deux_femmes

Avec mon père, le pardon a été rapide. Il m'avait toujours profondément aimée, et il a vite compris son erreur de jugement sur Benjamin.

Pour mon frère et ma sœur, les choses ont été plus dures. Je pouvais comprendre que des gens de la génération de mes parents soient contre le divorce, mais pas eux. Après un été épique avec moultes engueulades, je lui ai pris tous les deux en face à face pour que l'on s'explique. Pas trop de problèmes avec Cédric, nous en avons même reparlé des années plus tard. Il s'en est voulu de n'avoir pas tendu une main.

Camomille s'est montré d'une mauvaise foi incroyable,  mais elle avait toujours été jalouse à l'instar de beaucoup de sœurs.

Je me suis promis de ne jamais être comme eux, de ne jamais me venger. Au contraire d'ouvrir ma porte et mes bras le jour où ça irait mal pour eux.

Durant cette difficile période, je n'avais que Laurent. Lui avait appris ma décision de divorce avant tout le monde, il m'en voulait un peu de ne pas lui en avoir parlé mais pas tant que ça.

C'est sur son épaule que je venais pleurer, raconter ce que me faisait ma tribu. Lui qui admirait ma famille, qui nous comparait à "la petite maison dans la prairie" tombait des nues. Mon ami a été d'une patience d'ange, très intuitif et merveilleux. Je suis tombée folle amoureuse de lui ce qui n'a pas altéré notre relation. Malgré nos nombreuses disputes, bien qu'il veuille garder le rôle d'ami et pas moi, il ne m'a jamais envoyée balader. Pour lui c'était à moi de décider si c'était trop dur de le voir ou non. Il avait compris contrairement aux autres que j'étais en pleine crise.

J'ai vécu alors une longue crise. Peu importe son nom, qu'elle soit d'adolescence, de la quarantaine ou autre, toutes les crises se ressemblent.

Je rejetais mes parents, leurs valeurs. Je sentais à quel point, enfant timide et introvertie, j'avais été phagocytée, combien ma mère surtout avait pensé à ma place.

Je voyais tout ce qui ne se voyait pas, derrière la façade. Je voyais que cette famille de bons vivants, unis, n'en vivait pas moins en autarcie, que même si ils étaient accueillants, je n'avais jamais pu ouvrir mes ailes découvrir le monde et les gens.

Cédric m'a dit un jour que nos parents ne nous avait pas appris à être attentif aux autres, ce qui était vrai.

C'est pour ça que j'ai toujours voulu envoyer mes filles en colonie, ou dans des centres de vacances, je ne voulais qu'elle ne connaissent que la famille, que les vacances en famille.

Durant la période où Martine comptait encore me faire changer d'avis, elle m'avait emmené faire un long tour dans les champs. Je pensais qu'elle allait me parler de mon divorce, mais pas du tout.

Elle m'a raconté sa vie, sa jeunesse. Elle m'a parlé de Lucien et m'a dit des tas de choses qu'elles ne m'avaient jamais dites.

Puis elle m'a enfin parlé de son blocage. Elle m'a expliqué que son blocage avait pris fin à la naissance d'Athéna.
Le fameux rêve il n'est pas tout à fait mort il reste quelque chose...

Ce quelque chose qu'elle ne voyait pas.! Non pas qu'elle ne voyait pas sa fille, mais elle ne voyait pas Lucien comme mon père, mais comme un jeune homme, mort beaucoup trop jeune.

Et le jour où Athéna est née, ce fameux déclic dans ma tête, elle a compris qu'il n'était pas tout à fait mort, son vœu s'était réalisé : il avait une descendance.

C'est amusant de penser que je suis une fille. Un garçon c'est différent, il n'aurait pas porté dans son ventre la descendance de Lucien, tout comme mes filles porteront peut être dans leur ventre, la descendance de Lucien.

Je n'ose imaginer ce que serait devenue Martine si je n'avais pas eu d'enfant.

Un jour elle m'a donné le livre "Le voile noir" avec un petit mot me demandant de lui pardonner de ne pas m'avoir parlé du passé, en me disant qu'il n'y avait pas d'explication logique à cela.

J'ai pleuré et je lui ai pardonné.

Même si durant cette période tout le monde avait voulu me rendre responsable. Ma mère qui m'en voulait d'avoir choisi le nom de Eugène qu'elle s'était battu pour avoir. Eugène qui m'en voulait de ne pas être sa fille biologique (un comble) et qui était un peu jaloux du passé de ma mère.

Quelquefois je me demandais même si mes parents, inconsciemment sans doute, ne m'avaient pas mise devant un choix impossible, sans que je ne le réalise vraiment. Choisir un nom, c'était choisir entre deux.

Et j'ai eu vraiment l'impression que mes parents règlaient leurs comptes "sur ma tête". Tous ces non dits qu'ils ne s'étaient jamais dits.

Mon frère et ma sœur pour des raisons obscures, la jalousie sans doute, de la place à part que j'occupais. Place pourtant pas si enviable que ça.

D'ailleurs après ma crise, tous ont fait une crise. Une amie avait été étonné de l'influence que ma décision avait eu sur ma tribu. Famille idéale et fusionnelle, diraient les psys à qui je n'ai rien demandé.

Avec les années j'ai trouvé des circonstances atténuantes à Martine qui n'avait jamais été écoutée, qui aurait tellement eu besoin que quelqu'un prenne le temps, thérapeute ou ami. Tout comme j'ai pardonné à mes sœurs et mon frère, et cesser de vouloir les analyser. C'était leur problème, pas le mien.