C’était après les vacances de février. En hiver nous allions moins ma famille et moi à la maison de campagne. La vie y continuait cependant. Durant les vacances Brenda était partie faire du ski avec une de ses amies de classe, sans son petit copain. Les parents de Brenda étaient assez stricts. Laurent ne dormait pas chez elle, ni ne partait en vacances avec elle. Des parents qui préféraient fermer les yeux, puisque bien sûr les jeunes gens n’avaient pas attendu la permission des parents pour sauter le pas.

fleurs_by_louisianneJ’appris par ma tante Jeanne que Brenda avait rencontré un homme plus âgé aux sports d’hiver et qu’elle avait donc plaqué mon ami. J’étais bien sûr ravie qu’il soit enfin débarrassé de cette plaie, mais triste pour lui tout de même.

Le premier week-end où je retournais à La Folie, je pris vite conscience lorsque ma sœur Camomille et moi avons rejoint la bande, de l’ampleur des dégâts. Brenda, décidée à redevenir ma grande copine voulut me présenter Matuvu son nouveau Jules. Il était petit, moustachu, quelconque. Par contre on l’entendait ! Il avait tout vu, tout fait, se disait cinéaste, avait une Mercedes, faisait du charme aux grand-mères, aux mères et à toutes les copines de Brenda. Bref un type qui n’avait pas l’intention de passer inaperçu.
Le village lui-même avait changé. Les parents de Caroline, la grand-mère de Brenda recevait ce type à bras ouverts comme s’ils le connaissaient depuis 20 ans.

- Oh ce qu’il est drôôôle ce Matuvu ! Quel charmeur !

Nous en avons beaucoup parlé avec mes parents qui ne comprenaient pas non plus cet engouement. Les seuls à rester sceptiques furent donc ma famille, et mes cousins. La mère de Brenda refusait de le voir. Il était plus âgé que sa fille et elle continuait à prendre sa fille pour une sainte nitouche.

Mais lorsque nous en parlions à Caroline en lui demandant si elle croyait tout ce qu’il disait, elle ne voulait pas nous entendre. Pas facile bien sûr quand ses propres parents tombent dans le panneau  !
Ce week-end là je me fis entraîner bien malgré moi par Brenda, elle voulait mon assentiment  : tu le trouves comment ? Et nous proposa un tour en voiture avec lui, ma sœur, Caroline et moi. Il conduisait comme un taré et nous emmena beaucoup trop loin dans une ville dont on n’avait que faire. Camomille râla : j’en ai marre je veux rentrer, qu’est ce qu’on fout là ?
Nous avions envie de retrouver la bande. Quand à moi au retour je critiquais sa conduite de taré ce qui le mit en rage, et il conduisit encore plus mal.
À compter de ce jour, ma sœur et moi nous sommes contentées de le voir de loin. Brenda comprit bien vite que nous n’avions pas envie de tomber sous le charme de Matuvu. Lui par contre ne renonça pas. Il détestait Laurent son prédecesseur, moi j’étais proche de Laurent. Matuvu essayait toujours de me parler, voir de m’inviter à danser lors des soirées.

Ce week-end là, je n’eus pas le temps de voir Laurent. Je l’avais aperçu chez Brenda, rapidement. Il avait les yeux tristes. Je m’en voulais, je n’aurais pas du me laisser entraîner, il allait croire que moi aussi j’étais béate devant Matuvu !
La semaine suivante j’écrivis une lettre à mon ami, le téléphone je n’osais pas encore. Je lui dis que je détestais le cinéaste au chômage (je soupçonnais ce type de ne pas travailler quoiqu’il dise).
Il me répondit une lettre où il me parlait de la pluie et du beau temps, mais je compris qu’il était content.

Puis le week-end suivant nous avons fait une longue balade dans la campagne et nous avons parlé. Il était triste bien sûr. Cette fois il ne s’agit pas juste d’un flirt sous son nez. Je ne sais plus ce que je lui ai dit. Mais sûrement que j’ai pu lui prouver par A + B qu’elle était stupide, obsédée au point que n’importe quel mâle qui insiste un peu avait ses chances !

J’ignore combien de temps l’histoire a duré. Brenda toute fière racontait qu’elle était reçue chez le maire de la petite ville pour tourner un reportage avec Matuvu et son acolyte caméraman. Matuvu habitait Paris. Il y emmena un garçon du village voisin, Jeannot que nous voyions de temps en temps, pour lui trouver du travail. Les parents de Jeannot étaient naïfs.
Mais un jour la mère de Brenda, que j’avais entendu plusieurs fois insulter ce type plus que louche, appela les gendarmes. Matuvu dut être convoqué pour un contrôle et nous fit une magnifique crise de larmes.

On ne le revit plus jamais. Les gendarmes n’étaient pas venus pour rien. Matuvu était un escroc, il n’avait jamais été cinéaste, sa voiture était une voiture de location qu’il n’avait jamais rendue. Il avait emprunté de l’argent au maire de la petite ville, (qui avait cru qu’il passerait à la télé), aux parents de Caroline, des parisiens, le père travaillant dans une banque, comment avaient-ils pu être aussi naïfs ? Ainsi que les parents de Jeannot, des gens trop simples et trop naïfs. En effet Jeannot n’avait jamais travaillé à Paris, il se contentait de traîner dans les bars avec Matuvu.

Cette histoire date, c’est pourquoi je la raconte. Les journaux locaux en ont parlé. On y retraçait les méfaits de Matuvu. Ce qui m’avait révoltée à l’époque c’est que personne ne disait pourquoi Matuvu avait atterri à la Folie : parce qu’une certaine Brenda l’y avait invité ! Le père de Brenda était une figure locale. Donc on passa sous silence ce chapitre.

Camomille, mes cousins et moi jubilions : on vous l’avait bien dit ! Mais ni Caroline, ni son frère, ni ses parents ne voulurent admettre leurs torts : ils le savait bien sûr !

La petite bande se retrouvait souvent chez Laurent.

Brenda après nous avoir fait quelques légendaires crises de larmes et de cris en public, ouiouin je suis malheureuse, vous ne savez pas ce que je vis, je l’aimais moi Matuvu ! (alors que personne dans la bande n’y prêtait plus attention) fut privée de sortie un moment quand ses parents connurent les résultats de l’enquête.

Un soir nous étions tous invités à une boum chez un ami dans un autre village, Brenda enfin hélas autorisée à sortir. Les parents nous emmènent, pas encore de permis de conduire. Ce soir là je danse souvent avec Laurent. Nous dansions souvent le slow ensemble pour parler. Brenda me fit remarquer que j’allais lui piquer “son” Laurent, parce que tout de même hein, elle l’aimait toujours !
- sans rire, tu es capable d’aimer toi ?

Ce soir là un garçon m’invite à danser. Il était brun, grand. Et je suis frappée à la première seconde par sa ressemblance avec Laurent. Il est plus grand que lui. J’hésite cependant… pas longtemps. Laurent me dit : “si il me ressemble, tu n’as rien à craindre !”

J’ai souvent repensé à cette histoire. Moi la fiérotte qui clamait haut et fort que Laurent et moi, non ce n’est pas possible, il n’est pas mon genre, je suis avec un sosie de Laurent !

Un jour mon petit ami vient chez moi, dans ma ville. Je l’ai pris en photo. Quand j’ai montré la photo à Laurent il m’a dit :
- c’est moi, mais je ne me souviens pas de ce jour, quand est ce que je suis venue chez toi ?
Même réaction de mon frère, mes sœurs, mes parents : c’est Laurent !
C’est dire si la ressemblance était frappante.

Quand à Laurent, il retombe bien vite dans les filets de Brenda.