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J’ai déjà raconté ce que la photo représente pour moi.

À l’époque où j’ai commencé à écrire un journal à treize ans, le but n’était pas tant de raconter mes états d’âme comme beaucoup d’ados mais surtout de me souvenir.
J’écrivais pratiquement tous les jours, avec force détails, du style : je vais prendre ma douche, je reviens, j’ai pris ma douche, s’ensuivait la liste des occupations des habitants de la maison : papa est en bas il bricole, maman est en haut…

Il y a peu, en rangeant, j’ai ouvert mon premier journal, j’ai failli pleurer d’émotion en relisant une conversation familiale, avec mes grands parents.

C’était comme si c’était hier ! C’était tellement émouvant, retrouver ce ton tellement “bébé” ça me faisait tout drôle !
J’y racontais aussi que Martine m’avait demandé de veiller sur Servane la capricieuse !

Plus tard j’ai raconté ça à Servane qui a protesté : ne raconte pas ça devant mes filles ! Je vais perdre toute crédibilité quand elles feront des caprices !

La photo étai indissociable du journal, je ne voulais pas oublier, je voulais me souvenir. Malgré le prix des pellicules à l’époque, je ne regrette pas d’avoir immortalisé tant d’instants, et je l’ai dit, c’est toujours à moi qu’on demande si je n’ai pas une photo de l’oncle Alfred ou de la petite maison que Tante Berthe qui a été vendue depuis.

Je suis, j’étais le reporter de ma propre vie et aussi de celles des autres, par extension. Ça fait rire les copains qui me traitent de paparazzi, mais sont toujours content de voir mes photos.

Aujourd’hui j’écris beaucoup moins, enfin moins de détails.

Je prends toujours des photos, sauf que les choses ont changé. Car je ne prends plus de photos seulement pour moi, pour me souvenir. Je prends des photos pour partager.
Et de préférence dans l’instant, des instantanés de vie.

Si je prends la Sauvageonne sous toutes ses coutures, c’est pour les envoyer à Tristan. Si je fais des photos de chacune des fêtes, des soirées, c’est aussi en pensant que je vais faire une sélection des photos de vacances.

Si il photographie la vue qu’il a de son bureau (chose qu’il n’a probablement jamais faite, et vue qui n’a rien d’exceptionnel) c’est pour me montrer ce qu’il a sous les yeux tous les jours. Souvent il m’a envoyé des photos d’un paysage du bout du monde, où son jardin en hiver, ou même les bouchons sur l’autoroute.

Sans doute que tout le monde ne partage pas par le biais des photos. Peut-être que ce ne sont que les gens qui aiment photographier. Quoique la chose se démocratise depuis les Aïe-Fone (terme générique, mais vous avez compris).

Et puis il y a ces autres photos qui ne sont peut-être pas du reportage de vie. Quand il veut me prendre en photo et que je ris, moi qui suis si souvent derrière l’objectif. Le bonheur de se savoir regardée, le bonheur de voir plus tard combien je suis belle dans le miroir des yeux de Tristan. C’était beaucoup plus difficile pour lui, il n’aimait pas se voir en photo, il n’aimait pas que je le photographie. Puis il a fini par admettre que j’étais un bon photographe : je suis presque beau sur celle là ! 

Ces photos que l’on a besoin de regarder un soir de solitude, un soir où le sommeil tarde à venir avec un sourire béat.