Cette fois ci c’est sûr, il va me raccrocher au nez, je ne le verrais plus jamais. Je m’en moque, je savais que je prenais ce risque, mais je ne pouvais pas faire autrement que de lui dire. Aimer c’est prendre le risque de souffrir, mais c’est la loi du tout ou rien.
Il me dit “dans une heure je serais au bureau, ou tu m’appelles, ou tu viens”.
Je pleure, je bafouille. Puis je raccroche.

Dans un état second j’emmène mes filles chez ma sœur, puis je vais à Paris. Quand j’arrive dans son bureau, j’ai l’impression d’être une toute petite chose pleine de larmes, qu’il suffirait de secouer pour que les vannes s’ouvrent. Il me tend les bras, me fait la bise. Il me dit qu’il a essayé de me rappeler chez moi dès qu’il est arrivé au bureau. Puis il m’emmène au restaurant. Il veut que je parle…
Ça me paraît bizarre après coup qu’il veuille que j’explique. Qu’il a t-il à expliquer ? Je suis tombée amoureuse de mon meilleur ami. Je mange à peine et je parle. Je lui dis en quelque sorte tout ce que j’ai écrit, comment j’en suis arrivée là. Je lui parle de tous ces petits signes du destin et il y en a mille (je n’ai pas tout écrit ici, il aurait fallu 10 blogs !) Mon mari qui porte le même prénom, sa réaction en voyant le faire part, son comportement ce jour là. Et tant d’autres dans un passé lointain ou proche, comme des tas de perches tendues que nous n’aurions jamais attrapée.

Il me demande pourquoi maintenant ! Est ce que je sais ? Est qu’on se lève un matin en disant : tiens aujourd’hui je tombe amoureuse ! Je ne sais pas mais je devine : je suis malheureuse en ménage depuis longtemps, et souvent on se rend compte qu’on aime dans la perte. Dès son mariage nous avons connu la première séparation. Nous nous voyions, mais c’était une séparation. Je l’ai dit mon propre mariage n’avait rien changé à notre relation.

Je lui dis de ne rien dire à sa femme. Je ne veux faire souffrir personne. Il me dit : “c’est bon je te connais je sais bien que tu n’aimes pas faire souffrir”.

Laurent est troublé. Il ne sait plus quoi dire ce qui ne lui arrive jamais. Aveuglée, passionnée, pas une minute je ne doute que mon sentiment est réciproque, il y a trop de signes… Il a toujours été ambigü.
Je lui dis : “dis moi que tu ne m’aimes pas”. Il proteste, fuis mon regard : “mais je ne peux pas on se connaît depuis qu’on a 5 ans !”.
Il me dit qu’on trouvera une solution. Une solution ? ça me fait rire.

Puis il me raccompagne jusqu’à l’arrêt de bus. Je ne dis plus rien, j’ai dit ce que j’avais à dire. Alors il me dit : “qu’est qu’on fait depuis toujours toi et moi ?”.
- Justement dis le moi !

Je ne le revois pas tout de suite. Il m’appelle, me dit qu’il a réfléchi à tout ça. Parfois au téléphone il me dit des phrases qu’il n’oserait jamais me dire en face. “Je n’ai jamais eu le courage de sauter le pas”.. J’aurais du, j’aurais pu… Puis un beau discours bien préparé, celui qu’il aurait aimé me faire le jour où je l’ai appelé pour lui faire une déclaration. Ma femme, mes enfants… Il me cite en exemple des couples restés ensemble pour les enfants…

Je souffre et c’est la douche écossaise. Un jour il me donne de l’espoir par des sous-entendus, le lendemain il me dit que tout doit rester comme avant. Je proteste : mais rien n’est comme avant ! Tu ne comprends pas que pour moi tout a changé ! Que je ne peux plus te voir comme un ami !

Durant cette période je fis la connaissance de nouvelles émotions. Le désir, cet animal bizarre. Voilà qu’il m’assaillait, face à un homme que j’avais toujours vu comme un frère, un ami, un homme qui ne m’avait jamais troublée… Et puis la jalousie, ce fameux baromètre de l’amour ! J’avais été possessive, mais jamais jalouse quelle que soit la personne avec qui il était. Et voilà que je ressentais le cruel pinçon de la jalousie, dès qu’il parlait de sa femme !
Oui le sentiment amoureux est un véritable raz de marée !
En mars Laurent me reparle de notre soirée au restaurant pour fêter nos 30 ans d’amitié. Et oui ! Alors que je croyais que l’événement allait passer aux oubliettes après ma déclaration, Laurent n’annulait pas !

À cette époque, le destin n’étant pas trop cruel avec moi, j’avais une amie. C’était la collègue avec qui je partageais mon bureau et nous nous étions beaucoup rapprochées. Je ne pouvais plus parler à Laurent bien sûr, puisqu’il était l’objet de mes souffrances. Je lui avais raconté mon histoire, qu’elle avait jugé incroyable. Elle me disait que Laurent devait m’aimer plus que sa femme, elle avait été abasourdie quand je lui avais dit qu’il pouvait m’appeler du bout du monde pour mon anniversaire.

Le grand soir arrive, je laisse mon mari et mes filles à la maison. Mon mari était au courant. Laurent disait que sa femme était d’accord aussi. Mais mes discussions avec mon amie m’avait fait comprendre ce soir là combien j’avais été naïve toutes ces années. Laurent n’avait jamais jamais parlé de notre relation à sa femme et à celles qui l’avait précédée… Bien sûr qu’il avait parlé d’une amie d’enfance et de coups de fil entre nous. Lorsque je l’appelais pour lui dire que ma sœur venait d’avoir un bébé, il fallait bien qu’il justifie le fait qu’il le sache.

Comme lorsqu’à la fin d’un roman d’Agatha Christie on met les indices bout à bout, je me transformais en fin limier. Voilà pourquoi il ne m’invitait jamais à dîner chez lui. Voilà pourquoi quand j’étais invitée c’était avec ma sœur et mon frère, voilà pourquoi on ne se voyait que le midi. Et il me fut facile de remarquer qu’il ne m’appelait que du bureau ou lorsqu’il était en déplacement. Comment avais-je été aussi aveugle, alors que lorsqu’il était avec sa première petite copine, il me voyait déjà en cachette ?

Laurent, je l’ai dit était lâche. Plutôt que de donner des explications, il préférait cacher une partie de la vérité. Il prenait tout de même de gros risques : moi je ne cachais rien à mon mari et ma famille était au courant. Sa femme aurait très bien pu entendre des choses.
Je n’ai rien dit à Laurent de mes découvertes. Je lui ai dit autrement.

Nous avions rendez vous dans un palace où le voiturier vient garer votre voiture. Je suis arrivée avant lui. C’était un soir de printemps très doux. Je m’étais faite belle. J’attendais en me disant que ce n’était pas mon premier soir avec Laurent, mais que c’était la première fois que j’attendais l’homme que j’aime…

Laurent arrive. Le décor est magnifique. Laurent parle beaucoup. Si il m’a manqué pendant ces cinq années, je lui ai manqué aussi. Il se raconte, me raconte beaucoup de choses qu’il n’a pas pu me dire. Son chemin. Je parle moins mais quand je parle ce n’est pas de la même chose. Moi je veux parler de mes sentiments, je veux parler de nous. Quand je lui dis que c’est impossible que sa femme soit au courant de notre soirée, il soutient que si, qu’elle est compréhensive. Or je connais sa femme et elle n’a rien d’une femme libérée…

Je lui dis qu’il m’aime, sinon si il ne laisserait pas sa femme enceinte à la maison, mais qu’il préfèrerait se faire couper une main plutôt que de l’avouer… Cette question je me la suis posée souvent… L’amitié à ce point là, c’était possible ?
Nous nous retrouvons sur le parking du palace. Nous avons trop bu, je pleure, je supplie. Il tente de me calmer. Il me demande :
- mais que fais-tu de ma femme ?
Je réponds :
- tu ne dirais jamais ça si tu n’avais pas de sentiment pour moi !

La période qui suit est assez étrange. Je suis plus calme. Toujours amoureuse, mais plus en larmes. Nous nous voyons régulièrement. Laurent parle et j’écoute. Petit à petit il se livre, je le pousse dans ses retranchements. Toujours à demi mots, toujours par sous entendus, il admet qu’il n’est pas si heureux dans son couple qu’il veut bien le faire croire. J’ai appris à être plus attentive aux autres, et il le devient aussi. Durant cette période, je me rends compte à quel point je l’ai idéalisé durant nos années de jeunesse. Au point que je n’avais pas d’autres amis, que je croyais qu’une telle complicité ne pouvait exister qu’avec lui. C’est aussi à ce moment là que j’ai vu ses défauts. Il y avait ceux que je connaissais déjà bien sûr, mais tant d’autres…
Il y avait aussi nos différences. Que partagions nous encore ? J’avais beaucoup évolué, pas lui. Mais j’étais suffisamment lucide pour savoir que je n’aurais pas passé tant d’années avec lui si je ne lui trouvais pas des qualités. Et j’étais amoureuse, j’avais idéalisé l’ami mais je ne le voyais plus comme un ami.

Laurent lui voulait être un ami. Il me disait que tout cela allait se calmer (avec quelle désinvolture il traitait mes sentiments) et qu’un jour je rencontrerais un autre homme, alors je viendrais tout lui raconter par exemple quand je me disputerais avec lui ! Je protestais :
- tu es fou ! C’est terminé tout ça ! On est plus des ados ! Si je trouve le bon, je saurais faire un choix ! Je ne te verrais plus ! Ce que j’ai imposé sans délicatesse à mon mari, je ne le referais pas !
Voilà en quoi Laurent avait peu évolué. Il était toujours avide de potins, voire de vaudeville et puisque j’allais divorcer, j’allais sûrement lui raconter de croustillantes futures rencontres !
Je lui disais aussi qu’il voulait me garder à ses conditions à lui.

Puis sa femme accouche de leur deuxième fils. Laurent m’appele en pleine nuit pour me prévenir. Deux jours plus tard, après avoir demandé à Laurent où était la maternité j’allais voir sa femme.
C’était un soir de semaine après le travail. Je n’avais pas vu sa femme depuis longtemps. Nous avons parlé de nos enfants, de l’accouchement. Mais tout ce temps je me sentais mal. Je n’avais rien fait mais j’étais coupable. Coupable d’être amoureuse de Laurent. Elle me parle de lui, me disant qu’il est au bureau bien sûr.

Et puis se produit un événement étrange. Laurent arrive. Je sens tout de suite que sa femme n’est pas contente de le voir. A ce moment là je comprends qu’elle a senti quelque chose. Elle sera différente avec moi, je suis devenue une rivale. Elle n’est pas ravie qu’il vienne alors qu’il sait que je suis là. Je me suis demandée si Laurent était là parce qu’il avait envie de me voir, ou parce qu’il n’avait pas l’esprit tranquille. Peut-être un peu des deux !
Il était pris au piège de ses mensonges ! Que serait il arrivé si j’avais dit innocemment “au fait c’est gentil d’avoir laissé Laurent passer la soirée avec moi tel jour !”…
Comme elle s’étonne de le voir ici,  il bafouille une excuse : il est venu pour apporter un cadeau de ses collègues. Ça fait déjà un bon moment que je suis là. Des amies de la jeune maman arrivent, je décide de partir. Je pars vers la porte et Laurent me suit par réflexe. Sa femme se lève et nous rejoint, me dit qu’elle m’invitera…

Je sors et je m’assois sur un banc, j’éclate en sanglots. C’est trop douloureux de les voir ensemble. Ce soir là quand je rentre mon mari me fait une scène. Il ne se souvenait pas que je devais rentrer tard. En réalité il n’avait pas écouté comme d’habitude. Mais comme un animal il flaire le danger…

La coupe est pleine. Quelques jours après nous parlons divorce et tout va très vite…