Athéna avait 4 ans et Artémis 2 ans. C’était les vacances de février. D’ordinaire personne n’aillait à la maison de campagne en février, il faisait trop froid. Une cheminée en bas : on crève de chaud à côté, on gèle quand on est loin et à l’étage, que nous appelions le grenier avec son escalier extérieur, des radiateurs électriques. Seule une chambre bénéficiait du conduit de cheminée qui la chauffait un peu.

Pourtant cette année là, Martine et Eugène, et Camomille avaient emmené les enfants en vacances à la campagne. Il y avait là Athéna, Artémis, Timothée et Chris. Les autres n’étaient pas encore nés. 

Il gelait à pierre fendre, et ils regrettaient presque leur idée, mais tant pis. À l’étage, Camomille avait tiré entre les deux pièces, le radiateur à bain d’huile, près de la cloison en bois qui séparait les chambres. Il était branché sur une grosse rallonge noire, celle qui mon père utilisait pour bricoler, enroulée sur un support à roulettes. Benjamin disait souvent à son beau père que l’électricité était une catastrophe, et que tout cela allait mal finir avec ces prises en porcelaine mal fixées, et ces fils enfermés dans des tubes métalliques. Mais Eugène trouvait que le bricolage trop perfectionniste de Benjamin coutait trop cher, et remettait toujours au lendemain la promesse d’aller avec lui acheter le matériel.

J’étais clouée au lit avec une angine et 49° de fièvre. Servane m’appelle, et me dit : “il y a eu un feu de cheminée, rien de grave, pas de dégâts, mais il faudrait que Benjamin vienne chercher les filles, ils ne personne ne pourra dormir là bas cette nuit”. Plus tard mes filles me reprocheront de n’être pas venue, mais vu que j’étais malade et que je croyais que ce n’était pas grave…

Tout est allé très vite : Benjamin est allé chercher Luc et Cédric (mon frère et le mari de Camomille pour ceux qui ne suivent pas), et ils sont partis en voiture.

En réalité, Servane savait que c’était grave, mais ne voulait pas m’affoler.

Depuis plusieurs jours, Camomille disait à mon père : il y a une odeur bizarre, en haut, ça sent la décharge !

“La décharge” était un lieu mythique : c’était l’endroit dans la forêt où tout le monde jetait ses ordures, avant l’époque des poubelles et du ramassage dans les campagnes. Petits nous adorions y jouer ! Fouiller pour trouver des trésors, mettre le feu, faire exploser des bombes de laque, brûler de vieux pneus,  !

Quelle époque bénie ! Nous nous blessions avec du métal rouillé, mon frère est revenu un jour avec du plastique brûlé et collé à sa jambe… J’imagine ma tête si mes filles avaient de tels jeux aujourd’hui !

Donc la décharge sentait le caoutchouc brûlé, et l’odeur dans la chambre y ressemblait, mais ma sœur ne s’en inquiétait plus que ça.

Ce jour là, à l’heure de la sieste, Camomille couche Chris, encore bébé dans son lit à barreaux, et Artémis avec son biberon de cacao dans mon grand lit.

Puis elle descend corriger ses copies, et y serait restée une heure ou deux sans lever le nez… 

Martine sort dans le jardin et dit à Camomille : on dirait que de la fumée sort du toit, tu devrais aller voir en haut, sans s’affoler plus que ça.

Camomille monte et découvre la scène horrifiée : la cloison en bois, est en flammes, à quelques centimètres de Chris qui dort. Artémis dira toujours que Chris jouait dans son lit, contrairement à ma sœur. Artémis tousse tellement qu’elle a vomi : elle ne dormait pas, elle dit qu’elle a voulu appeler, mais qu’elle a craché de la fumée “comme Eugène”, grand fumeur, et qu’elle a vomi.

Camomille attrape les deux enfants sous le bras, Artémis pleure parce qu’elle a perdu son biberon et qu’elle ne veut pas partir sans :
- Ce n’est pas grave, le plus important c’est vous !

Artémis avait les cheveux longs et fins, impossible à démêler sans cris. Martine ne veut pas qu’elle pleure, cela fait donc plusieurs qu’elle a une tigrasse emmêlée. Pour couronner le tout, elle a vomi dans ses cheveux !

Martine, terrorisée à l’idée que ses petits enfants auraient pu mourir, tient dans ses bras Chris et Artémis et reste pétrifiée dans le jardin. Athéna et Timothée pleurent à fendre l’âme.

Camomille court pour chercher de l’aide. Nous n’avons pas de téléphone, et il n’y avait pas de portables. Elle court dans les deux maisons voisines, mais elles sont vides, les gens sont au travail. Heureusement sur la route, passe Hervé en voiture, notre ami d’enfance, frère de Brenda. Prévenu, il file à la ferme téléphoner.

Puis il revient. Il demande à mon père le tuyau d’arrosage, il a gelé, il est trop court, il repart chez lui chercher un tuyau, les pompiers ne sont toujours pas là. Puis Hervé se met à éteindre le feu par la porte du grenier.

Pendant ce temps, Camomille, à quatre pattes à cause de la fumée, tente de récupérer tout ce qui est sauvable, surtout les doudous des petits, et le biberon d’Artémis. 

Par chance, aucun des lits ne s’est enflammé. Mais les flammes montent vers les poutres et le toit, le plafond est noir, le papier peint brule.

Camomille et Hervé toussent mais ne renoncent pas.

à suivre