Un peu inusité ces mots… À part l’aîné sans doute : l’aînée d’une fratrie je sais de qui on parle et pour cause. Puis il y a le cadet ou la cadette, et enfin le benjamin ou la benjamine. J’ai toujours pensé que ça fait beaucoup de cadets, pourquoi n’y a t-il pas d’autres noms ? Les famille avec quatre enfants ou plus n’étaient pas rares quand j’étais enfant.

Je m’égare, je voulais parler des benjamins. Je vous ai déjà parlé de mes grands- parents normands, parents de Martine. Ils ont eu dix enfants…
OUF ! Vous imaginez le nombre de cadets !

Le benjamin, appelons le Michaël est né la même année que sa nièce, fille de la fille aînée de mes grands parents. Imaginez un peu une mère qui est enceinte en même temps que sa fille ! Michaël et sa nièce ont toujours été proches et se considèrent plutôt comme cousin cousine que comme oncle et nièce.

Michaël a souffert de la malédiction du benjamin. Un certain mal-être. Jeune homme à ma naissance, c’était mon oncle préféré. Plus tard il m’a parlé de son enfance, bien différente à ses yeux de celle de Martine. Martine a des étoiles dans les yeux quand elle parle du bonheur d’une famille pauvre et unie, des fêtes, des préparatifs des baptêmes, de cette force et de cette solidarité.
J’ai déjà raconté comment après la mort prématurée d’une de leur sœurs les autres ont recueuilli ses cinq enfants en bas âge. L’aînée a pris un enfant, deux autres sœurs en ont recueilli deux, toutes avaient déjà des enfants et personne ne roulait sur l’or.

Mais Michaël n’a pas du tout le même regard sur son enfance. Il n’a pas été un souffre douleur, je vous rassure.

Par exemple ses 7 sœurs et ses 2 frères ne se sont jamais plaint d’être habillés avec les vêtements des aînés ou ceux cousus par ma grand-mère Jeanne avec des tissus de récupération. Les couvertures de l’armée servaient à faire des manteaux, à la libération Jeanne et ses voisines ont récupéré les toiles de parachute pour faire des robes et des jupes. Je tire mon chapeau à ma grand-mère en passant !

Les godillots étaient usés avec des semelles de bois. À l’époque on ne se souciait pas d’abîmer les pieds des enfants en leur mettant des chaussures usagées.

Michaël a très mal vécu cela. Il disait qu’on se moquait de lui à l’école parce qu’il était mal habillé. C’est très possible, les mentalités ont du changer entre la naissance de l’aînée et la naissance du dixième. Michaël avait conscience aussi que sa mère n’aurait pas eu autant d’enfant si la pilule avait existé, Jeanne bien que très croyante avait les pieds sur terre. Elle avait fait une petite gaffe en disant que si elle avait pu choisir elle n’aurait pas eu dix enfants. Michaël très sensible l’avait mal pris.

Et puis il y avait un autre phénomène. Le fait d’avoir des parents âgés. Mon grand-père Jeannot était un taiseux, épuisé par une dure vie de labeur il n’aspirait qu’au repos quand il rentrait. Martine et ses deux sœurs les jumelles se sont mariées presque en même temps. L’une des jumelles a épousé un maghrébin. Ce jeune homme gai, chaleureux qui avait laissé sa mère de l’autre côté de la meditterranée s’est aussitôt attaché à la famille et en particulier à Jeanne. Conscient que sa vie n’avait pas du être facile, il voulait la sortir un peu : ” Venez maman nous vous emmenons au restaurant, depuis quand vous n’êtes pas allée au cinéma ? ” . Bien entendu ce fut une bouffée d’air pour Jeanne.

Mais Michaël l’a très mal vécu, il a accusé sa mère d’avoir baissé les bras, de l’avoir abandonné alors qu’elle avait encore un fils à la maison. Abandonné est un bien grand mot, Jeanne est juste sortie un peu alors qu’elle ne quittait pratiquement jamais son foyer et ses fourneaux. Pire il s’est persuadée que sa mère était tombée amoureuse de son gendre !
Michaël reprochait aussi à ses aînés d’accaparer sa mère, il leur a même fabriqué une maman en bois pour s’assurer d’avoir la paix. Martine a bien ri.
Les choses ne se sont guère arrangées quand Jeannot est mort. Jeanne a demandé à sa fille et à son gendre de venir habiter avec elle.

Le temps a passé. Michaël était d’une intelligence supérieure. C’était aussi un très beau jeune homme qui a hérité de l’épaisse chevelure frisée de mon grand-père. Aujourd’hui avec sa toison blanche il lui ressemble de plus en plus. Michaël s’est marié et a eu deux filles, il est toujours resté très proche de Martine et d’Eugène.

Quand il parle de son enfance, de la pauvreté, il a presque la larme à l’œil. Il a toujours veillé à ce que ses filles soient bien habillées et leur a bien fait la leçon : si un élève est mal habillé, ne vous moquez pas !

Ses sœurs ne veulent pas entendre ça. Elles protestent : non non nous étions heureux !
Cela n’a rien de surprenant : frères et sœurs qui ont grandi ensemble peuvent avoir une vision bien différente de leur enfance.

La preuve : quand je dis que les aînés essuient les plâtres seuls sont qui sont les aînés d’une fratrie savent de quoi je parle. Les autres me disent : ” Oui mon frère dit ça aussi, c’est n’importe quoi, toujours à se plaindre ! “

à suivre