Mes copines filles ne comprenaient pas. Elles me disaient que j’aimais Laurent et je répondais : oui bien sûr que je l’aime ! Sauf que je n’étais pas amoureuse de lui ! Elles m’enviaient aussi souvent : quoi tu l’appelles en pleine nuit et il ne t’envoie pas balader ? Quelle chance !
Il n’y avait pas de désir ni aucun geste ambigü entre nous. Parfois je me disais ” pourquoi ce ne serait pas Laurent, l’homme de ma vie ? Ce serait si simple si c’était Laurent “.
Parfois nous en parlions aussi : non pas possible, nous sommes frères et sœurs, ce serait de l’inceste ! Non ça ne marcherait pas ! Mais si à 30 ans nous ne sommes pas mariés, nous faisons un bébé ensemble !
- 30 ans, tu es folle, c’est trop jeune, disons 35
Mais ça ressemble plus à de la reddition qu’à de l’amour. Et puis on ne tombe pas amoureux en appuyant sur un bouton ! J’étais toujours heureuse de le voir, mais il ne me troublait pas. Je pouvais chanter à tue tête dans la voiture ou le voir débarquer avant que je ne sois maquillée et apprêtée, c’était sans importance. Quand on ne cherche pas à séduire quelqu’un, quand on a pas peur de ce qu’il va penser, on est bien. La liberté vous dis-je !
Je m’installais dans un studio peu après ma rupture avec Éric. Je ne voulais plus rester chez mes parents. Je disais souvent que si j’avais rompu avec Éric c’était parce que je ne supportais pas sa jalousie. Il voulait m’empêcher de voir Laurent. Mais bien sûr c’était faux, l’histoire était vouée à l’échec dès le début ! C’est Laurent que j’ai invité le premier à dîner dans mon studio, et j’ai accroché le cadre avec nos photos en premier. Ce cadre m’a suivie à chaque déménagement. Puis j’ai pendu la crémaillère avec quelques amis. Laurent m’a offert une photo encadrée prise par lui lors d’un de ses voyages.
Nous avions tous les deux commencé à travailler. Nous avons assisté ensemble aux mariages de nos amis à la Folie, le frère de Brenda puis Brenda elle-même. C’était l’occasion de retrouver la bande que nous voyions moins. Les autres se sont mariés beaucoup plus tard. Laurent n’allait presque jamais à la Folie. Mais son frère y allait régulièrement, soit seul, soit avec des amis. J’étais un peu déçue que Laurent ne reste pas attaché à la maison de campagne. Mais heureusement il y faisait des fêtes de temps en temps. Au fond ça ne changeait pas tant que ça, je l’ai dit il était peu disponible.
Le temps passe. Laurent et moi voyons nos amis en couple. Nous parlons de plus en plus de notre incapacité à trouver l’âme soeur. Il parle de son idéal, moi du mien. Lui dit qu’il n’est pas pressé. Que passer cinquante ans avec la même personne, ça ne doit pas être drôle, alors autant commencer tard. Au moins me dit-il le jour où j’en aurais assez, je serais trop vieux pour tromper ma femme ! Bien sûr j’avais une vision bien plus romantique de l’amour !
C’était aussi l’époque où les rangs se clairsèment. Le carnet d’adresses se vide, plus d’amis, moins d’amis. Nous ne sommes plus étudiants, les amis sont en couple, sortent moins. Laurent me dit qu’il n’envie pas ceux qui ont des enfants, c’est trop galère, non il ne se sent pas prêt tout de suite. Laurent et moi avons le même âge. Il était en retard sur moi pour sortir de l’enfance. Il l’était aussi à cette période.
Car c’est là que se réveille ce qu’on appelle l’horloge biologique. Qui a inventé ça ? Je n’en sais rien mais c’est bien vu. J’avais 25 ans et je voulais des enfants. Je devenais complètement gaga à la vue d’un bébé, je rêvais de pouponner. Mais combien de temps encore allais-je attendre de trouver le bon ? À force d’écouter en boucle Jean-Jacques chanter ” Elle a fait un bébé toute seule “, je me demandais si moi je n’allais pas le faire aussi ! Je n’aurais peut-être pas Jean-Jacques pour m’emmener au cinéma, me faire des câlins, me faire rire, mais je ne me sentais pas vraiment seule avec ma famille et Laurent.
Un jour pendant les vacances d’été, j’appelais Laurent en larmes d’une cabine. Ça ne m’arrivait jamais l’été dans le Sud. Dans le Sud je m’amusais, je me défoulais, je jouais les cigales jusqu’à la venue de la bise. Mais là je craquais. Je n’en pouvais plus de ma vie, j’en avais assez de ne rien construire. Laurent essaya de me remonter.
Cet été là j’ai rencontré mon futur mari. Je le connaissais déjà, il faisait partie de ma bande de copains. Et très vite nous avons parlé mariage, enfants. Quand je suis rentrée à Paris, j’ai dit à Laurent que j’allais me marier. Il ne pouvait pas le croire. Mon futur mari portait le même prénom que lui !
Comme mon futur habitait encore le Sud, il fallut un peu de temps avant qu’il me rejoigne dans ma banlieue. Laurent venait de s’installer dans un appartement pas très loin de mon travail à Paris. Il me proposa un matin de venir prendre le petit déjeuner avec lui avant d’aller travailler. Ce jour là il tenta pas tous les moyens de me freiner :
- tu es sûre de ce que tu fais ? Tu vas rester 50 ans avec ce type ? Te réveiller tous les matins à côté de lui ? Tu es sûre de ne jamais te lasser ? Tu n’auras pas envie d’aller voir ailleurs ?
Je protestais : laisse moi choisir ! Laisse moi faire ! Plus tard j’invitais Laurent, mon futur mari et mon frère à dîner pour faire les présentations. Mon futur mari avait bien compris que j’avais un ami d’enfance et qu’il ne fallait pas m’empêcher de le voir. Ça ne se passa pas trop mal entre eux.
Mais après je fis tout pour éviter de voir Laurent seul. Je ne voulais pas qu’il me refasse le sermon qu’il m’avait fait chez lui. Je l’appelais pour préparer le mariage, car Laurent était mon témoin.
Puis j’envoyais les faire-part. Laurent m’appela quand il le reçut.
- Ça fait drôle de voir Louisianne et Laurent sur un faire part de mariage
Je réalisais à cet instant que le hasard n’existe pas. Su le faire part il y avait un dessin : un cygne. un signe