Nous arrivons donc en larmes à l'entrée du village vacances. Didou est la seule capable d'expliquer. Roselyne contrairement à moi ne saigne pas abondamment, elle a un "trou rouge" dans la tête, dans les cheveux, au niveau de la tempe.
Le directeur du village vacances vient me voir, me caresse les cheveux et la joue (Waouh !) et me dit :
- pas d'inquiétude, la tête ça saigne beaucoup, mais ce n'est pas grave je vais vous emmener au village.

Le cuisinier arrive avec sa 4 L fourgonnette et nous fait monter derrière. Le directeur monte devant. Mais pendant qu'on faisait tout ça, notre agresseur est arrivé au village vacances !

Roselyne et moi nous écrions en chœur : "C'est lui, c'est lui !"
Le directeur, le cuisinier, et le barman venu à la rescousse, arrêtent le type et lui parlent. Puis le directeur nous emmène, et je ne sais pas trop ce qu'il font du pêcheur de coquillages. Nous arrivons d'abord à la gendarmerie. Je ne saigne plus, mais je suis couverte de sang...

Le directeur nous laisse à la gendarmerie où nous déposons une plainte. L'histoire est déjà connue, le pêcheur est appelé "le fou aux galets".
Je dis à Roselyne : "c'est vrai ça, on a cru que c'était des cailloux ! Des galets ça change tout ! Il faut qu'on arrête de penser en parisiennes"

Le gendarme tape avec deux doigts sur une antique machine. Il est de Dordogne, et plaisante avec nous. Je fais ma déposition la première, puis c'est le tour de Roselyne. Le directeur revient et me demande où on en est. Je lui demande ce qu'à bien pu dire le pêcheur. Il me répond qu'il n'avait pas envie de discuter avec lui...
Roselyne me dira plus tard que le pêcheur avait du nous traiter de s.. ou de p.. rapport à notre tenue.
J'ai des doutes mais on ne le saura jamais. En tout cas il ne s'attendait sûrement pas à se retrouver aussi vite interrogé par la maréchaussée !

Ensuite le directeur nous dépose chez le docteur "pour une urgence" dans une salle d'attente archi pleine et exotique. Des femmes en boubou coloré tiennent des enfants sur leurs genoux...
Roselyne s'écrit affolée : "ils vont nous couper les cheveux".
Ce qui me ferait rire si j'avais la tête à ça, car c'est le dernier de mes soucis !

Le docteur est un très bel homme. La quarantaine des yeux gris acier, une abondante chevelure grisonnante, même jeunes, même ne raffolant pas des grisonnants, mes copines et moi nous accorderons à dire plus tard qu'il était irrésistible.

Lui aussi est métropolitain. Il nous demande ce qui nous est arrivé et nous dit que les gens sont gentils ici, que ça n'arrive jamais. Il veut commencer par moi.

Je m'allonge sur la table. Il me pose des tas de questions. Mon âge, d'autre choses, il prend son temps. Au moment où il prend l'aiguille pour me faire deux points en haut du front, j'attrape sa main et demande si ça va faire mal. Geste qui me surprend moi même parce que 1) je ne suis pas douillette, 2) j'étais plutôt timide à l'époque...
Me voilà recousue. Il expédie les points de suture de ma copine Roselyne pas contente : "tu avais la côte et pas moi". Il a du lui couper 3 cheveux avec des ciseaux à ongles. Elle est ravie, les dégâts sont minimes.

Puis après le passage à la pharmacie juste à côté pour racheter les fils, le cuisinier, revenu nous chercher, nous ramène au village vacances.

Le soir le directeur nous offre l'apéritif et discute avec nous. Roselyne est presque contente !
Le lendemain mon front aura enflé d'un seul côté de façon spectaculaire. Au point de me donner de très élégante "rides du lion" au dessus du nez. J'ai un air de famille assez marqué avec Eléphant man, pour la partie supérieure du visage au moins.

Mais ce n'est pas très important. Nous sommes tellement terrorisées, Roselyne et moi que nous ne quittons plus le village vacances.  À part une excursion en car au volcan parce que nous n'étions pas seules. Les vacances sont gâchées, nous n'avons qu'une envie : rentrer chez nous. 
D'ailleurs nous avions appelé nos parents en larmes. Et j'avais même pu joindre Laurent en Nouvelle Calédonie.
Avec quelques années de plus, nous aurions sûrement relativisé.
Avec quelques années de plus, j'aurais réagi différemment : même pas peur, de toutes façons ça ne va pas m'arriver deux jours de suite !

Mais une fois revenue en métropole, j'ai vite oublié. Roselyne n'a pas voulu rentrer à Paris et est repartie chez ses parents dans le Sud pour le week-end.
Je me suis fait enlevé les points de suture par mon vieux médecin de famille, nettement moins sexy que celui de l'île. Puis j'ai invité plein de monde pour mon anniversaire, ravie de montrer mon bronzage et ma cicatrice tout en haut du front à gauche. Ça fait des choses à raconter !

Des mois plus tard, nous avons reçu Roselyne et moi un avis de procès pour M. X sans profession, avec invitation à nous y rendre ou remplir le formulaire joint si nous ne souhaitions pas y assister ! M. X risquait une amende et des dommage et intérêts  à régler à ses victimes.
Roselyne et moi rions bien : c'est sûr on va faire fortune !
J'ignore si le fou aux galets est resté en prison tout ce temps, j'en doute !

Puis plusieurs mois plus tard M. X a été condamné à payer des dommages et intérêts, mais il n'était pas solvable !
Nous n'avons jamais su le pourquoi de cette agression. Avec le peu d'infos que nous avions, nous avons supposé qu'il s'agissait d'un simple d'esprit, sans profession et probablement sans domicile fixe aussi.
Nous n'avons jamais remis les pieds à la Réunion. Je n'ai jamais remis les vêtements portés ce jour là, pourtant j'avais réussi à enlever le sang !

Des années plus tard, mère de deux filles, je les laisse à mes parents et à leur père pour aller faire une course en ville. Quand je reviens ma mère me dit affolée qu'Artémis (3 ans) a fait une chute. Un dérapage sur le parquet qui l'a fait atterrir sans se retenir, sans rien pour amortir, la tête la première sur le coin d'un buffet. Marre de sang, leur père l'emmène aux urgences, Athéna est en larmes, choquée et s'accroche à moi quand elle me voit revenir.

Je vois revenir la petite qui rit (passé l'épreuve de l'aiguille, elle a déjà oublié) dans les bras de son père.

Artémis a la même cicatrice que moi...