Enfin dans le train, j’arrive à joindre Martine. Je lui demande où elle est :

- Je suis dans “ma grande maison” cela dit sur un ton sarcastique…

C’est sur, le studio c’est minuscule, mais ce n’est pas faute de lui avoir dit, non ?

Je lui dit que j’arrive, elle me dit que ce n’est pas la peine. J’ai enfin réussi à joindre la collègue de Servane qui me dit qu’elle pourra lui laisser un message, à la pause.

J’arrive enfin chez moi, je prends ma voiture, et je rejoins Martine. Elle est allongée sur le lit dans son studio. À peine suis-je arrivée que je suis assaillie de paroles. Elle est furieuse contre Cédric et sa femme qui sont devenus ses bêtes noires. Les phrases viennent et reviennent dix fois : où est ce que je vais mettre mes affaires, il n’y a pas de place… Il y a des ouvriers dans la maison, la maison est ouverte à tous les vents, on y entre comme dans un moulin… J’ai vu un guéridon sans pied, où est le pied ?

Louisianne : Cédric l’a démonté pour ne pas l’abimer pendant les travaux ! Et il t’avait dit de ne pas monter avant que ce soit fini !

Martine : Mais j’ai le droit de faire ce que je veux ! Je suis encore chez moi !

Puis de temps en temps, des crises de larmes : c’était ma maison !

Je la comprends d’autant plus facilement que j’ai moi-même éprouvé un gros choc en la voyant ainsi.

Servane m’appelle. Je lui explique de quoi il retourne. Il est clair que Martine tombe des nues, qu’elle ne s’est visiblement pas rendu compte de ce qui se passait, qu’elle a du dire oui à tout sans réaliser. Et que là elle réalise enfin. Servane me dit qu’elle arrive, il est midi.

Elle réalise ce que Camomille et moi lui avons martelé cent fois : tu passes de très grand à très petit, la maison ne sera plus ta maison, réfléchis bien, il y a peut être d’autres solutions !

Servane arrive et lui demande “alors maman tu croyais quoi ?”.

On ne sait pas trop ce qu’elle croyait. Elle non plus probablement. Je n’avais pas compris qu’elle laisse Servane et Cédric déménager sa chambre, ses vêtements, c’est trop personnel tout ça !

Comme il fait beau et que le studio me parait sinistre, je dis : “allez on bouge, on va chez moi, on mange dans le jardin”.
En sortant Servane me dit qu’elle a remarqué le petit déjeuner avec la rose et le journal préparé par Cédric.

Je le emmène. Nous déjeunons dans le jardin. Martine parle sans s’arrêter. Elle nous énumère ses griefs passés, présents sur Cédric et sur sa femme. Servane et moi nous le défendons bien sur.
Il est accusé d’avoir fait très vite des travaux “comme si c’était dégoutant chez moi”, alors que chez lui il n’en avait pas fait. Servane proteste : mais il n’avait pas d’argent ! Là il vient d’avoir un héritage du côté de sa femme ! Tu crois que c’est facile de faire des travaux !

Cédric, complètement affolé, m’appelle au moins 4 fois : ne me laissez pas seul avec elle ! Je lui dis qu’on gère.
Il n’est pas encore remis des accusations de Camomille qui lui a reproché sans réfléchir, les mêmes choses que Martine !

Cédric : Vous me défendez au moins ?

Louisianne : Non ! Nous disons que tu es un affreux méchant !

Après manger, j’envoie Martine faire la sieste en haut. Ma sœur et moi nous regardons :

- Ouf ! C’est la vraie crise là ! 

Nous concluons qu’elle n’a pas du dormir de la nuit. Que tous ses griefs passés remontent à la surface, vu qu’elle ne sait jamais exprimer ce qu’elle ressent dans l’instant. Qu’est ce qu’elle croyait : peut être tout bêtement : “tiens Marianne, j’ai vidé un tiroir, tu peux le prendre”. Alors que bien sur il est impossible à une famille de quatre de s’installer dans une maison pleine comme un œuf comme l’était le Trianon.

Après la sieste, rien n’a changé. Martine continue à parler sans discontinuer, répétant dix fois les mêmes histoires, transformés, corrigées. Servane et moi nous regardons en levant les yeux au ciel. Nous évitons de rebondir, gardons pour nous les horreurs entendues.

Puis Cédric vient chercher Martine pour la réunion de copropriété. Nous ne l’avons pas laissé seul avec Martine. Mais il ne risque rien : elle ne lui dit rien, Martine n’est pas le genre à dire les choses en face. 

Je dis à Cédric que Martine va dormir chez moi. Le lendemain je l’emmènerai prendre le train en partant au travail.

Servane peut enfin rentrer chez elle. J’attends chez moi dans le jardin la fin de la réunion. Puis Cédric me ramène ma mère. Elle est rassurée par la réunion et fait un câlin à son fils.

Beaucoup plus tard, Martine nous dira qu’elle a été contente que nous défendions notre frère. Lui aussi en a été tout surpris ce grand crétin sentimental !

Servane et moi nous sommes dit plusieurs fois que si nous n’avions pas été soudés, notre mère aurait facilement semé la zizanie entre nous !

Le soir Martine s’endort toute habillée. Le mardi matin, je la vois avec son mouchoir à carreaux pleurer comme une petite fille. J’ai presque peur de la laisser prendre le train. Va t-elle pleurer pendant 6 heures ?

Nos prenons le train de banlieue jusqu’à Austerlitz. Là j’emmène ma mère boire un café, nous sommes en avance. Je lui dis “ne pleure pas pendant le voyage, d’accord ?”. Mais peut être qu’elle va dormir trop épuisée par ces émotions.

Moi aussi ça m’a fait tout drôle d’être la maman de ma maman.

J’appelle Camomille qui doit la récupérer à l’arrivée.

Les travaux ont été terminés à la rentrée, le studio a été refait à neuf. Martine se plaira là finalement avec toujours des visites, de ses petites filles qui habitent au dessus, de tous les autres petits enfants. Servane qui travaille à côté et vient déjeuner le midi. Mes filles qui, scolarisées chacune deux ans à Versailles sont venues manger chez elle tous les midis.

Cédric va tous les soirs prendre le café avec sa mère, tous les dimanches, Martine mange avec eux, Marianne lui fait ses courses.

La crise est passée. Et Martine dira souvent que c’est bien que ce soit Cédric qui ait choisi de reprendre la maison.