Laurent non plus ne s’est pas marié à la Folie, mais dans un petit village pas très loin de la Folie. La soirée avait lieu dans un château. Il y avait beaucoup de monde à la messe. J’étais au fond de l’église, je ne voyais pas grand chose, mais je n’avais pas envie de m’approcher. Ma sœur Camomille et moi avions chacune un enfant que nous avons présenté à la grand-mère de Laurent. Le photographe avait pris des photos de nos deux bambins. Je me souviens d’une photo de ma fille Athéna dont les yeux verts exceptionnels attiraient les compliments. Laurent m’avait promis de me refaire cette photo je l’attends encore !
Puis nous sommes allés dans le château pour le vin d’honneur. Le décor était magnifique. Mes soeurs, mon frère et moi nous sommes retrouvés avec les rares de la bande de la Folie. On se voyait déjà de moins en moins. Laurent est venu me voir, je lui ai expliqué que je ne pouvais pas rester pour la soirée. Il m’a dit que le lendemain il faisait un repas le midi avec les plus proches dans sa maison de la Folie et que je devais venir avec ma tribu.
Ensuite je suis partie avec mes parents, ma fille Athéna et mon neveu. Mon mari, mon frère, ma sœur et leurs conjoints sont restés. Le lendemain matin mon mari m’a donné un menu de mariage, sur lequel Laurent m’avait écrit un petit mot.
Le midi ni moi ni le reste de ma tribu n’étions vraiment motivés pour aller manger chez Laurent. En effet quand Laurent dit quelques proches, ça peut signifier 15 personnes. Nous y sommes tout de même allés pour prendre le café avec eux. J’étais épuisée, je traînais mon grand ventre. Quand j’ai voulu partir, Laurent m’a raccompagnée à la grille, il insistait pour je reste, me proposait d’aller m’allonger dans l’herbe avec d’autres futures mamans. Mais je ne les connaissais pas ou peu, et je n’étais pas en état de faire des mondanités. Laurent ne comprenait pas que je sois plus réservée que lui.
Je ne le savais pas mais je me préparais à vivre les 5 pires années de ma vie. Artémis est née en septembre. Laurent n’a pas pu se libérer pour venir à la maternité. Il est venu plus tard, m’a proposé de venir déjeuner chez moi un midi, j’étais encore en congé maternité. La situation était bizarre… Moi qui faisais la cuisine, lui dans le salon avec mon bébé dans son transat.
Si mon mariage n’avait pas changé notre relation, le sien l’a changé. Il n’était plus disponible. Plus de sorties le soir, on déjeunait encore parfois le midi à Paris. Il n’oubliait jamais mon anniversaire mais remplaçait parfois le coup de fil par une carte, ce qui espaçait encore les échanges.
Laurent nous invita ma sœur son mari et moi dans son nouvel appartement. Toujours avec ma tribu, puis ce fut ma sœur qui les invita. Cela n’arrive pas souvent, tous les 5 ans, voire tous les 10 ans. Mais Laurent est resté lié avec ma tribu.
Un an après la naissance d’Artémis mon frère s’est marié à La Folie. Laurent était invité bien sûr, sa femme était enceinte. Je n’avais pas vu Laurent depuis longtemps. Le mariage s’est passé dans notre maison de campagne, un de ces souvenirs qui font encore plus regretter la maison. Une grande tente était dans le jardin dans laquelle nous avons mangé puis dansé. C’était une table en U. Mon mari était le témoin du marié, il était donc à côté des mariés. Moi à côté de mon mari, et de l’autre côté Laurent. Sa femme par contre, n’était pas à la base du U, mais sur l’autre table qui tournait la jambe du U (on dit comme ça, mais bon vous me comprenez quoi !). Elle était assise près d’un couple avec un bébé et parlaient avec eux. Laurent et moi ne nous étions pas vu depuis longtemps et nous avons parlé sans arrêt. Cependant cette fois là mon mari n’était pas décidé à être tolérant. Il manifestait son impatience, sans forcément me parler, mais en faisant des hum, hum ou pire. Artémis dormait. Athéna commençait à être fatiguée mais refusait de se coucher. Je l’ai mise dans sa poussette derrière nous où elle s’est endormie. J’attendais qu’elle dorme profondément pour aller la mettre au lit. Mais mon mari n’était pas d’accord, il voulait que je me lève, (et surtout que j’arrête de parler avec Laurent) et que j’aille la coucher. (mais se lever lui pour y aller, ça non vous n’y pensez pas !). Alors il manifestait son mécontentement en tapant du pied. Je n’y faisais pas attention.
Lorsque le fils de Laurent naquit, il m’appela le soir même. J’ai envoyé un cadeau chez eux. Puis plus tard nous nous sommes vus et il m’a montré les photos.
Cinq années horribles. Je n’étais plus heureuse dans mon mariage, j’avais deux enfants en bas âge, j’étais épuisée. Pour mon mari je faisais partie des meubles. J’avais toujours été rêveuse, mais là je vivais dans une tour d’ivoire.
Un jour alors que le fils de Laurent était petit, en week-end à la Folie nous avons appris qu’il était là avec sa petite famille. Nous y sommes allés l’après midi, (Camomille, mari, enfants, mon mari, mes filles) prendre le café comme souvent. Laurent est incapable de dire si il ne m’a pas vue depuis 6 mois ou depuis 1 mois, mais lorsque nous ne sommes pas vus depuis longtemps, il y a toujours quelque chose de physique, presque palpable qui se passe. Dans son jardin, il y a une petite pente herbeuse pour aller vers l’endroit où est le salon de jardin. Je montais cette pente et Laurent venait vers moi. Il me tendait les bras. Encore une image qui reste gravée dans ma mémoire… Cet élan qui nous pousse l’un vers l’autre, j’ai parfois l’impression qu’il est matériel… J’imagine une pluie de petites étoiles blanches translucides…
Laurent a cinq de mariage. Artémis a cinq ans. Je n’ai jamais parlé à personne du fait que je n’étais pas heureuse en ménage. J’aurais pu en parler à Laurent, mais quelque chose me disait qu’il ne m’aurait pas aidée. Pour Laurent le mariage est sacré, pour moi aussi mais différemment. Pour lui avoir une liaison parce qu’on n’est pas heureux pourquoi pas tant qu’on ne divorce pas. Pour lui heureux ou pas, on doit rester jusqu’à ce que les enfants soient élevés. Moi j’étais incapable de tromper et je fuyais les hommes mariés en mal d’aventure. Je pense que ça ne résout pas les problèmes. Je peux comprendre que l’on recherche ailleurs ce que l’on a pas chez soi… Mais ça ne m’intéressait pas.
Mais je suis décidée à agir. Je veux comprendre alors j’écris. Comprendre pourquoi je me suis mariée, comprendre comment j’en suis arrivée là.
J’écris tout le temps, je rêve de m’enfermer dans un monastère 15 jours pour réfléchir. Je suis dans ma tour d’ivoire dans l’introspection. Quand je ne m’occupe pas de mes filles, j’écris où je me colle le baladeur sur les oreilles, j’écoute JJ Goldman en boucle, même dans mon lit. Je suis devenue presque autiste et mon mari ne me voit pas m’éloigner…
J’écris mon enfance, mon adolescence, j’écris les hommes qui ont compté pour moi. Je n’écris pas dans l’ordre, je parle de l’un, de l’autre et je réserve la relation la plus longue, Laurent pour la fin.
À ce moment Laurent m’écrit pour me dire que sa femme est enceinte. Je téléphone à sa femme. Laurent aurait voulu qu’elle et moi devenions les meilleures amies du monde. Je lui disais que c’était impossible, que ce serait trop beau si la femme d’un meilleur ami devienne une meilleure amie ! De plus elle et moi sommes très différentes. Nous nous sommes toujours estimées, mais nous n’avons jamais été proches.
Puis je commence à écrire l’histoire de Laurent et moi. Un vrai pavé ! Je me souviens de l’avoir écrite souvent à la Folie le week-end, lorsque j’y allais avec mes parents. Mon père se demandait ce que je faisais. Mes filles jouaient dehors, mon mari bricolait, et je restais enfermée à écrire. De plus ça me convenait d’écrire à l’endroit même où j’avais tous mes souvenirs avec Laurent.
À ce moment là je commençais à appeler Laurent le soir. Une fois par semaine mon mari faisait du sport. Mes filles étaient couchées, et je savais que Laurent restait tard au bureau. Je lui avais dit que j’écrivais ” sur lui ” (bizarre expression) et que j’avais besoin de lui demander des infos que j’avais oubliées. Je n’étais pas dupe de mon stratagème, d’abord j’ai une mémoire d’éléphant et ensuite je savais que je renouais le fil. Laurent me demandait comment je pouvais écrire sur lui alors que je ne le voyais pas. Et il parlait. 1 heure, deux heures. J’avais mal aux fesses à la fin, je n’avais pas de téléphone sans fil et restait clouée à une chaise inconfortable dans l’entrée. Il m’avait manqué, mais je lui avais manqué aussi. Il ne me parlait pas du passé mais du présent, de sa vie, de son chemin. Je lui demandais souvent comment sa femme pouvait accepter ses horaires. Aurait-elle aimé apprendre que ce n’était pas tant le boulot qui le retenait que les conversations avec son amie d’enfance ?
Je continuais à vivre. J’allais acheter le pain, je dorlotais mes filles, j’avais l’air normale lors des repas de famille, mais je vivais dans le passé, dans mes écrits… Chaque petit détail revenait, pas une phrase qu’il ne m’ait dite et que je n’ai pas notée. Je relisais ses lettres, je regardais les photos. Le cadre avec la photo de nous à tous les âges était accroché au mur. Je découvrais soudain que Laurent était partout…
En novembre Laurent m’appela de Rome pour mon anniversaire. En décembre j’allais déjeuner avec lui et je lui dis que je comptais divorcer. Sa réaction fut une vraie surprise : il était furieux. Pas de paroles de soutien, pas de compréhension. Et tes filles ? Puis il me dit ” mais tu me mets devant le fait accompli, on aurait pu en parler ensemble, prendre une décision ensemble ! “
Là je sursautais : ” tu parles comme si on était mariés ! Comme si c’était de toi que je voulais divorcer ! “.
Puis je lui dis :
- je vais être libre et pas toi ? Et c’est la première fois que cela arrive ?
J’avais le sentiment que Laurent arrivait à un tournant de sa vie où il n’était plus heureux non plus. Au moment de l’arrivée du deuxième enfant, comme pour moi.
Sa réaction me fit mal, puisqu’il ne m’apporta aucun soutien. Mais je n’avais encore rien dit à personne. En février, Laurent et moi avions décidé de fêter nos trente ans d’amitié. Jusqu’à ce jour là nous nous étions contentés de lever nos verres en comptant les années. Mais là une fête s’imposait. Nous avions pris rendez-vous pour le mois de mars, dans un grand restaurant et le soir. J’avais insisté pour que ça ait lieu le soir, marre de le voir que pour déjeuner.
Les choses accéléraient. Je sentais qu’il y avait une urgence à finir d’écrire mon histoire, comme si au bout du roman, j’allais trouver un trésor, un Saint Graal qui aurait changé ma vie. Et j’avais raison.
J’avais fini d’écrire. Je n’écrivais plus les événements, j’écrivais ce que je ressentais, je posais mille questions, je cherchais des réponses. J’analysais Laurent, je m’analysais. Et je sentais la balance pencher dangereusement.
Une nuit où je n’arrivais pas à dormir, je me suis levée et j’ai écrit quelques lignes. Soudain mes yeux s’ouvraient, je venais de voir la lumière. Je pleurais, je n’en revenais pas… Je venais d’écrire trois mots :
Je t’aime Laurent !
Je ne pouvais plus vivre. Je riais et je pleurais à la fois. Je pleurais sur les années perdues, et je pleurais sur le désastre… Maintenant, pourquoi maintenant… Que dire que faire… Cette fois ci mon mari avait bien vu que je n’étais plus là du tout.
Un mercredi matin j’attends que mon mari parte travailler pour laisser couler mes larmes… était 7 h 30 du matin. Je téléphone chez Laurent. Je ne l’appelle jamais chez lui. Je tombe sur sa femme. Elle me dit qu’il est sous sa douche, qu’il arrive. Elle voit bien que je pleure, elle est très gentille.
Sa voix enfin… Calme.
- qu’est ce que tu as ?
- Je crois que tu le sais ce que j’ai… Je t’aime.