L’année dernière (l’année scolaire dernière donc) je me suis inscrite à l’atelier théâtre. Je vous raconterai tout ça en détail, mais dans un autre billet, sinon je vais faire un billet à rallonge !

À une exception près, la moyenne d’âge se situe entre 40 et 62 ans. L’exception c’est bébé Denis, 20 ans. Grand, maigre à faire peur, une bouille d’ange, coiffé comme un fond d’artichaut les poils blonds dressés vers le ciel.
Côté personnalité c’est une vraie caricature : accro au jeu vidéo, aux séries de geek, peu de culture, aucun vocabulaire. Il nous fait souvent rire quand il demande : ” ça veut dire quoi opportun “. Le coach lui demande souvent si il note tous les mots nouveaux qu’il apprend. J’ai sympathisé avec une prof retraité Anna. Et tout  naturellement le bébé du groupe s’est fait coaché et materné par elle et moi. J’y reviendrai.

Lorsque le coach a choisi les textes et les binômes, je me suis retrouvée avec Bébé Denis. Un brin paniquée ! J’ai appris très vite mon texte, mais bébé Denis était une catastrophe : il n’apprenait pas, oubliait de venir à l’atelier parce qu’il avait trop fait la fête la veille. Tous les binômes ont bien sûr décidé de se voir en dehors des cours pour répéter. Pour moi c’était compliqué. Bébé Denis n’était jamais libre, ou ne venait pas chez moi parce qu’il avait oublié, et je vous passe mon impression d’être une maîtresse d’école ce n’est pas le sujet de ce billet dont le préambule est déjà beaucoup trop long.

Comme on se voit pour répéter, forcément on papote. Un jour où il faisait beau, je propose à bébé Denis une bière sur le balcon avant de commencer. Il me dit : ” Ah ça me fait drôle je me dis que le petit garçon il est loin ! ” Je ris : ” pour moi tu es encore un bébé “. Bien sûr je l’appelle bébé Denis dans ma tête, pas devant lui !

C’est ainsi que bébé Denis me parle de lui. Il vit avec sa mère et son petit frère de 15 ans. Son père il le voit peu, de toutes façons il ne s’entend pas avec lui. Sa mère est infirmière elle est rarement à la maison, soit pour le travail soir pour d’autres raisons. Un jour où on répétait, le petit frère appelle bébé Denis, je n’entends pas la conversation, mais je devine : ” Tu es où, tu rentres quand ? “.
Denis s’énerve : mais je t’avais dit que je répétais mon théâtre ! Et puis je n’ai pas à me justifier devant toi… oui.. non… je ne sais pas à quele heure je rentre… tu n’as qu’à regarder la télé !

Quand il raccroche je lui dis de ne pas s’énerver après son petit frère : il se sent seul, c’est normal, il a envie que tu rentres, il doit s’ennuyer.
Mais bébé Denis a du mal à admettre cela. Je lui demande si sa mère est au travail :
- non elle travaille de jour, mais elle a un copain maintenant, elle n’est plus jamais à la maison.

Après son père, sa mère a vécu de nombreuses années avec son beau-père. Un grand c… alcoolique. Bébé Denis a mené une vie d’enfer à sa mère pour qu’elle se débarasse de ce boulet. Je vous passe le chapitre sur les ” gentillesses ” du beau père à l’égard des deux gamins. Un vrai Thénardier !

Heureusement la mère a fini par le mettre dehors. Le calme est revenu provisoirement.
Le nouveau copain à priori il n’a rien contre, mais comme il habite loin, la mère n’est jamais là, elle va dormir chez lui, c’est plus pratique forcément puisque lui n’a pas d’enfants chez lui.

Je suis révoltée. Je ne le montre pas.
Plus tard je raccompagne bébé Denis chez lui en voiture. Il me pose quelque questions. Je lui dis que j’ai deux grandes filles. Je ne dirais pas  ” j’ai élevé mes filles seule “, je n’aime pas trop le mot ” élever “, ça fait poulet, ça fait veaux, vaches, cochons.
Mais bon j’étais mère célibataire nous avons vécu à trois.
- Tu dois avoir 45 ans, l’âge ma mère.
Bien sûr il veut en savoir plus. Comment lui dire que toutes les mères ne sont pas comme la sienne ?

Je ne la connais pas sa mère. Mais là encore je vois les gens plus beaux qu’ils ne sont ! Je vois une mère autrement !

Plus tard au téléphone j’ai dit ma révolte à Athéna. ” Tu te rends compte, je suis scandalisée “.
Elle se moquait gentiment de moi :
- Mais maman tu ne peux pas sauver le monde ! Il a pu te parler ! Il a trouvé quelqu’un à qui parler, c’est l’essentiel !

Plus tard Bébé Denis m’a parlé de sa copine. Puis de sa copine qui l’a quitté pour un autre et puis qui est revenu ensuite. Parfois pendant que nous regardions les autres jouer leur scène, il chattait sur son téléphone. Je lui disais : ” lâche ça, pose ton téléphone, reste avec nous ! “
- mais elle me prend pour un c.. !
- raison de plus, dis lui que tu es occupé et déconnecte !

En juin quand nous avons fait le repas d’après spectacle chez une copine de l’atelier, je suis allée chercher bébé Denis qui n’a pas de voiture. Il m’a dit que sa mère a décidé d’aller vivre avec son copain. Elle emmène le petit frère.

- Elle me laisse l’appartement. Elle m’a dit de me débrouiller pour payer le loyer. Mais c’est un trois pièces je ne sais pas comment je vais faire !

Bébé Denis tente de passer des concours administratifs tout en faisant de petits boulots comme du baby sitting. Alors c’est sûr payer un loyer ce n’est pas à l’ordre du jour.

Il me dit : ” je ne sais pas si je pourrais continuer le théâtre l’an prochain, ça fait quand même cher ! “.

Je lui dis que c’est vraiment dommage, qu’il a beaucoup progressé (ce qui est vrai) et puis on s’est vraiment éclatés quand on fait le spectacle !

Le premier cours de septembre il n’était pas là. Je lui ai envoyé un SMS, il m’a dit qu’il comptait bien revenir. Il est revenu. Comme l’atelier c’est vraiment intense je n’ai pas encore pu beaucoup lui parler.

Mais une chose est sûre je me suis attachée à bébé Denis !

D’ailleurs Martine quand elle a vu le spectacle m’a dit qu’il était vraiment mignon ce petit !