C’est difficile de décrire la drôle de vie que je mène, que nous menons ma tribu et moi.
Nous avons éprouvé un grand soulagement, car on ne va pas dire joie, quand Martine est enfin sortie du coma, qu’elle nous parlait ou plutôt essayait, d’une voix rauque et inaudible. Nous pensions voir le bout du tunnel.
Plus de tuyau dans la bouche, même si il en restait encore dans les bras, le cou, le nez.
Mais nous trouvions inquiétant qu’elle soit aussi incohérente, et aussi agitée. Toujours en train d’essayer de se lever, d’enlever les tuyaux comme si elle n’avait pas conscience de l’endroit où elle est, et pourtant quand on lui disait : tu sais que tu es à l’hôpital, elle disait oui. Mais elle avait l’air perdu, paniqué.
Mes sœurs, ma fille, ma nièce et moi essayons toujours d’avoir des infos quand nous croisons un interne, impossible pour mon frère qui rentre trop tard. Et bien sûr nous continuons à nous envoyer des sms, à nous appeler.
J’y vais tous les soirs. Je rentre chez moi, je prends ma voiture et je repars, après être passé chercher Artémis. Vendredi Servane nous dit que Martine devrait changer de service ce week-end, qu’elle retrouvera toute sa tête dans quelques jours voire une semaine. Vu le temps qu’elle a mis à se réveiller je ne suis pas trop étonnée.
Cependant je me demande comment elle peut changer de service. Elle n’est toujours nourrie que par perfusion, elle n’a pas de force et est incapable de se faire comprendre. Qui va s’occuper d’elle dans un service normal autre que la réanimation ?
Le samedi on nous dit qu’elle est faible et fatiguée et ne partira que lundi. Artémis et moi passons notre temps à essayer de la redresser, assise elle ne tient pas et glisse, allongée elle n’est pas bien, elle a chaud, elle a froid.
Dimanche j’y vais vers 17 h avec Artémis. Martine est allongée, elle respire vite. Elle a l’air épuisée, répond à peine à nos questions.
Je n’en peux plus. Physiquement moralement, je suis à bout. Nous avons tous connu la vie d’hôpital, visiter un proche régulièrement, s’inquiéter, supporter ces odeurs, en priant pour que ça ne dure pas. Nous avons tous connu et nous savons combien c’est dur moralement, même si le plus à plaindre est le malade bien sûr.
J’admire Artémis. Elle est mon roc. Je me contente de m’asseoir et de regarder ma mère. Je n’ai plus la force de lui poser des questions, de lui parler. Artémis continue à lui poser des questions simples, à lui parler d’une voix forte : grand-mère tu es à l’hôpital mais tu dois te calmer pour guérir ! Respire lentement !
Elle qui est si peu bavarde d’habitude déploie des trésors d’imagination pour trouver des sujets. Ma fille et Jolinette, les plus fidèles au chevet de leur grand-mère, proches et complices, ont montré leur grand cœur. Nous nous moquons gentiment d’elles en disant : vous allez être infirmières, vous savez tout par cœur : elles nous montrent les écrans : la tension, le pouls.
Je suis découragée. Elle est rentrée mercredi 11 mars après l’opération, ça fait une semaine et demie de réanimation, alors qu’on observe la valse des autres chambres, où les malades restent moins d’une semaine.
À ce moment un interne vient nous voir. Il nous dit qu’ils ont remarqué son état, qu’elle s’était affaiblie. Elle devrait repasser au bloc, elle a du liquide dans le côlon. Artémis le bombarde de questions, moi j’ai les larmes aux yeux. Surtout quand il nous dit que c’est reparti pour le “tuyau” le respirateur et peut-être encore un coma artificiel…
Je lui demande tout de même pourquoi elle est en panique, pourquoi elle ne retrouve pas “sa tête”. Il explique vaguement que ce serait du à son infection, courant chez les personnes âgées.
Personne âgées ? Martine a 74 ans, et pas un seul cheveu blanc ! Et même si elle peut être totalement casse pieds, c’est une personne sensée, autonome, capable de comprendre qu’elle est à l’hôpital et qu’elle doit patienter !
Bon là je vous passe les détails, car il n’y a pas que le côlon. Autant de trucs pas vraiment graves mais qui s’accumulent, de mots savants, de solutions proposées.
Idem pour les questions incessantes que nous posons sur les résultats des examens. On ne sait pas, on a rien reçu, là c’est dimanche pas de résultats, moi je ne les ai pas, voyez l’autre équipe.
D’ailleurs depuis samedi mes sœurs m’ont bombardé de sms ” essaye de voir quelqu’un il faut dire ça et ça, c’est pas normal “.
Comment ont elles encore l’énergie de râler ? Moi je n’en peux plus ! Limite je préfèrerai qu’on ne me dise plus rien !
Je voudrais juste une pilule magique, un remède et qu’on me rende ma mère ! Autant quand elle dormait je pensais : reviens-nous ! Autant maintenant j’ai envie de dire : rendez la moi ! Rendez la moi malade, fatiguée si vous voulez, mais avec sa tête !
C’est dur de ne plus pouvoir lui parler normalement.
Après ce dur entretien, nous n’avons même pas eu le temps de rester un peu au calme avec elle. Nous la préparons, vous devez sortir. J’ai demandé à quelle heure je pouvais appeler.
Je suis à peine capable de conduire quand je repars. J’ai envoyé un sms à ma fratrie en disant que j’allais tout expliquer par téléphone.
Pendant que je conduis, Artémis appelle gentiment Camomille, Servane et Athéna. Puis nous passons chez Cédric à Ville Natale.
Nous buvons un café avec Cédric, Mariane et Coralie, échangeant nos angoisses. Comme d’habitude mes sœurs et frères comptent sur moi pour appeler l’hôpital après l’opération vers 21 h. Je ne suis pas inquiète.
J’ai des intuitions très fortes et depuis le début je sais que Martine va s’en sortir. De même que jamais je n’ai craint qu’elle n’ait un gros problème sur la table d’opération. Même malade Martine est une normande. Aussi solide que sa mère Jeanne. Elle n’a pas de problèmes cardiaques ni de problèmes respiratoires.
Ensuite j’emmène Artémis faire des courses, oui le dimanche c’est ouvert dans MaVille, car avec tout ça les frigos se vident et on ne prend même pas le temps de faire les courses.
Quand je rentre chez moi, épuisée, je trouve un mouchoir blanc noué à mon portail. Cela me réchauffe le cœur.
à suivre