C’était la fin des vacances, le dernier week-end. Le vendredi soir nous partons à la fête à Petite Colline. Artémis et Jérémy dinaient chez des amis et devaient nous rejoindre “tard” comme d’habitude.

Athéna et Jim prennent leur voiture, et j’emmène dans la mienne mes neveux Marine et Luigi.

La fête était comme d’habitude. Beaucoup de monde, les jeunes font un tour d’auto tamponneuse, nous allons à la buvette et collectionnons les verres en plastique marqué “Petite Colline en Fête”, mon sac se remplit, car bien sûr personne n’a de sac à main, et personne n’a envie de s’encombrer.

Je danse un peu, quand Artémis et Jérémy arrivent, Athéna et Jim en ont déjà assez. Jim n’aime pas danser, du coup Athéna rentre aussi et Luigi part avec eux. je reste avec Marine que je suis censée surveiller, mais elle est ingérable ! Elle refuse de m’attendre pour aller à la buvette ou aux toilettes. Artémis arrive à la raisonner plus que moi.

Enfin nous partons, ma nièce et moi. Ma voiture est garée à l’autre bout de Petite Colline, en sortant de ma place, je frotte un peu le trottoir avec le bas de caisse, je me dis : encore une rayure !
Quelle ironie quand j’y pense !

Nous roulons en papotant entre Petite Colline et la Sauvageonne, chemin fait cent fois. Comme souvent sur la ligne droite, je roule même pas à 90, je roule à 80, je suis toujours calme sur cette route.

Soudain je vois un truc long et poilu à la hauteur de mon pare choc. J’ai l’impression qu’il est déjà devant mon capot, je comprends tout de suite de quoi il s’agit, je crie. Marine crie aussi sans comprendre.

Tout se passe très vite et en même temps je ne sais pas ce qui se passe.

Je crois que je n’ai même pas freiné, juste lâchè l’accélérateur. Le cœur qui se met à battre à 200 à l’heure, tous mes muscles qui se tétanisent. La voiture continue à rouler, de la fumée sort du capot.

Ce n’est pas mon premier accident, j’en ai d’ailleurs raconté un ici, et à chaque fois j’ai cette pensée fugitive, qui prend une seconde dans la tête et trois lignes à écrire : je vais passer la première et repartir !
Sans doute que pour quelqu’un comme moi, qui roule par tous les temps, qui n’a peur de rien, qui a conduit toutes les voitures dans toutes les conditions, Être IMMOBILISÉE est INSUPPORTABLE ! Ne plus être autonome, maîtresse de mon véhicule, INSUPPORTABLE !

Mais revenons en à ces quelques secondes qui me paraissent un siècle, enfin je me dis que je dois m’arrêter, je freine en me rangeant sur le bas côté. et par réflexe, j’appuie sur l’embrayage : la pédale s’enfonce complètement et reste en bas, j’ai l’impression qu’elle rentre dans le moteur ! Tous les voyants s’allument, défaut air-bag, liquide insuffisant etc.

Marine affolée me pose des questions : la voiture est foutue, lui dis-je.

Ensuite c’est la panique, mon portable n’a plus de batterie, je le branche sur l’allume cigare, je mets le gilet jaune et tente de déplier le triangle que je n’ai jamais utilisé. Je fais de grands signes aux voitures qui arrivent derrière moi, car le sanglier est sur la route, loin de moi.

Les gens s’arrêtent ils sont gentils, je leur dis que ça va aller.

J’appelle Jérémy paniquée à l’idée qu’il ne m’entende pas, vu le bruit de la fête. Il ne répond pas mais me rappelle aussitôt.

- J’ai tué un sanglier et la voiture est foutue !

Beaucoup m’ont dit “pourquoi tué et pas percuté ?”
Tout simplement parce que Jérémy est chasseur et je sais que lui il dirait “tué” et que forcément il va ramasser la bête ! 

- Tu peux te mettre sur le bas côté ?

- Non je n’ai plus d’embrayage !

- J’arrive.

Je sais que Jérémy est mon sauveur, l’homme de la situation. Il est né à Petite Colline, des histoires comme celle là il m’en a raconté cent.

Il est garé loin de la fête lui aussi. Il est 1 h du matin. Je continue à tenter d’ouvrir le triangle, des gens qui s’arrêtent me disent que le sanglier est à 150 m, je n’aurais pas cru.

Je tente de marcher le plus loin possible, pour mettre le triangle près du sanglier. Mais une fois qu’il n’y a plus de voiture, je me retrouve dans la nuit noire et je ne sais toujours pas où est la bête; Marine s’affole :

- Louisianne ! Reviens, pourquoi tu vas si loin !

Je repars donc à la voiture. Entre temps j’ai vu que la plaque s’est envolée, la calandre est partie, le radiateur est enfoncé, mais elle n’est pas si abîmée que ça. Je rentre et sors mon portable de mon sac dix fois, en me disant que je vais finir par le perdre. Jérémy m’a dit qu’il avait peur des mecs bourrés et que me savoir au bord de la route ne le rassure pas.

Enfin je vois une voiture s’arrêter à la hauteur du sanglier. OUF ! Enfin !

Artémis est avec lui bien sûr, elle n’aurait pas pu rester à la fête sachant sa maman chérie au bord de la route. Jérémy  en trente secondes ouvre le triangle et le pose au sol :

- Il fallait enlever le sanglier !

- Tu es fou ! Une femme seule sur la route qui tire un sanglier dans l’herbe.

Il me dit qu’il va aller chez lui chercher une sangle pour tracter ma voiture. Il retourne charger le sanglier et nous attendons Marine et moi. Des voitures s’arrêtent encore, je leur explique qu’on vient me chercher, ils sont tous gentils et me disent : bon courage.

Jérémy a réveillé son père qui va s’occuper du sanglier.

Marine est un peu moins paniquée, elle a tenté d’envoyer des sms à sa mère pour qu’elle vienne la chercher. Ça me fait sourire : deux fois de suite, cet été, mes nièces Jolinette et Marine m’ont appelée en pleine nuit pour venir les chercher parce que leur mères “n’entendaient pas” le téléphone. Vu que moi je l’ai fait des années pour mes filles, elles savent qu’elles peuvent compter sur moi; Je râle un peu après mes sœurs, mais je le fais pour mes nièces !

Enfin Jérémy et Artémis reviennent. Artémis qui déteste voir les animaux morts, est complètement traumatisée d’avoir du porter le sanglier. Elle pleure presque sur lui.

Ma voiture est attachée à celle de Jérémy, nous la garons sur le parking du cimetière de Saint Daniel. Inutile d’appeler l’assurance en pleine nuit.

Nous arrivons à la Sauvageonne où Luigi s’est levé, puis Camomille. Artémis et Jérémy devaient dormir à Petite Colline et finalement dorment à la Sauvageonne.

Jérémy a pris la bête en photo.

Je dors mal. Ma jambe droite n’est qu’une vaste crampe. Je me tourne et me retourne dans mon lit. Je sais que ma voiture est fichue, elle est trop vieille, l’assurance va la déclarer épave…

à suivre…

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