Dans ma tribu nous avons des rites un peu étranges. L’initiative vient souvent de Martine ou de Camomille : commémorer la mort de mon père Eugène.

Le plus souvent on fait ” dire une messe “. J’aime bien cette expression un peu désuète, en revanche je n’aime pas les messes. Puis ensuite nous nous retrouveons autour d’un repas. Les deux premières années il y avait beaucoup de monde, toute la famille éloignée, ceux qui étaient venus à l’enterrement. Puis Martine s’est lassé et a voulu arrêter ce rituel.

Pour les dix ans, Camomille a voulu recommencer. Moins de monde bien sûr entre ceux qui ont rejoint Eugène là haut et ceux que l’on a un peu perdu de vue. Mes filles et gendres avaient fait le voyage pour l’occasion et j’étais heureuse de les avoir près de moi.

Pour les 15 ans la décision qui venait probablement de Camomille était de faire uen cérémonie plus simple : nous devions nous retrouver tous au cimetière, déposer une plante et ensuite se retrouver chez Cédric et Mariane pour un repas-buffet. Plus simple et donc plus à mon goût.

La nouveauté c’est qu’il n’y avait ” que nous “. C’est à dire ma maman, les 4 enfants d’Eugène et les petits-enfants, (enfin ceux qui pouvaient venir), et pas de messe. Cédric devait faire un discours, Marine devait chanter. S’il n’en tenait qu’à moi j’aurais toujours fait ça dans l’intimité, même si le mot intimité avec une aussi grande tribu pourrait faire sourire.

La veille dans la conversation de groupe, j’ai senti de grosses failles dans l’organisation. Camomille n’avait toujours pas acheté la plante, personne ne savait à part moi si on pouvait rentrer en voiture dans le cimetière le dimanche…
Je commençais à avoir peur, Cédric ne répondait à aucun message, je me disais qu’il ne devait même pas avoir préparé de discours.

J’ai pensé à lire un texte d’hommage. Mais j’avoue que j’ai vraiment hésité. Faire des discours, lire un texte tout haut, ce n’est vraiment mon truc. Je préfère écrire, je n’aime pas me mettre en avant, même si il ne s’agit que des proches.
Oui je sais vous allez me dire que je fais du théâtre, mais cela n’a rien à voir…

Je n’avais pas grand chose à écrire, c’était déjà fait. J’ai cherché dans mon blog l’Hommage à mon papa
2008 ! On ne rajeunit pas !

… et je l’ai adapté en modifiant les pseudos en nom et en supprimmant quelques phrases.

Puis je l’ai imprimé. Mais je tournais en rond chez moi. J’y vais je n’y vais pas ? Je le lis ou je ne le lis pas ? C’est très intime, je l’ai écrit pour moi, il n’était pas destiné à être rendu public… Même Martine ne l’a jamais vu !

Et puis c’est toujours difficile avec ma tribu, je vous en ai déjà parlé.
Je me visualisais avec mes feuilles A4. Je m’en moque je ne les regarde pas, je n’ai pas à l’apprendre par cœur, il y en aura un sur deux qui aura décroché au deuxième paragraphe. Pas de problèmes avec les jeunes ils sont plutôt ouverts.

C’est là que je me rends compte que je suis une grande rêveuse avec des rêves bien protégés dans ma tour d’ivoire, un jardin secret que je ne partage pas avec n’importe qui.

Finalement le dimanche matin, je me suis décidée, j’ai lu le texte à haute voix chez moi pour m’entraîner. Je me suis dit que je le faisais pour mon père, même si je ne crois pas à la vie après la vie, et puis que ça ferait plaisir à Martine.
Autre motivation : chaque fois que nous avons parlé d’Eugène lors des messes ou discours, j’ai trouvé ça beaucoup trop court.
Deux lignes ne suffisent pas à dire qui était mon papa !

Le dimanche, il fait froid, il y a même un peu de neige. J’ai pris un fauteuil de jardin pour que Martine s’assoit. Camomille a finalement réussi à trouver la plante, heureusement que les jardineries ouvrent le dimanche. Toutes nos voitures prennent l’allée entière du cimetière.

Nous commençons par la partie prières et lecture de l’évangile.
Ensuite Camomille demande qui veut commençer, mon frère me propose de commencer. Je lis. Deux pages et demi. Quelques sourires à l’évocation de l’attachement de mon père à ses enfants. À la fin Martine pleure. On m’applaudit. Cependant les seuls qui me diront que c’était bien après coup sont Cédric et ma mère.

Puis Cédric fait un discours plus court en disant que tous les enfants d’Eugène sont maintenant des vieux ce qui nous fait rire puis il énumère la liste des enfants de la tribu (les petits enfants d’Eugène) en se trompant dans les âges. Enfin il évoque quelques petites choses qui nous rappellent Eugène.

Ensuite nous nous retrouvons chez Cédric et Marianne où les jeunes qui n’ont pas pu être là le matin nous rejoignent.

Martine m’a demandé de lui signer le discours que je lui ai donné. Je l’ai envoyé à mes filles qui l’ont trouvé très beau.
Le lendemain quand je suis passée voir ma mère, elle m’a demandé par mél un message de remerciement à tous ses enfants. Elle disait que c’était le plus bel hommage celui des 15 ans parce que nous étions tous proches, unis.

 

Texte d’origine du 30 avril 2008 : Hommage à mon papa