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Carola avait grandi dans une petite ville de campagne. Ses parents étaient les épiciers du village, ceux que tout le monde connaît. C’était des gens simples un peu bourrus. Ils n’avaient pas beaucoup de temps pour s’occuper de leurs enfants, avec leur horaires. Carola était l’aînée des quatre, la seule fille.

Dès l’école primaire, les enfants étaient en pension en ville, à 16 km de chez eux. Ils partaient dès le dimanche soir, et c’était toujours un peu triste. Le vendredi soir leur père venait les chercher dans sa camionnette. Les samedi et dimanche (l’épicerie était ouverte le dimanche matin) Carola ne pouvait pas sortir tant qu’elle n’avait pas fini les tâches ménagères, ils vivaient au rez de chaussée derrière la boutique. Le matin elle débarrassait le petit déjeuner, car ses parents partaient vite dans la boutique, le midi, ils rentraient manger, l’épicerie fermait de 13 h à 14 h, mais ses parents avaient toujours à faire, et de ce fait, mangeaient rapidement. Le père de Carola filait dans la cour arrière, ranger les cageots, charger ou décharger la camionnette, sa mère profitait de la fermeture pour remettre de l’ordre dans les rayons un peu dérangés par les clients, passer un coup de serpillère ou nettoyer la caisse, une vraie caisse de supermarché dont elle était très fière !

Les garçons quand à eux avaient chacun leur tâche selon leur âge, et en changeaient au fur et à mesure qu’ils grandissaient. Le plus jeune servait au rayon fruits et légumes, (à l’époque, on ne se servait pas soi même et on ne pesait pas non plus), les moyens livraient à pied en ville les personnes âgées, dès qu’ils avaient le permis, ils livraient un peu plus loin, ou encore se levaient très tôt pour accompagner leur père à Rungis.

L’été ils partaient un mois en colonie en juillet, et en août ils partaient trois semaines avec leurs parents à la mer.

Carola ne se plaignait pas trop de sa vie, même si elle aurait aimé plus s’amuser. Ses parents avaient accepté sans trop de difficultés qu’elle refuse de servir au magasin, elle ne se voyait pas épicière ! De plus Carola comprit bien vite qu’elle était jolie, et les blagues bien grasses des clients ne lui plaisaient pas. Ses parents non plus n’appréciaient pas, ce qui avait sûrement pesé dans leur décision : d’accord tu restes à la maison pour le ménage !

Carola était rousse et frisée. Sa chevelure flamboyante attirait les regards avant même qu’on ait pu constater qu’elle était jolie. Elle avait naturellement la peau très blanche, des taches de rousseur qu’elle tentait de cacher, de grands yeux bleus, un peu étonnés, qui lui donnait un air naïf, un peu perdue. Elle avait hérité de sa mère une belle dentition. Elle était mince et bien faite. Son succès ne lui monta pas à la tête, c’était une fille simple, qui rêvait d’une famille, et si elle pouvait ne pas travailler elle en serait ravie !

Car Carola ne brillait pas par son intelligence. Dès que les conversations devenaient trop compliquées, elle était perdue.
Plusieurs fois elle s’était rendu compte qu’elle disait une bêtise, qu’elle était à côté de la plaque, et faisait rire ses camarades. Les garçons étaient plus indulgents bien sûr, puisqu’elle était jolie, et puis ça les flattait de jouer les connaisseurs : je vais t’expliquer ! Ils souriaient d’un air attendri ! Les filles étaient plus cruelles, et ricanaient méchamment, elle entendait souvent :
- qu’est ce qu’elle est belle, oui mais qu’est ce qu’elle est conne !

Cela ne la gênait pas plus que ça. Les études ne l’intéressaient pas. Elle aimait parler de choses simples comme la cuisine, les animaux, les enfants, elle aimait aussi la nature, et avait souffert de vivre dans un appartement en rez de chaussée, avec vue sur la cour encombrée de cageots. Heureusement la campagne n’était pas loin, et elle s’était bien amusée avec ses amis, les dimanche après midi, et même le soir quand ils avaient tous des mobylettes.

Elle avait 18 ans et venait de rater son bac. Ses parents n’étaient pas contents, et ils décidèrent qu’elle redoublerait jusqu’à ce qu’elle obtienne le diplôme. Carola partit faire en juillet faire de l’aviron et rencontra Enguerran. Aussitôt elle fut éblouie par ce jeune homme. Ce n’était pas seulement physique, c’était sa classe, son élégance. Carola avait rarement rencontré des hommes comme lui, à part quelques professeurs, ou des vacanciers de passage dans l’épicerie, mais ceux là étaient beaucoup plus vieux, en âge d’être son père.

Elle eut l’impression de vivre un miracle, en voyant que le jeune homme s’intéressait à la fille toute simple qu’elle était. Ce fut un coup de foudre. Quand elle lui raconta sa vie, et son manque d’envie de retourner en pension, Enguerran prit sa décision très vite.

Dès septembre il annonça à ses futurs beaux parents son désir d’épouser Carola. Les épiciers étaient ravis et très flattés : un fils de notaire, futur notaire !

C’est ainsi qu’ils se marièrent. Enguerran n’a jamais demandé à son épouse de travailler. Carola était heureuse à la maison avec ses enfants, elle ne voulait surtout pas qu’ils aillent en pension comme elle.

Un jour son mari lui annonça qu’il avait trouvé la clerc de notaire idéale et qu’il fallait qu’elle la rencontre.

à suivre