Le temps passe. Pierrick est agriculteur. Il avait pourtant juré qu’il ne reprendrait pas la ferme de papa. Au début de son mariage, je lui ai demandé si il étai heureux, il m’a dit pourquoi je ne le serais pas… Mais c’était très rare que l’on parle. Nous avions été si bon amis, j’avais du mal à croire qu’il soit devenu presque un étranger. À part se demander des nouvelles des enfants, de nos tribus, rien de bien passionnant. Même si il lui est arrivé de laisser tomber le masque, comme la fois où il est venu me voir pour me dire qu’il avait eu un accident de voiture et failli mourir. Bizarre retour vers l’adolescence, je me souviens d’avoir caressé ses boucles brunes, comme avant. Je l’aimais bien Pierrick, j’ai mis du temps à faire ce deuil là, pourquoi une fois adultes doit-on faire comme si on ne s’était jamais connu ? Sa femme s’était montrée très jalouse les premières années, mais elle avait à appris à me connaître…
Mais la vie trop calme de Pierrick, me faisait me dire que finalement Serena et Pierrick n’étaient peut-être pas faits l’un pour l’autre.

Serena et Lascar étaient revenus vivre en région parisienne. Ils ont deux filles. Serena devenue psychologue pour ados. Son mari gagnait bien sa vie, ils déménageaient souvent, toujours pour de beaux appartemens ou maisons, chacun leur voiture, les filles faisant des activités. Elle me demande de temps en temps des nouvelles de Pierrick. Je lui explique que j’ai du mal à le faire parler. Elle me demande si il s’est marié par dépit… Je ne sais quoi penser : il ne m’a jamais parlé de sa femme.

Lascar lui drague à chaque dîner. Un jour après une soirée du jour de l’an, il m’appelle le lendemain au bureau pour me faire une proposition malhonnête. Je lui explique que je connais trop Serena, que ça ne me tente pas etc… Bien sûr je pourrais lui raccrocher au nez, mais je l’ai dit à part ce défaut énorme, Lascar est une compagnie agréable. Je parle souvent avec lui, il est intéressant, et jamais avare de compliment avec les dames. Il tentera régulièrement sa chance en insistant davantage le jour où je suis divorcée. Je ne suis pas une sainte, j’aurais pu craquer à force de solitude… Mais si j’avais été une garce je n’aurais sans doute pas craqué : Lascar ne me plaisait pas, son côté pervers me faisait peur, quelle genre de gymnatisque veut pratiquer ce genre de type ? Et si en poussant les choses encore plus loin j’avais fait abstraction de tout ça : trop de principes pour accepter un homme marié, trop d’amitié pour Serena, physique moyen, côté pervers, il restait encore un hic : on se voyait tout le temps ! Et je si je venais à rencontrer quelqu’un, serais-je vraiment à l’aise dans les soirées du jour de l’an ? Serena pouvait dormir tranquille, je n’étais pas une rivale !

Le Lascar faisait pire : un jour il croise dans une soirée la meilleure amie de ma petite sœur. Il apprend qu’elle travaille chez un grand couturier parisien. Il ne connait pas son nom mais téléphone le lundi chez le grand couturier en demandant à parler à la jeune fille brune aux cheveux longs. Il falait tout de même un sacré culot, la jeune fille brune après l’avoir remis à sa place (elle l’avait à peine remarqué lors de la soirée) le raconte à Servane. Lascar prenait un sacré risque, si nous avons toujours été discrets vis à vis de Serena, toute la tribu, mes parents compris sont au courant de cette histoire !

Serena se confiait de plus en plus à moi pour me dire qu’elle et son mari ce n’était plus la passion, qu’elle le trouvait moins séduisant etc…
Me voilà bien entre les confidences de Madame et les tentatives de Monsieur !
J’essaye de dire à Serena qui a l’air déçue mais tout de même encore un peu amoureuse ” mais tu n’as pas peur qu’une autre le trouve séduisant ? “

L’aveuglement et la naïveté de Serena sont tout de même légendaires ! Camomille et moi en parlons souvent.

Je suis maintenant seule avec mes deux filles. Un jour Lascar et Serena louent une maison dans le sud. Nous allons les voir mais ils ne viennent pas. Lascar a toujours peur de croiser Pierrick, enfin que Serena le croise. Puis l’année suivante enfin ils viennent.  Serena avait 18 ans la dernière fois, là d’après mes souvenirs, elle et Pierrick en ont 35. 
Nos enfants s’amusent ensemble. Serena vient faire les courses avec moi. Elle se confie plus facilement à moi qu’à ma sœur. Sans doute parce que divorcée je donne l’impression de comprendre mieux les choses que Camomille et sa petite famille de 4 enfants. Je l’ai dit ma soœur et elle ne se ressemblent pas vraiment, mais ne se sont jamais quittées.

Serena me confie, avec moult précautions, qu’il lui arrive de tromper Lascar, de temps en temps, ça lui fait du bien. Je lui dis que je ne suis pas choquée. Et je suis même contente pour elle. J’imagine que Lascar pratique ce sport depuis longtemps et si il y en a bien un qui mérite de porter des cornes, c’est lui !
Je dis à Serena : tu veux que je t’emmène voir Pierrick ?
Elle hésite… Non, frapper à sa porte, je ne pourrais pas !
- Mais tu seras avec moi !
- Je ne sais pas trop…

Je lui dis : ” je me demande si tu aurais été heureuse avec Pierrick ! Tu te vois vivre ici dans une ferme, dans ce village paumé ? “

- Pourquoi pas, il ne faut pas dire ça !
Et pourtant je commençais à la connaître Serena, et je connais bien Pierrick aussi !

Le dimanche, nous allons au marché du village. Trois familles, des enfants partout, des poussettes. Et j’aperçois Pierrick qui ne va jamais au marché. Je donne un coup de coude à Serena :
- Suis moi !
Je me précipite vers Pierrick, craignant de le voir partir trop vite.
- Viens avec moi, Serena est là !
- Serena ?
Pas la peine, même après toutes ces années à ne jamais prononcer ce prénom de lui préciser qui est Serena (bien sûr en vrai elle a un prénom plus commun).
Tada ! Patientez encore !