Deux jours après il m’appela pour s’excuser. Ce n’était pas la première fois. Des reproches, des disputes, il y en avait eu. Et chaque fois c’est lui qui revenait.
Je ne sais plus à quel moment les choses ont changé pour moi. Il s’est passé neuf mois entre ma déclaration et le moment où j’ai décidé de faire le deuil. J’en avais assez des discussions qui tournaient en rond, assez de souffrir. J’aurais préféré qu’il me jette le jour même où je l’avais appelé. Il ne voulait pas me perdre. Moi je voulais être aimée d’amour…

Oublier un indifférent c’est dur. Mais oublier quelqu’un qui ne veut pas vous faire de mal, qui ne vous enverra jamais balader ?

Je devais être forte. Pendant quatre ans je ne l’ai pas vu. Je me suis contentée de l’appeler une fois par an. A chaque fois il était heureux de m’entendre, à chaque fois nous avions mille choses à nous dire… Pendant quatre ans j’ai plongé dans le chagrin d’amour…

La période Céline Dion
J’irais chercher ton coeur si tu l’emportes ailleurs ou encore La vie sans toi, je sais pas
Puis la période Gerald de Palmas
Même si je m’améliore, oh j’en rêve encore
Et Stephen Eicher
Tu ne me dois rien, j’ai eu un mal de chien, à me faire à cette idée, à l’accepter enfin…

Je l’ai haï. J’ai rêvé de mourir ou de le tuer pour arrêter de souffrir. J’ai fait la liste de ses défauts… De la vision de la vie que nous avions l’un et l’autre et qui n’était pas la même. Souvent je rêvais de lui et je le revoyais à 18 ans. Je me disais souvent que j’avais du aimer une image de lui, que j’étais restée sur cette image. Cette image qui correspondait à l’adolescence à une période de sa vie… Cette période où il me ressemblait vraiment…
Je savais nos différences, ses défauts, mais aussi ses qualités. Grandir c’est accepter que l’autre ne soit pas comme on voudrait qu’il soit.

Au bout de quatre ans je l’ai revu. J’ai été terriblement surprise de voir qu’il n’avait presque plus de cheveux et que le peu qui lui restait étaient blancs. Nous avons évoqué de souvenirs, nous sommes racontés nos vies. J’avais un peu de mal. Je lui parlais de mes filles, mais je n’arrivais plus à tout dire. Et puis je n’étais pas tout à fait guérie. Je lui en voulais de ne pas parler de ma déclaration, de faire comme si rien ne s’était passé. Lui je le sentais un peu déçu. Il croyait que je venais lui raconter quelque aventure, ou lui dire que j’avais un homme dans ma vie, ou il essayait de récolter quelques potins sur ma tribu (parce que j’avais eu le malheur des années auparavant de lui confier une indiscrétion). En le quittant nous nous sommes dit aurevoir et sommes partis chacun de notre côté. Puis nous avons fait demi tour tous les deux en même temps et sommes revenus nous faire la bise une nouvelle fois. J’étais complètement abasourdie par cet élan qui existait encore.

Après mon deuil je me demandais si nous allions pouvoir redevenir amis. Le perdre complètement de vue, je savais que c’était impossible. Peut-on appeler ami quelqu’un qui ne prend jamais d’initiative ? Bien sûr, à la mort de mon père il est venu à l’enterrement. Mais si je pensais qu’il était un ami je n’aurais pas écrit ” Je n’ai pas d’amis “. Il y a deux ans mon frère a organisé un dîner avec Laurent et sa femme. Ces dîners qui arrivent tous les dix ans. Je n’avais pas vu sa femme depuis longtemps. Je lui ai parlé, j’ai parlé à Laurent à l’apéritif. Et j’ai été rassurée de voir que sa femme ne se méfiait plus de moi. Mais au repas, Laurent était à côté de moi. Il m’a parlé, m’a posé mille questions. J’émergeais d’années de solitude… De voir son regard, de voir son réel intérêt, sa tendresse, j’en aurais presque pleuré. Après je me suis demandée ce qui m’arrivait :
Je suis encore amoureuse ou est-ce parce que je suis si seule ?

Depuis longtemps déjà je m’étais dit que pour les choses soient claires il fallait que je lui parle. Que je lui dise que je n’appréciait pas le fait qu’il n’ait jamais voulu reparler de mon sentiment pour lui. Je remettais toujours au lendemain.
En juin je lui ai écrit une longue lettre. Je lui ai tout dit. Je t’ai aimé à la folie, j’ai failli mourir d’amour pour toi. Que tu ne partages pas mon sentiment je le comprends, mais je ne comprends pas que tu fasses comme si ça n’avait jamais existé…
Puis je parle de mon deuil, je lui dit aussi que j’ai du faire le deuil d’un amour impossible et celui de mon meilleur ami qui ne pouvait pas me consoler. Et puis d’autres choses encore. Je lui disais que les potins ne m’intéressaient plus, que j’avais évolué.

Je ne m’attendais pas à une réponse. Un après midi de juin, il est venu me voir au bureau. J’étais surprise et heureuse. Je l’ai emmené boire un café. Nous avons parlé. Parfois des collègues passaient et ça me dérangait. Je voulais être seule avec lui… Je l’ai raccompagné jusqu’à la rue. On souriait tous les deux… Il n’y avait plus de nuages. Le ciel d’un seul coup est devenu d’un bleu pur…
Il ne sera pas plus disponible qu’avant… Mais il y a toujours dans son sourire, dans son regard, le petit garçon que j’ai tant aimé…