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Mon pire cauchemar, celui qui revenait souvent, c’était que mon père adoré soit méchant avec moi. Dans les cauchemars il m’arrivait quelque chose de grave, je l’appelais et il ne réagissait pas, voire se moquait de moi ou me disait des méchancetés.

Est ce qu’on rêve de choses qui pourrait nous arriver ? Ou est ce classique de rêver que les gens qu’on aime ne nous aime plus ?

Car lors de mon divorce, mon cauchemar s’est réalisé. Mais finalement mon père adoré est celui avec qui la paix est revenue le plus vite. Parce que nous nous aimions profondément, parce qu’il était intelligent et qu’il a compris mes raisons une fois que je lui ai expliqué. Parce qu’il n’avait pas l’intolérance liée à la religion de ma mère, ni non plus la jalousie de ma mère.

Et puis je pouvais comprendre que pour la génération de mes parents, divorce égale gros mot et j’étais la première à commettre cette abomination. Mais ce que je ne pouvais pas comprendre, c’était mon frère, et ma sœur. Aucun souci avec ma petite sœur Servane, qui était encore très jeune, et qui bien avant tout le monde avait compris que Benjamin n’était pas l’homme charmant qu’il était en public. Et Jean-Louis, son mari m’aimait bien aussi.

Mon frère Cédric a toujours cherché la bagarre avec moi. Si je dis blanc, il dit noir. Il aimait bien Benjamin, et n’avait aucune envie d’avoir une sœur divorcée. Il a de grandes théories sur l’amour, pour lui si ça ne marche pas, c’est qu’on a pas fait ce qu’il faut !

Je dresse un portrait noir de lui, et pourtant il a de grandes qualités et nous nous entendons bien ! Il est maladroit mais il a le cœur sur la main. Avec les années j’ai fini par comprendre qu’il cherchait toujours la bagarre en public (à table dans les repas de famille), mais jamais en tête à tête : nous allons souvent ensemble au restaurant. Mon père était exactement pareil. La psychologie masculine est complexe, (mais oui), j’ai fini par comprendre que c’était de la possessivité, et j’ai ainsi “désamorcé” la bombe. J’ai cessé de répondre à leurs provocs en public. J’ai cessé d’essayer de les convaincre, quels que soit le sujet.

Mais dans l’histoire que je raconte, ce n’était pas encore le cas. J’étais à fleur de peau, les disputes étaient fréquentes, je ne supportais pas qu’on me rejette, qu’on accepte pas ma décision.

Le réveillon du jour de l’an, je le passais toujours avec ma tribu. Camomille ou Cédric organisaient souvent la fête, c’était les seuls à avoir de la place. Parfois ils étaient invités chez des amis, mais comme ces amis connaissait la tribu, j’étais invitée aussi.

Mes filles étaient chez leur père, il fallait bien partager.

Cette année là, Camomille et son mari étaient invités chez des amis que nous ne connaissions pas, et les deux autres aussi. Cela me faisait drôle d’être seule, mais tant pis. J’avais refusé de passer le réveillon avec mes parents, regarder la télé en attendant le compte à rebours, me paraissait encore plus sinistre que d’être seule chez moi. J’avais tout de même acheté deux trois petits plats et ouvert une bouteille, et bien sûr je regardais la télé. Les voisins faisaient la fête, je les enviais.
nb : j’ai du mal à écrire ça, je m’en moque tellement aujourd’hui du réveillon !

À minuit mon beau frère adoré Jean-Louis me téléphone pour me souhaiter bonne année, puis il me passe ma sœur, j’appelle mes parents selon la tradition.

Le lendemain midi, nous nous retrouvons tous chez mes parents pour déjeuner et trinquer à la nouvelle année. 

Tandis que nous parlons, ma belle sœur qui n’a jamais été très délicate, me dit que “Jean-Louis était chez eux quand il m’a appelée”. Servane ne m’avait rien dit bien sûr, ni Jean-Louis trop gêné, mais Cédric avait fait une fête chez lui en invitant ma petite sœur, et d’autres… sauf moi. 

J’ai fait semblant de ne pas réagir, mais je suis montée dans mon ancienne chambre pour pleurer. Camomille est montée aussitôt après : j’en étais sure que tu étais choquée !
Elle m’a consolée, m’a dit qu’elle avait pensé à m’inviter, mais qu’elle ne pouvait pas se le permettre ne connaissant pas assez ses hôtes. Puis Cédric est monté, il était très mal, très gêné, m’a expliqué que j’étais devenue insupportable, qu’il avait peur que je lui fasse honte devant ses invités !

J’ai refusé de leur parler pendant une semaine. Ma belle sœur Marianne m’a ensuite appelée pour me dire que c’était elle la méchante. 

J’ai fini par pardonner. Je me suis juré de ne jamais être comme eux ! De toutes façons je ne pourrais pas même en me forçant !

Camomille a ensuite organisé tous les réveillons, mais depuis je me contrefiche du réveillon, je peux rester chez moi et commander une pizza sans problèmes !

J’étais assez lucide pour savoir que cette “détresse” venait de mon éducation, de ce cocon que j’appelais cage dorée.

Je ne voulais pas de ça pour mes filles, mon expérience allait me servir. Je ne voulais pas qu’elles ne connaissent que les vacances à Sauvageonne, que la tribu pour seuls amis. Je ne voulais pas qu’elles aient peur de l’extérieur, peur d’aller vers les autres. Je les ai emmenées dans des clubs de vacances, je les ai sorti le plus possible. Je ne sais pas si j’ai réussi, mais elles sont à l’aise partout, tout en gardant leur caractère, on ne fait pas d’une réservée une extravertie !

J’ai grandi, on sait ce qu’on a, ce qu’on a pas. Ce qu’on peut attendre de la tribu, et ce qu’il ne faut surtout pas attendre.

Mais quand Servane a divorcé (elle c’est la victime, son mari est parti) et que j’ai vu à quel point elle était entourée et soutenue, j’ai quand même eu un pincement au cœur. Mes filles aussi d’ailleurs !