sapin_by_louisianne2Comme je l’avais déjà précisé, Brenda “la petite fille de la ferme” était une capricieuse. Et elle n’avait pas tellement changé en grandissant. Laurent ne pouvait faire plus mauvais choix !
A cette époque ma sœur et moi avions une amie de la bande de la Folie, Caroline. Aucune fille ne supportait vraiment Brenda, ses sautes d’humeur, ses crises, ses cris. Habituée à être gatée par ses parents et sa grand mère, elle se comportait en princesse.

Mon ami supportait tout cela stoïque. Elle était d’une jalousie maladive, au point qu’il devenait risqué de parler à Laurent. Nous étions toutes soupçonnées de vouloir lui piquer son petit copain. Surtout moi !
Le vide se creusait entre le couple qu’ils formaient et les autres de la bande. Nous avions entre 15 et 18 ans pour la plupart et même si il y avait des flirts, personne n’avait envie de s’éloigner de la bande. Laurent et Brenda étaient tout de même avec nous pour les soirées (je n’ose pas écrire ” Boum ” même si on parlait encore comme ça, ça fait trop démodé). Ils étaient parfois avec nous les après midi et les soirs ” normaux “, mais le plus souvent ils s’isolaient. Lui parce qu’il était probablement amoureux, (à mon grand désarroi, je dois l’admettre) et elle parce qu’elle craignait la concurrence.

À chaque soirée elle retardait tout le monde parce que son sèche cheveux ne lui obéissait pas. Tout ça pour passer la soirée assise à surveiller Laurent, parce qu’en plus elle n’aimait pas danser !

Enfin ils s’isolèrent les premiers temps, mais ça ne dura pas. Sans doute qu’ils se sont lassés. Pour couronner le tout Brenda était stupide (une caricature, je vous l’ai dit). Inculte, ne s’intéressant à rien à part son miroir et les garçons. Car la fidélité connaît pas ! Elle aurait eu tort de s’en priver, Laurent fermait les yeux ! Au début ce n’était que des flirts, mais tout de même ! Comment mon ami était-il devenu une telle lopette ? Le grand mystère masculin ! Elle était jolie je le rappelle, mais pour la fille de 17 ans que j’étais, ça n’excusait pas tout.

Bien sûr très vite elle avait compris que Laurent et moi étions proches. Et je n’avais pas l’intention de me laisser dicter ma conduite. Aussi piquait-elle des crises d’hystérie quand elle apprenait que j’étais passée chez lui ou l’inverse. Ses scènes publiques fatiguaient tout le monde. Lui évitait les conflits, évitait de prendre parti. Certains disent que les hommes sont plus souples dans les relations humaines, d’autres plus lâches. Moi j’opte pour la deuxième solution. Je reprochais sa lâcheté à mon ami. Fuir les conflits, ménager la chèvre et le chou ce n’est pas dans mes gênes.
Toutes les explications ne servirent à rien et je renonçais bien vite à lui expliquer que lui et moi étions amis, point barre. Quand il partait de chez elle pour rentrer chez lui à l’autre bout du village, elle téléphonait pour vérifier qu’il était arrivé. Parce que pour rentrer chez lui il passait devant chez moi ! Heureusement pour moi Brenda n’aimait pas beaucoup sortir de chez elle.

Vouloir séparer des gens qui ne veulent pas l’être c’est le meilleur moyen de les rapprocher davantage.
La nuit, après une soirée passée avec la bande dans une des maisons, je rentrais souvent seule. Les autres filles ne le faisaient jamais sans être raccompagnées par les garçons, elles avaient peur. Et Laurent revenait de la ferme où il avait passé la soirée avec sa Dulcinée.

Nous nous croisions souvent près de chez moi. Quelquefois il essayait de me faire peur en me braquant sa pile électrique dans le visage : “c’est bon, je sais que c’est toi !”
- moi aussi je sais que c’est toi ! Tu es la seule fille à te balader la nuit !

Il m’accompagnait devant mon portail. Et nous restions là dans le froid humide normand à parler. J’aime ces heures où on se devine plus qu’on ne se voit dans la pénombre. Quand sa voix baissait, quand c’était l’heure où tombe le masque, l’heure de confidences.
Je ne m’ennuyais jamais avec lui, je ne voyais pas le temps passer. Nous avions la même façon de fonctionner, d’appréhender les choses, le même humour. Une vraie complicité qui me fait penser souvent aux paroles de la chanson de Jean-Jacques Goldmann.

Tu es de ma famille, de mon ordre et de mon rang,
celle que j’ai choisi, celle que je ressens
dans cette armée de simples gens

Lorsque je le croisais dans la journée, j’étais rarement seule, j’étais avec la bande. Souvent il m’entrainait à l’écart pour me dire deux mots, mais il m’en voulait de ne pas être disponible les rares fois où il pouvait s’échapper.

Peu de temps après le début de son histoire avec Brenda j’ai offert à mon ami un cadeau et un poème pour son anniversaire. Puis ce fut son tour de m’offrir un cadeau, en cachette bien sûr. Je garde un souvenir ému de ce premier cadeau.
Nous parlions beaucoup de livres, nous lisions souvent les mêmes. Nous étions aussi tous les deux passionnés par la photo. J’allais le voir l’après midi quand il bricolait son solex chez lui. Je m’asseyais et nous parlions. Il ne ressemblait pas aux autres garçons. Les autres, dont mon frère étaient plutôt bruyants, frimaient sur des mobylettes chromés. Lui il était solitaire, calme et sa maladresse en solex faisait rire son frère et le mien. Même chose côté vestimentaire, et dieu sait que ça compte à cet âge ! Il était un peu à côté de la plaque, ça ne l’intéressait pas.
J’aimais bien ce côté là. Je le croyais rêveur, philosophe, solitaire. Cette image là est restée gravée en moi, pourtant j’ai compris plus tard qu’elle correspondait à une période de sa vie. J’avais oublié, comment ai-je pu, le petit garçon que j’avais connu !

Un jour il emmena son meilleur ami en vacances à la Folie. Celui ci ne trouva rien de mieux que de lui voler (provisoirement) sa petite amie. Il se fâcha avec son ami pas avec elle. J’avais renoncé à lui dire quoi que ce soit.
Pourquoi cette histoire qui n’aurait du durer qu’un été a duré si longtemps ? Mystère. Laurent était devenu bien vite la risée de la bande. Et je continuais comme avant, non pas à prendre sa défense mais à refuser d’entendre la moindre critique. Du moins quand j’étais là. C’est ainsi que je conçois l’amitié. Je lui reprochais d’ailleurs de ne pas avoir le même courage quand Brenda me traitait de noms d’oiseaux.

Bien sûr j’étais déçue. Bien sûr je lui en voulais. Mais un jour un événement bouleversa le petit village de La Folie.