J’ai fait un aller et retour à Ville Natale, deux jours pour aller voir Martine. Enfin deux jours, si on compte la route, ça fait deux jours de plus. J’étais inquiète, un jour sur deux ma mère est incohérente, ou alors elle ne parle que de mourir.

J’ai été hébergée chez Cédric et Marianne qui habitent au dessus du studio de ma mère. Je lui avais fait la surprise, elle était contente de me voir. J’ai pu ainsi voir comment se déroulent son quotidien. Je savais par ma fratrie qu’elle peut être très différente d’un jour à l’autre. Un jour fatiguée, un jour en forme, enfin façon de parler, elle dort beaucoup surtout le matin, elle ne lit pas, ne regarde pas la télé, midi et soir il faut lui faire à manger. J’ai pu croiser la dame qui vient le lundi, je les ai d’ailleurs laissées entre elles. 

Martine n’a pas le moral le matin, elle voit tout en noir ou pleure pour rien. Les antidépresseurs semblent ne faire aucun effet et sont diminués petit à petit. L’après-midi ça va un peu mieux, elle retire la robe de chambre qu’elle met par dessus ses vêtements et papote. Je lui ai proposé de marcher un peu dehors, elle ne veut pas. Physiquement elle pourrait, elle pourrait même se faire à manger, mais je pense qu’elle n’en a pa envie. Je suis allée chercher des résultats au labo, Servane l’emmènera chez le médecin la semaine prochaine, rien de très alarmant ni pour la prise de sang, ni pour l’analyse d’urine. 

J’ai vu Servane qui m’a dit que c’était compliqué, que la situation ne pourra pas durer, ils s’organisent pour la faire manger, mais le plus souvent c’est mon frère et ma belle-sœur le soir. De temps en temps une de mes nièces prend le relais le midi. J’ai également parlé avec Cédric et Marianne, ils m’ont dit qu’il faut que Martine aille à la Sauvageonne cet été (où je m’occuperais d’elle) car sinon personne ne pourra partir en vacances. Camomille sera en retraite en été et s’en occupera un peu en septembre, mais Camomille est toujours débordée et a prévu de s’occuper de ses 3 petits enfants, c’est la seule de nous 4 à être grand-mère ! 

Côté cerveau c’est aussi compliqué. Pour la mémoire lointaine pas de soucis, mais pour l’immédiat elle sait à peine quel jour on est, ou ne fait pas l’effort de le savoir.  Martine ne comprends plus rien, elle se mélange dans ses médicaments malgré le pilulier. Cédric a repris ses comptes, elle est perdue même quand elle reçoit la lettre de l’assurance habitation pour lui rappeler l’échéance. Elle raconte des histoires incroyables et fait des scénarios à partir d’informations glanées de ci de là. J’ai également eu ses sœurs au téléphone à qui elle avait raconté qu’il y avait eu trois nouvelles naissances d’arrières petits enfants.

Alors quand nous espèrons que Martine va se remettre, il ne s’agit même pas de sa tête mais qu’au moins elle soit capable de faire deux ou trois courses en face ou de se faire à manger. Hélas l’espoir diminue, il faut gérer au jour le jour. 

D’une certaine manière j’ai été rassurée : Martine n’est pas à l’article de la mort, mais elle est de moins en moins autonome. La situation n’est pas facile pour ma fratrie mais je les ai rassurés en leur disant que je m’en occuperai cet été. Je me dis que c’est peut-être le dernier été, à 82 ans Martine a de plus en plus de mal à monter et descendre les nombreuses marches de la Sauvageonne. Où en serons-nous l’an prochain, nul ne le sait. 

Comme me l’a dit un cousin récemment, on fait tout pour reculer un placement qui serait un crève cœur.

Martine est à l’étroit dans son studio. Le lundi j’ai pu monter chez mon frère, mais le mardi ma belle-sœur était en télétravail et comme Martine dort, difficile de trouver un coin de lit pour me poser. Je lui ai dit plusieurs fois : si tu avais un vrai appartement, tu pourrais m’héberger !
N’y voyez pas là de la méchanceté ou de la moquerie de ma part ! Je l’ai déjà expliqué dans je ne sais quel billet, Martine a fait de mauvais choix et aurait très bien pu avoir un deux pièces correct plutôt qu’un studio sombre au rez-de-chaussée au fond d’une cour. 
Martine m’a d’ailleurs proposé de me louer une chambre de bonne à l’année pour que je puisse venir et aussi de me louer une voiture pour que je puisse venir en avion ! Elle a du gagner au loto et je ne le sais pas ! 

J’avais perdu l’habitude des vendeurs peu aimables dans les magasins, c’est pas le Sud ! Ville Natale a toujours été à part, j’avais même vu une différence à MaVille et BelleVoisine côté amabilité. Je sais, je sais il y a des exceptions, mais ça ne vaut pas RosevilleduSud ! 
La pluie, les grèves de train, la grisaille, je n’avais qu’une hâte rentrer chez moi. Et comme me l’a dit ma tante : c’est normal ce n’est plus chez toi Ville Natale. 
D’ailleurs j’avais l’impression de n’être pas venue depuis des siècles, alors que ma dernière visite c’était en décembre. C’est peut-être parce qu’avant j’allais régulièrement voir ma mère. 

J’ai du mal à me sortir de la tête ces longs mois de maladie de jullet. Je pense encore parfois ” hôpital “, cela revient dans les conversations avec ceux qui savent. Sur la route je me dis ” chemin de l’hôpital “. Il est clair qu’avec ma mémoire d’éléphant je n’oublierai jamais, mais j’aimerais que cela s’éloigne un peu et n’y penser que de temps en temps ou si quelque chose m’y fait penser/

J’ai commencé à tester des soirées danses, j’ai toujours autant d’envies de sorties. J’ai encore une chambre pleine de cartons à vider mais je vais y arriver, ça avance, ça avance !