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C’était il y a quelques années, mais ça pourrait être aujourd’hui.

Je travaillais dans un immeuble dans le 13ième. Un immeuble de bureau moderne comme il y en a tant, dans une rue calme. En rez-de-chaussée, il n’y a rien, les entrées de l’immeuble se trouvent un peu surélevée, un petit étage. L’immeuble est long, plusieurs escaliers permettent d’y accéder, entre chaque escalier une espèce de galerie, de rampe, enfin moi je l’appelais “trottoir volant” qui permet de marcher à l’abri de la pluie et au dessus de la rue.

Ainsi au lieu d’attendre d’avoir atteint le dernier escalier de l’immeuble, entrée de nos bureaux, par temps de pluie, mes collègues et moi pouvions emprunter le premier escalier et marcher au dessus de la rue sur le trottoir volant jusqu’au bout de l’immeuble.

Aucune fenêtre ne donnait sur ce trottoir, juste des murs. Des SDF s’y étaient installés, à l’abri du vent et de la pluie. Les plus proches de mon entrée, avait profité d’un recoin, bizarrerie de construction, où le trottoir était plus large. C’était un couple dans la quarantaine. Ils avaient installé matelas, sacs de couchage, et tous les “trésors” que l’on peut accumuler quand on vit dans la rue.

Mes collègues se plaignaient : on ne peut même plus marcher à l’abri quand il pleut, c’est exagéré, qu’est ce qu’ils font là ?

Je les trouvais gonflés de se plaindre ! Comme si nous étions à plaindre ! Quel culot !
Ces gens ne me dérangeaient pas ! Ils n’étaient pas agressifs, ni avinés, ils ne nous demandaient pas l’aumône quand nous passions. Ils avaient juste mis un gobelet au pied du lit, avec un carton et leur prénom : Georges et Nicole. J’y jetais parfois une pièce. Dans la journée, ils n’étaient pas là. Ils roulaient soigneusement leur matelas et leurs trésors discrètement dans le recoin.

Mais je me sentais voyeuse quand je passais le matin, c’était quand même un couple enlacé dans leur lit, sous une couverture ! C’était leur lit, leur intimité, tout ce qu’ils avaient !

Je ne pouvais pas changer le monde, mais je pouvais changer de trottoir, du coup je n’empruntais plus le trottoir volant, je n’allais pas mourir pour trois gouttes de pluie sur le nez !

Mais un jour un grand chef à trois plumes eut l’idée d’emprunter le trottoir volant. Il fut scandalisé de trouver tout le long de l’immeuble, plusieurs matelas, et même des SDF !

Quelques délégations de province devait venir pour une réunion. Le chef à trois plumes déclara que ça donnait une très mauvaise image de Paris en général et de nos services en particulier. Il appela la Préfecture de Police, et en 2 temps, 3 mouvements, les matelas furent enlevés.

Il avait raison ? Sans doute !

Ces raisons je peux les comprendre.

Mais je ne peux m’empêcher d’imaginer le désarroi de Georges et Nicole quand ils sont revenus le soir.