Si je croyais avoir touché le fond, je me trompais. Lorsque j’annonçais mon divorce à ma tribu ce fut le tollé. Je ne reçus aucun soutien. Je fus accablée de reproches. Je ne m’étendrais pas sur cet épisode douloureux de ma vie. Seule ma petite sœur m’apporta son soutien. J’ai mis du temps à pardonner, ce fut plus facile de pardonner à mes parents qui ne sont pas de la même génération. Et puis une fois séparé, ma tribu remarqua que mon mari n’était pas l’homme charmant qu’il avait été en public pendant notre mariage.
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Laurent fut ravi de retrouver son rôle de protecteur, de soutien, d’ami fidèle. Et surtout de changer de sujet ! Et moi j’avais besoin de lui, qui mieux que Laurent connaissait ma famille ?
Ainsi il suivit le feuilleton de mes démarches, de mon divorce.

Nous étions séparés mon mari et moi et Laurent se préparait à fêter son anniversaire de mariage à la Folie. Une grande fête avec beaucoup d’invités comme il les aimait.
Le week-end précédent la fête, j’étais à la Folie avec ma famille. Le matin j’allais en ville avec deux de mes neveux. Il y avait un manège sur la place. Je vis alors arriver en voiture Laurent, sa femme et ses enfants. Ils se garent près de moi, descendent. Laurent tient le bébé dans les bras. On se parle, ils me disent qu’ils préparent la soirée. Moi je vais emmener mes neveux faire un tour de manège, eux vont chez le traiteur. On se dit salut à samedi prochain. Je pars de mon côté, la femme de Laurent de l’autre, et Laurent me suit ! Sa femme réagit avec une voix angoissée : mais où vas-tu. Elle a bien senti une fois de plus qu’il me suit par réflexe. Il bafouille une excuse…

Le jour de la fête arrive. Je suis seule. Ma soeur et mon frère ont refusé de venir. Laurent les a déçu. Ils connaissent toute l’histoire et ne comprennent pas son comportement.
Ce soir là je discutte avec tout le monde. Je suis moins timide, plus sociable. Mais finalement Laurent me reprochera plus tard mon comportement. Lui qui tenait tant à ce que je devienne comme lui, voilà que je le dérange. Ce soir là je le trouve insupportable. Il fait son numéro. Il joue un rôle destiné à moi. Il sait que je le regarde, il sait que je souffre, il devrait en tenir compte. Non, il en fait trop, passe de groupe en groupe en tenant toutes les filles par les épaules (ce qui n’est pas du tout son truc, Laurent n’est pas un “tactile”), me présente plusieurs filles comme des ex (ce qui est totalement faux) sans doute pour voir ma réaction. Mais je ne réagis pas. Parfois je suis tentée de lui dire “excellent numéro ou arrête ton cirque” comme je l’ai fait si souvent quand nous étions amis, mais en présence des autres invités je passerais pour une folle. Je choisis l’indifférence, j’ai sûrement raison.

Je parle longtemps avec le frère de Laurent, le seul que je connais vraiment. Puis j’en ai assez. Je connais peu les autres invités, je suis seule sans ma tribu, personne ne danse. Je dis à Laurent que je m’en vais. Il me raccompagne à la grille.
Le bruit de la fête et tous les deux en train de parler dans le noir sur la route. Ça faisait si longtemps… Il me dit :
- j’aurais voulu que tu vois le ciel hier soir ! Je n’en ai jamais vu d’aussi beau…
l’heure où sa voix baisse, où seuls ses yeux brillent dans le noir. J’ai pris une flûte de champagne à la main, je pars à pied. Il me demande si j’ai peur, je ris ! Il me dit de revenir le lendemain midi pour manger. J’hésite.
Puis sans prévenir je lui fais la bise, une sur chaque joue, une sur les lèvres. Ça me fait tout drôle. Il proteste  : “ça ne se fait pas”. Je ris, je dis tant pis. Mais il reste encore. Sa femme l’appelle. Il répond “j’arrive” mais il ne bouge pas, elle ne l’entend pas. Il ne part pas. Elle l’appelle encore une fois, lui dit : “tu m’entends”. Alors il part en me répétant encore de venir le lendemain.

Des années à se faire la bise et je force un barrage. A partir de là Laurent change. Le lendemain matin, je me souviens d’avoir pleuré comme un bébé devant mes parents et mes filles à table. La fatigue, la déception. Puis je suis allée chez Laurent, à l’heure du café, j’y emmène mes filles. Laurent est à table et tout content de me voir. Il a du croire que je ne viendrais pas. Il me fait la bise avec tendresse. Après un café et quelques bavardages, je pars. Lorsque je dis aurevoir à Laurent il me tient par les épaules et m’embrasse à la commissure des lèvres. C’est clair Laurent a changé, et je ne l’ai pas fait fuir…

Peu de temps après Laurent a perdu sa grand mère. Le faire part est arrivé un week-end où je n’étais pas là. Quand j’ai appelé le dimanche soir, Laurent m’a demandé pourquoi j’avais été si longue à réagir. Il devait m’attendre.
Ensuite quand nous nous voyons le midi, tout a changé. Laurent me regarde dans les yeux, me fait du charme, serre mes genoux entre les siens… Je me dis qu’il est débloqué. En l’embrassant j’ai brisé un tabou, il ne pouvait plus se mentir en prétendant que je n’étais pas son genre.

Mais un jour un déjeuner se passe mal. Laurent m’accable de reproches et me reparle de la soirée. Il me reproche mon comportement de ce soir là. Il prétend que j’ai raconté ma vie à tout le monde. Je comprends plus tard pourquoi cela m’ennuyait de me voir sociable : il a eu très peur que je ne raconte des choses. Mais ses reproches ne s’arrêtent pas là.
Il s’était laissé aller… Et sa colère se retournait contre moi. Ses colères de petit garçon, ça faisait longtemps que je ne les avais pas vues ! Il est si méchant que je pleure et je pars fachée, décidée à ne plus jamais le revoir.