ainsi que parisiens et paysans se retrouvent tous. À dater de ce jour nous formons une bande inséparable. 3 familles de parisiens, deux familles sur place, plus mes cousins qui n’habitaient pas le village. D’autres se rajouteront plus tard. Un ami d’école de mes cousins, et d’autres satellites qui venaient de temps en temps. Le noyau dur restant notre village.

Des années de souvenirs et de bonheur. Des boums (oui on disait ça, et c’était surboum ou surprise party qu’on trouvait démodé !) , des couples qui se font et se défont, des fous-rires, des réveillons. Ma soeur, mon frère et moi ne vivions que pour les week-end et petites vacances où nous retrouvions nos amis.  Souvent les parisiens amenaient un copain ou une copine en week-end, ils  nous envient notre joyeuse bande. Un ami de mes cousins, le premier à avoir le permis vient nous voir régulièrement. En septembre nous nous retrouvons après nos “vraies” vacances, certains sont allés à la mer, d’autres voyagent. Mais septembre c’est toujours le retour, les derniers jours avant la rentrée. J’en ai encore souvent la nostalgie, car je trouvais plus doux le soleil de la Normandie après le climat du Sud. J’aimais retrouver les champs moissonnés mais pas encore labourés alors que je les avais quittés avec le bruit des moissonneuses. Que de poésie, alors que bientôt je vais dire que je n’aime pas la campagne !

Nos parents bien sûr étaient souvent témoins de nos rires. Nous nous retrouvions chez les uns, chez les autres. Lorsque mon oncle et ma tante ont déménagé pour une maison plus grande avec un jardin et un immense grenier, nous y avons passé des soirées entières, à décorer le grand grenier qui nous faisait une salle de boum en plus, à y écouter des disques, et là aussi nous avons planté des tentes pour y dormir ou parler autour d’un feu de bois. Bien sûr tous les parents se connaissaient, s’invitaient.
Les parisiens commençaient à se voir souvent à Paris. Des amies du village venaient même y faire leurs études, Paris n’est pas si loin. Nous faisions aussi des boums dans nos villes où les amis de la maison de campagne étaient invités.  A l’époque les garçons parlaient de leur service militaire et pensaient le faire à Paris. Je passais à mon tour le permis et je le fêtais à la maison de campagne. Je n’avais pas encore de voiture, je fêtais aussi mes vingt ans en novembre. En février de l’année suivante, l’ami de mes cousins, Erwann décida que les paysans viendraient voir les parisiens à Paris. Il partit donc avec mes cousins le mardi gras. Il avait prévu leur programme, déjeuner chez mon ami et son frère à Paris, puis visite chez mes parents dans ma banlieue.

Ils ne sont jamais arrivés. Un carambolage sur l’autoroute. Erwann s’est retrouvé à l’hôpital où il a passé des mois avec une jambe en très mauvais état et d’autres complications. Mes deux cousins ont été tués sur le coup. 
J’ai du mal à parler de cette période. J’ai tant pleuré que j’ai cru ne plus avoir de larmes. J’ai partagé ce chagrin avec Camomille et Cédric. Avec le reste de la bande, nous nous sommes retrouvés pour rire, pleurer en évoquant des souvenirs, et voir Erwann à l’hôpital puis chez lui en convalescence. Bien sûr il mit longtemps à s’en remettre, se sentant coupable, incapable de comprendre pourquoi lui il était encore là. Nous sommes bien sûr allés à l’enterrement. Aujourd’hui encore j’ai froid dans le dos en voyant leur photo chez mon oncle et ma tante, je me demande comment ils ont survécu. Et à chaque mariage lorsque je les vois pleurer alors qu’ils ont toujours le sourire, je sais juste leur dire que je n’ai pas oublié.

La maison de campagne, c’est aussi ces souvenirs là, ça ne s’efface jamais.