sudVoilà c'est fini... Mais parfois on en finit pas d'en finir. Nous n'arrivons pas à nous dire adieu.

Et pourtant nous savons...
Il habite le sud et j'habite l'Ile de France, il n'est pas libre, et on se lasse vite de ne pas se parler en public. Lui c'est Yvan, un prénom rare heureusement, car aujourd'hui encore je ne pourrais pas le prononcer sans penser à lui. Il est plus vieux que moi.

C'était une belle aventure au soleil, une belle histoire, de celle que l'on oublie jamais.
Mais dans quelques jours, je vais partir. Alors on se dit "c'est la dernière soirée".
Mais c'est déjà la deuxième dernière soirée.

La première fois c'était un soir comme les autres. Nous nous étions déjà dit adieu. Je pleurais, il me manquait. Après plusieurs jours de larmes et d'obsession, à croire le voir partout, à ne plus profiter de rien, j'étais allé le surprendre un matin avant qu'il ne parte travailler. Il m'avait dit qu'il passerait me voir le soir.

Ce soir là nous nous étions retrouvés dans la grange, à parler. J'étais triste, lui aussi. Mais finalement nous n'avons pas parlé longtemps. Alors il se sentait coupable : "je ne suis pas venu pour ça, je ne veux pas que tu crois que je suis venu pour ça".

Je le savais. Mais comme durant cette belle aventure, des petites choses m'avait manqué. J'avais gardé par exemple un souvenir ébloui du seul jour où nous étions allés en ville, à PetiteVilleduSud, où personne ne le connaissait et où nous avions pu boire un verre au café, nous promener main dans la main.

Alors je lui propose un dernier... dernier soir. Cette fois ci nous irons au restaurant.

C'est un week-end. Mes sœurs et mon frère sont sortis. Mais depuis que je connais Yvan, je ne sors plus avec eux, mes copains habituels me paraissent gamins, je vis une belle histoire, hors de la bande.

Je me prépare deux heures à l'avance. Ma robe mauve, dont on dit qu'elle va avec mon bronzage, et les yeux maquillés en mauve. Les paupières qui flashent, ça ne m'a jamais fait peur et ça me va bien.

Yvan arrive en 2 CV, le bruit de la 2 CV, je le connais bien, je l'entends de loin, quand je suis assise sur les vieilles charrettes, en haut de la colline, à regarder la route qui serpente. Quand il arrive, je descends la colline pour aller à sa rencontre. Mes parents reçoivent des amis, ils prennent l'apéritif sur la terrasse, et je n'ai pas envie de prolonger les politesses d'usage. De plus j'ai envie de prendre sa voiture. C'est romantique une 2CV, à chaque fois que nous sommes allés quelque part, il a préféré prendre la mienne, plus "normale" plus facile à conduire.

Lorsque je me penche à la fenêtre de la 2 CV, Yvan au volant a un mouvement de recul :

- mon dieu que tu es belle !

Je lui dis "je veux prendre ta voiture, je n'en ai pas assez profité". Il proteste, mais non, elle est sale.
- et puis si tu voulais la prendre, il ne fallait pas te faire aussi belle !

Malgré ma vieille R5, j'ai parfois l'impression que son image de moi ressemble à "gosse de riches" !

(d'ailleurs parisienne associée à riche, même aujourd'hui mes filles l'entendent, pour peu qu'on possède une grange pour les vacances au fin fond du Larzac, on est plus riche que celui qui se ruine au club med, les clichés ont la vie dure !)

Parfois il m'arrive de me faire une idée assez précise de "l'autre femme". Une chose est sure, c'est qu'elle ne me ressemble pas ! Donc nous montons finalement devant la maison, garer sa voiture et prendre la mienne. Heureusement les politesses ne durent pas.

Nous arrivons à PetiteVilleduSud. J'ai choisi un restaurant au bord de la Louvoise, restaurant panoramique. L'intérieur est décevant, les tables sont alignés comme dans une cantine, sans séparation, sans effort de décor. Il fait nuit, la vue sur la Louvoise n'a pas d'intérêt. Nous parlons. Je suis triste, je sais que c'est fini. Je fais tomber ma fourchette et je rougis, je suis encore si jeune, que fait on dans ces cas là, dans un resto de luxe ? Il demande une autre fourchette et me rassure, non ça  n'arrive pas qu'à moi.

Puis nous sortons, nous marchons au bord de l'eau. Il me tient par les épaules. Je ressens une impression bizarre, étrange : celle d'être un couple. Avant lui, ça ne m'était jamais arrivé.

Je parle de mon départ, de mon retour. Je parle pour conjurer le mauvais sort, pour m'assurer qu'il ne m'oubliera pas, pour ne pas l'oublier. Nous passons devant la vitrine d'un garage automobile. Il s'arrête, se cogne la tête contre la vitre :

- Non, arrête de parler de ça, de ton départ, de la fin !

Puis nous rentrons chez moi. Mes parents sont dans la maison. Yvan monte leur dire bonsoir. Mes parents nous proposent un café. Ils sont gentils, il nous disent : "allez tous les deux sur la terrasse".

Alors nous allons boire un café sur la terrasse dehors. Je le regarde sur fond de pierre blanche, pour graver en moi cette image. Je lui dis, innocente, que c'est la plus belle nuit de ma vie.

Après je ne sais plus. Il reste quelques jours de vacances.
Il me dit "ne reviens pas me voir, je veux que tu gardes ce souvenir là".

Après je me souviens de mes larmes en roulant vers Paris, je me souviens du premier petit déjeuner le lendemain du retour et de mes larmes...

Les deux étés suivants nous nous sommes revus et quittés, revus et quittés...

Mais il n'y pas eu d'autre soir d'adieu.