volets_rouilles_by_louisianneBrenda était donc en couple, faisant des projets de mariage. À ce moment là elle vint me voir, pour faire la paix. Je l’ai vue de loin en loin, j’allais la voir. Je n’en ai jamais vraiment voulu à Brenda. Elle était stupide, capricieuse, obsédée, mais attachante. Elle restait une amie d’enfance. À chaque fois qu’elle a été mal dans sa vie, quand elle a perdu ses grands parents, quand elle a divorcé j’étais là. Nous n’avons pas grand chose en commun, mais nous sommes encore capable de pouffer comme des gamines en nous rappelant des souvenirs d’enfance. Ses fils connaissent mes filles, même si ils ne sont aussi liés que nous à l’époque.
Par contre je n’ai jamais parlé de Laurent à Brenda. Je crois même qu’elle n’a jamais su que lui et moi sommes restés amis.

Après cette lamentable histoire qui aura quand même duré quatre ans, Laurent était libre. Je n’ai jamais compris qu’une telle relation qui aurait du être une erreur de jeunesse dure aussi longtemps.
À ce moment là nous nous sommes jurés que rien ni personne ne nous empêcherait de nous voir. Même mariés avec 10 enfants, nous serions inséparables. Les petits copains et copines seraient prévenus d’emblée ! Et nous avons tenu promesse.
Et en tête à tête bien sûr ! L’amitié ça se passe à deux, pas à trois, on ne se dit pas les mêmes choses, et j’ai toujours été très exigeante là dessus. On peut faire des fêtes ensemble, se voir 20 fois en groupe, il faudra toujours se retrouver. C’était bien de se voir après une fête et d’en parler. C’est normal.

Après Brenda les copines de Laurent ne m’ont jamais gênée. Il pouvait rester six mois avec une fille que je ne voyais que deux fois. Moi je prévenais tout de suite mes copains. C’est comme ça et pas autrement. Laurent était sûrement moins direct que moi quand il s’agissait de parler de moi. Mais il se débrouillait. Nous aimions aller au cinéma et au restaurant ensuite pour parler du film.

Il faut que j’ouvre une grande parenthèse pour parler de la relation en elle-même avant de revenir aux événements. Comme tout ami qui se respecte, Laurent était là à chaque moment important. Si l’un de nous déménageait, il invitait l’autre rapidement à voir son nouvel appartement. Chaque fois que nous changions de travail, ou de bureau, chaque événement familial, naissance, deuil, nous nous appelions. Laurent n’a jamais oublié mon anniversaire même si il était loin. Il était parfois en retard, mais m’appelait toujours. Plus tard il a eu un travail où il voyageait beaucoup, même de Tokyo ou de Nice il m’appelait.

J’étais dans cette période de contradiction où je pouvais m’amuser (et j’aimais ça) tout en étant dans un mal être permanent. Allais-je trouver l’âme sœur, cet idéal que j’aurais volontiers fabriqué moi même ?
Des doutes, des interrogations, des peurs. Je voulais tout, je ne voulais rien. Je voulais m’engager, mais je n’aimais que la liberté. Pas la liberté pour papillonner, mais la liberté…
Je pleurais souvent sur l’épaule de Laurent. Il suffisait que je laisse un message larmoyant sur son répondeur pour qu’il me rappelle, voir qu’il accoure. Et souvent il me secouait. Ce qu’une amie fille n’aurait pas fait.
Il savait que j’étais une battante et que j’allais relever la tête. Il est vrai que j’étais assez cyclique, je pouvais passer de périodes d’euphorie à des périodes noires.

Nous avions l’un et l’autre une vision sublimée de l’autre. Il n’avait pas de défauts, je n’en avais pas non plus. Et dans la vie trouver quelqu’un qui nous aime avec une telle abnégation ça n’existe pas, à part nos parents. Mais contrairement à mes parents, Laurent me connaissait parfaitement.
J’adorais mon père, et Laurent lui ressemblait. D’ailleurs ils s’aimaient bien. Pour mon père, Laurent était l’ami sûr, celui avec lequel il pouvait me laisser sortir le soir sans crainte. De plus il n’était pas un petit copain. Laurent avait une relation conflictuelle avec sa mère, une femme que j’admirais mais qui m’intimidait. Il me disait souvent que j’étais la seule avec sa mère à oser lui dire ses quatre vérités.

Après la période Brenda, pourtant mon ami a changé. Ou peut-être qu’il a repris sa vraie nature. Cette image de lui que j’avais l’adolescent rêveur, solitaire, qui lisait et ne savait pas s’habiller, je l’ai gardée longtemps en moi. Pourtant elle correspondait sûrement à une période de sa vie où il se cherchait, où il souffrait à cause d’elle.

Le voilà redevenu très bavard comme lorsqu’il était petit. C’est là que réside notre grande différence. Extraverti et très mondain. Comme beaucoup d’extraverti, il est capable de parler une heure à un inconnu mais ne sait pas parler à ses proches. Mais avec moi il finissait toujours par dire ce qu’il avait sur le cœur. Je le connaissais trop pour qu’il espère me cacher quelque chose !

Il était très “public relations” expression à la mode inventée à l’époque qui lui collait à la peau ! De ces gens qui vous parle du M. X directeur de VV (toujours une personnalité en vue) en vous faisant croire qu’il le connaisse très bien, alors qu’ils n’ont fait que noter son numéro de tél dans une soirée. Parfois il me disait quand il m’emmenait au resto que cette serveuse était en fait mannequin chez XY.

Je répondais ironiquement : ” oh là ! je suis très impressionnée ! “
Malgré les années il n’a jamais compris que je me fichais pas mal de savoir qu’il avait serré la main à telle personne ou qu’on l’avait pris pour un grand ponte. C’était d’ailleurs devenu un sujet de plaisanterie, son frère et moi aimions le taquiner à ce sujet, quand Laurent partait dans une de ces histoires : ” j’arrive donc au siège social de Trucbidule and Co ” et son frère et moi nous continuons ” et le directeur général en personne se déplace pour accueillir M. Laurent X “.

Autre différence entre nous, il avait un goût du potin assez prononcé. Je lui disais d’ailleurs que si il n’avait pas eu un côté féminin aussi développé, nous ne serions pas amis. Il aurait du écrire des pièces de théâtre tant il aimait le vaudeville ! Rien ne le faisait plus jubiler que d’apprendre une histoire d’adultère ! Il avait une telle façon de raconter le choses que je me moquais de lui en lui disant ” mais tu étais dans le lit avec eux ? “. Cela m’amusait un peu, mais me lassait vite. Beaucoup plus tard sa curiosité malsaine allait jusqu’à toucher les miens : il voulait savoir comment marchaient les couples de mes sœurs et de mon frère. Et je n’appréciais pas.

Il était toujours en retard, rarement disponible. Il était comme ça à 18 ans, ça s’est empiré avec l’âge et les responsabilités. Moi qui aime les gens qui prennent le temps de vivre, les disputes étaient fréquentes. Mais quand il était avec moi, il pouvait rester des heures. Il pouvait avoir rendez-vous à 16 heures et partir à 17 heures, au point que j’en étais gênée pour la personne qui l’attendait après !
Il était comme ça tout le temps. Il avait une telle volonté de se faire aimer qu’il ne savait jamais faire la part des choses, couper court. Sujet de conflit entre nous. Moi je n’aime pas perdre du temps, parler de la pluie et du beau temps, je n’aime que les vraies conversations avec les gens que j’aime. Bien sûr avec l’âge j’ai appris à perdre un peu de temps avec les mamies de mon quartier ! Mais pas à 20 ans !
Si j’étais avec lui, que nous devions aller dîner et qu’il croisait sa gardienne, au lieu de couper court, de dire qu’il n’avait pas le temps, il pouvait discutter un bon quart d’heure pendant que je m’impatientais. Je lui demandais ce que pouvait bien lui apporter ce genre d’échanges. C’était la raison pour laquelle il était toujours en retard.
De même il tenait à rester en relation avec ses ex. Pour moi quand c’est fini, c’est fini. Et il ne me comprenait pas. Lui ses relations à ses ex étaient même malsaines. Il voulait garder un droit de regard dans leur vie. Mais en parlant de lui et moi il disait souvent : on ne sera jamais ensemble, je ne veux pas devenir un ex !

Nous étions tous les deux possessifs. Si dans une soirée il me voyait parler avec un type qu’il ne connaissait pas il me lancait un regard qui voulait dire  : c’est qui ?  Jamais il ne trouvait un de mes petits copain assez bien. Moi non plus je n’aimais pas trop les siennes. Ce côté possessif pouvait aller loin. Lorsque j’ai connu quelqu’un qui a compté vraiment, je l’ai raconté là, j’ai essayé de lui en parler. Il s’est fermé comme une huitre. Quand à moi j’ai fait carrément l’autruche quand ça m’arrangeait (ah bon tu vis avec elle ?).

Mais il paraît que c’est normal. Beaucoup plus tard, j’ai lu tout ce qui peut se lire sur l’amitié entre hommes et femmes, pleuré en regardant Quand Harry rencontre Sally et pleuré au Mariage de mon meilleur ami (ça c’est vrai, j’ai pleuré !)

De toutes façons nos histoires ne duraient jamais bien longtemps.
Mais ça aussi il paraît que c’est normal  : face à notre duo infernal, toutes les relations paraissaient fades.

Un jour Laurent m’a donné une photo de nous deux à 5 ans prise par sa mère. J’y ai ajouté une de nous deux à 13 ans, puis à 16 ans, et à 18 ans. Je prenais régulièrement des photos de nous. J’ai fait un joli cadre avec le tout. Et nous avons continué à prendre des photos de nous, pas tous les ans, mais souvent.

Nous devons avoir 22 ans. Laurent a quitté ses parents. Il vit avec une femme de 15 ans son aînée. Elle a des enfants, deux fils, l’aîné est déjà un ado. Je suis totalement révoltée, je n’approuve pas cette union. Je veux qu’il ait une vie normale qu’il se marie qu’il ait des enfants. Mais finalement nous en parlons peu. Il a quitté Paris et habite une ville de banlieue proche de la mienne. Parfois il vient me surprendre le soir chez mes parents. Et nous déjeunons souvent ensemble le midi.

Puis Laurent a fini ses études et part au service militaire Outre mer. Combien de temps, je ne sais plus. Il me manque, c’est long. Nous nous écrivons de longues lettres. Il m’appelle pour mon anniversaire en tenant compte du décalage horaire.
À ce moment là je rencontre un garçon. Mais j’ai plutôt l’impression de me laisser glisser sans vraiment choisir. J’en ai assez de vivre chez mes parents, j’en ai assez du célibat. J’ai envie de construire quelque chose. Bien sûr je préviens l’heureux élu Éric de l’existence de mon ami. Je suis jeune, sans délicatesse, sans diplomatie. Je peux passer des heures à lui parler de mon ami Laurent, chanter ses louanges, et me fâcher si il ne comprend pas !
Mais comme mon ami est loin ça passe. Je m’installe dans un studio avec Éric. Mes parents me voient déjà mariée. Ma sœur Camomille vient de connaître son futur mari et parle de quitter la maison.

Laurent revient. La première fois que je le vois, c’est à la maison de campagne, à la Folie où il va pourtant très peu. Il est avec son amie, moi avec le mien. Je n’ai pas le temps de lui parler, mais je suis heureuse de le voir.

Peu de temps après Laurent et son amie se séparent. Il retourne chez ses parents. Je me souviens qu’un soir il m’appelle. Ce soir là je suis en colère après Éric qui est allé au cinéma avec des copains voir un film que je devais voir avec lui. Laurent rit : ” laisse tomber c’est un film nul, moi je t’emmène au cinéma  ! “. Et nous sortons donc un soir à Paris ensemble.

Un soir j’ai invité Laurent à dîner dans mon studio avec Éric. J’étais très malheureuse à ce moment, j’avais envie de quitter Éric, je ne savais pas comment. La soirée a été horrible tant l’animosité entre les deux hommes étaiet presque palpable. Laurent faisait des efforts pour s’intéresser, Éric se bloquait complètement.

Peu de temps après j’ai quitté Éric et je suis retournée chez mes parents. Laurent redécouvrait Paris après sa longue absence. S’en est suivie une longue période de liberté. Sorties, restaurants, cinéma ou même bêtises ensemble.

Souvent quand un de nous sortait d’une relation, l’autre ne tardait pas à suivre. Je disais souvent que je n’aimais que Laurent et la liberté.

Nous appartenions à cette génération qui avait tout. La pilule, le travail, les parents attentifs, la voiture, les amis. Bien sûr nous rêvions d’une vie de couple avec enfants…

Nous voulions tout mais surtout pas choisir.