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Il est parti ce matin, il est parti travailler comme tous les jours.

Il est parti mais ce soir il ne rentre pas. Il va prendre le train pour aller à l’autre bout de la France. Il ne dormira pas avec moi ce soir.

Un voyage comme tant d’autres, un voyage comme un déplacement professionnel. Il a préparé son sac de voyages, m’a demandé où étaient ses lunettes, a râlé parce que sa chemise bleue n’était pas encore repassé, enfin rien que des choses habituelles…

J’ai l’impression d’avoir cent ans en buvant mon thé ce matin. Je sais que ce soir quand je rentrerais du travail, je vais m’occuper pour ne pas penser,
pour faire comme si…

Je l’ai regardé s’éloigner. Le haut du crâne dégarni, le reste tout blanc, le front soucieux, et les lunettes sur le bout du nez. Il a 50 ans, il n’a rien d’un jeune homme, ni même d’un homme bien conservé qui fait se retourner les femmes. Non c’est un homme ordinaire, et je n’ai jamais été d’une jalousie maladive…

Pourtant il ne part pas en voyage d’affaires, mais il part voir son premier amour. Il part à la recherche de ses rêves, il part retrouver le passé.
Je la connais, elle, il y a quelques années, on s’était même vus tous ensemble, elle avec son mari et ses enfants. Je la connais, parce qu’on s’est connues un peu, on faisait partie de la même bande, quand nous étions tous jeunes, elle était l’ex, j’étais la nouvelle, l’histoire était enterrée… Du moins je le croyais…
Puis elle est partie vivre loin, et on ne s’est revues qu’une fois, tous en famille, alors qu’elle revenait pour le décès de sa grand-mère.

Mais voilà qu’après des années, crise de la cinquantaine, ou autre, on s’en fiche du nom, voilà qu’il se met à être obsédé par son passé. Il pense qu’il a raté quelque chose, il ne vit plus au présent, mais au passé.

J’ai laissé faire. Je ne vais pas lui nterdire de rêver… Puis il est rentré en contact avec elle via internet. Elle habite très loin. Il ne s’en est pas caché. Je n’ai pas demandé de détails, je me suis dit qu’ils se lasseraient tous les deux…

C’est moi qui l’ai encouragé à aller la voir. Je sais qu’elle est toujours mariée mais visiblement pas heureuse. je ne lui ai rien demandé. Je ne sais pas où il va dormir, ce qu’ils vont faire boire un verre ou plus, je ne veux pas le savoir… Je sais qu’il reviendra. Il m’a assuré que j’étais la femme de sa vie…

Mais en attendant je ne dois pas penser… Et peut-être aussi me demander comment passera la gêne quand il reviendra…

Je l’ai laissé partir à la poursuite de ses rêves pour qu’il se sente libre… Je l’ai laissé partir pour qu’il constate par lui-même. Je l’ai laissé partir parce qu’il a peut-être besoin de ça pour faire le deuil…

Je n’en ai parlé à personne, car personne ne pourrait comprendre une telle abnégation, un tel sacrifice…

Et pourtant je l’ai fait…